Fiction et liberté d’expression

L’application des limites de la liberté d’expression aux « assertions de feintise partagée » et plus particulièrement aux énoncés fictionnels


Thomas Hochmann1

 

On entend par « assertions de feintise partagée » des énoncés pour lesquels la signification que leur auteur souhaite communiquer ne correspond pas à leur sens littéral. Ces énoncés sont réussis si le récepteur perçoit cette intention. Nous étudierons trois types principaux d’assertions de feintise partagée : la fiction, la plaisanterie et l’ironie. Après les avoir définies, nous souhaiterions montrer que dans le système des limites de la liberté d’expression, elles ne constituent pas une catégorie atypique, mais un type paradigmatique d’énoncé, laissant apparaître plus clairement que d’autres la tâche de l’organe chargé de concrétiser les normes limitant l’expression (dans bien des cas, le juge). Rejetant toute thèse de « l’impunité de l’artiste ou du comique », nous établirons que la nature des énoncés fictionnels entraîne cependant l’inapplicabilité d’un certain type de limites à leur encontre.

I Fiction, plaisanterie, ironie : un type d’énoncé paradigmatique pour l’application des limites de la liberté d’expression

A Définitions

La fiction littéraire est l’utilisation dans un texte d’un procédé plus large que l’on peut qualifier de fiction ludique, et qui se caractérise par une intersubjectivité. Elle naît d’une posture intentionnelle spécifique, l’absence d’une volonté de décrire le réel non couplée à une volonté de tromper son destinataire - feindre « pour de faux » - ce qui la distingue notamment du mensonge ou du leurre. Mais elle ne constitue une fiction que si cette intention est reconnue comme telle. En ce sens, la théorie littéraire parle de « feintise ludique partagée »2 .

Le destinataire doit donc comprendre qu’il est face à une fiction pour procéder à la « suspension volontaire de l’incrédulité »3 , et qu’ainsi la fiction réussisse, que la feintise ludique soit partagée. Pour ce faire, l’existence de « marqueurs conventionnels de fictionnalité »4 jouera un rôle important. Il peut par exemple s’agir de phrases introductives stéréotypées (once upon a time…). En l’absence de tels signaux, on risque d’être en présence au pire d’un leurre, au mieux d’une fiction manquée (si l’on suppose l’absence d’intention de tromper de la part de l’auteur). Jean-Marie Schaeffer retrace ainsi la méprise provoquée par la « biographie » d’un certain Marbot, personnage en réalité inventé par son auteur, que les critiques félicitèrent à la sortie de l’ouvrage pour avoir redonné à cette figure oubliée sa place dans l’histoire5 .

La plaisanterie est un type de communication qui consiste, sous sa forme la plus générale, à dire quelque chose qu’on ne pense pas. Comme pour la fiction, la reconnaissance de l’intention est nécessaire à la réussite d’une plaisanterie. Excluant de la définition de ce concept tout critère relatif au rire, Genette écrit qu’une plaisanterie peut être « bonne » ou « mauvaise », « mais, pour qu’elle « reste » une plaisanterie, il faut au moins que soit perçue son intention plaisante »6 . Des « marques de plaisanterie » doivent également indiquer au récepteur le registre de l’expression. Elles sont plus aisées à donner à l’oral7 , en s’exprimant « sur un ton (ou avec accompagnement de marqueurs gestuels ou mimiques) qui laisse entendre le peu de créance qu’on attend de son auditoire – quitte, en cas de réception trop naïve, à rectifier le tir en précisant : « Je plaisante. » »8 .

La plaisanterie est donc très proche de l’ironie9. Peut-être une différence essentielle intéressant notre étude réside-t-elle dans le fait que l’ironiste vise simultanément à duper et à être compris, séparant les naïfs des complices10 . L’ironie peut elle aussi apparaître sous des marqueurs, des « signaux »11 , même si ceux-ci ne dévoilent pas forcément son message latent12 .
Par « marqueurs » d’ironie ou de fictionnalité, nous ne pensons bien sûr pas uniquement aux cas les plus évidents que sont le paratexte13 , « il était une fois » ou le point d’ironie d’Alcanter de Brahm14 . Tous les éléments du contexte de l’expression, y compris et surtout le contenu sémantique de l’ensemble du texte (livre) où apparaissent les propos litigieux peuvent fonctionner comme de tels marqueurs et permettre la réussite de l’énoncé de feintise partagée.

Cette intersubjectivité de l’expression et l’existence de marqueurs conventionnels permettant au récepteur de comprendre l’intention de l’émetteur n’est évidemment pas propre à ces modes d’énoncés que sont les assertions feintes partagées. La nécessité d’un pacte de lecture est commune à toute œuvre écrite : « L’identification du « genre » d’une œuvre et le détour par ce genre, donc par les signaux qui signalent ce genre, constitue […] une étape indispensable à la compréhension de cette même œuvre. Le genre est […] le « cadre » nécessaire permettant d’assurer un pacte de communication »15 . Krysztof Pomian, distinguant l’histoire de la fiction, relevait à propos des romans historiques leurs marques de fictionnalité, mais également « l’absence de marques typographiques d’historicité »16 . Plus largement, le pacte communicationnel fait partie de toute communication, qu’elle soit écrite, picturale, orale, etc17 .

Pour déterminer la signification d’une expression, le recours aux contextes et la détermination du pacte communicationnel sont donc toujours essentiels. La même affirmation n’a pas la même signification selon qu’elle apparaît dans le cadre d’un pacte fictionnel ou d’un pacte référentiel18 . Deux énoncés littéralement identiques n’ont pas la même signification selon le registre duquel ils relèvent, selon leur contexte, et évidemment selon leur interprète.

B L’interprétation des propos litigieux

Les limites de la liberté d’expression sont prévues par des normes générales (« lois ») concrétisées, appliquées à des cas particuliers, par un organe y étant habilité (le « juge »). L’autorité édictant ces normes générales (le « législateur ») est contrainte par une norme supérieure de protéger certains droits19 . Elle peut également décider, sans y être contrainte, d’en protéger certains autres. Lorsqu’elle estime que certains propos20 sont susceptibles de porter atteinte à l’un de ces droits, elle édicte une loi pour les sanctionner. Si rien n’interdit au législateur de viser des propos précis (« il est interdit de traiter autrui de salopard »), force est de constater qu’il préfère adopter une approche matérielle des expressions qu’il vise (« Il est interdit d’injurier autrui »)21 . Il reviendra par conséquent au juge, dans l’exercice de sa tâche de concrétisation de ces normes générales, d’interpréter les propos litigieux, de déterminer leur signification et d’examiner si elle correspond à celle visée par la norme générale qu’il doit appliquer.

La signification que le locuteur attribuait à ses propos n’est donc pas pertinente, pas plus que celle effectivement perçue par un récepteur de ces propos22 . Ces deux hypothèses sont en effet en contradiction avec l’idée même d’un ordre juridique réglant les rapports entre les individus. La qualification des faits litigieux est de la compétence du juge, et ne saurait dépendre du bon vouloir des destinataires de la norme.

Le juge n’est cependant libre dans cette concrétisation qu’à l’intérieur d’un cadre d’appréciation que lui octroie la norme générale. L’exigence constitutionnelle de précision de la loi pénale impose que les destinataires des normes puissent dans une certaine mesure prévoir si un comportement est susceptible de contrevenir à une norme. La loi étant par nature générale et donc plus ou moins imprécise, sa concrétisation par le juge doit permettre de gagner en prévisibilité. Comme l’a clairement expliqué la Cour constitutionnelle allemande, des « clauses générales ou des notions imprécises, nécessitant d’être complétées, ne sont pas critiquables en droit pénal d’un point de vue constitutionnel si la norme offre une base fiable pour son interprétation et son application, ou si elle donne lieu à une jurisprudence solide lui conférant une précision suffisante »23 .

Or, la prévisibilité est proche de zéro s’il est permis au juge d’attribuer n’importe quelle signification aux propos litigieux. Le juge devra s’efforcer de déterminer la signification qu’aurait raisonnablement dû donner un individu moyen aux propos litigieux, à la manière du jeu télévisé décrit par Martin Amis où les « candidats répondent non pas en fonction de ce qu’ils pensent, mais en fonction de qu’ils pensent que tout le monde pense »24 . Le juge se demande ce qu’un « lecteur moyen » aurait compris, et ainsi apparaît un modèle de lecteur, identifiable à aucun lecteur empirique, construit par le juge, et non par l’auteur tel le lecteur modèle d’Umberto Eco25 , ou par le texte tel le lecteur implicite de Wolfgang Iser26 . Evidemment, cela n’élimine absolument pas le subjectivisme du juge, mais il n’y a là rien de « choquant » puisque le juge est juridiquement l’organe compétent pour interpréter les propos litigieux. Une fois la signification déterminée, il pourra décider si elle correspond à celle visée par la norme. Pour éviter tout malentendu, précisons d’emblée une évidence : le fait que le juge doive attribuer une signification à l’énoncé litigieux ne signifie pas que cette interprétation est la meilleure ou la seule possible.

La concrétisation des limites de la liberté d’expression fonctionne ainsi pour tout type de propos. Les assertions feintes partagées ne sont qu’un exemple particulièrement flagrant de ce procédé. Nous nous concentrons sur elles en tant que cas paradigmatique de la concrétisation des restrictions de la liberté d’expression.

II Application jurisprudentielle des restrictions de la liberté d’expression aux énoncés de feintise partagée

Les assertions feintes partagées sont intersubjectives. Elles nécessitent en principe une intention de la part du locuteur (feintise souhaitant être reconnue) et une reconnaissance de la part du récepteur. Cependant, dans le cadre de la concrétisation des limites de la liberté d’expression, le juge ne s’occupera ni de l’intention de l’émetteur des propos litigieux, ni de leur réception effective, mais déterminera si un « individu moyen » aurait raisonnablement perçu l’expression comme une assertion feinte partagée (A). S’il estime que l’assertion feinte n’était pas apte à réussir, à être partagée, il pourra la cas échéant appliquer la limite de la liberté d’expression correspondant à la signification sérieuse des propos (B). S’il estime que l’assertion feinte partagée était apte à réussir, il confère une autre signification aux propos litigieux (C), pour laquelle un certain type de limite de la liberté d’expression sera inapplicable aux énoncés fictionnels.

A La détermination du pacte de communication

Comment un « individu moyen » aurait-il perçu le cadre dans lequel se plaçaient les propos litigieux ? Le locuteur avait-il signalé sa feintise à l’aide de marqueurs suffisamment visibles ? Pouvait-on raisonnablement comprendre le discours au « premier degré » ? En fin de compte, quelle signification attribuer aux propos litigieux ? Cette décision relève de la compétence du juge, et la seule intention du locuteur n’est donc pas pertinente (A.1). Deux techniques permettent principalement au juge de déterminer la réussite de l’assertion feinte partagée : la prise en compte des énoncés non littéraux (A.2), et le recours au contexte et au paratexte (A.3).

A.1 Non-pertinence de l’intention du locuteur

L’auteur ne saurait décider lui-même si son assertion feinte partagée a réussi. Si l’intersubjectivité est la règle, l’intention de l’auteur n’est ni suffisante ni nécessaire27 pour qu’un lecteur perçoive un texte comme une feintise ludique.

Dans la concrétisation juridictionnelle des limites de la liberté d’expression, le manque de pertinence de l’intention de l’auteur devient la règle. Le destinataire de la norme ne saurait être l’autorité compétente pour déterminer si son comportement correspondait au champ d’application d’une norme. Beaucoup de limites de la liberté d’expression visent la protection d’autres droits ou intérêts et s’attachent donc aux effets, aux conséquences de l’expression. Elles visent les propos qui « incitent à la haine », qui « portent atteinte à la réputation », etc. On peut faire le mal sans le vouloir, et l’on peut vouloir le faire sans y parvenir. A moins d’une disposition explicite en ce sens, la plupart des normes restreignant la liberté d’expression ne visent pas l’« idée » de celui qui s’exprime, ne « sondent pas les cœurs »28 , mais s’intéressent aux effets de l’expression. Or, seule la signification de l’énoncé tel qu’il est compris par son récepteur est susceptible de produire des effets. C’est donc cet angle de la réception qui doit intéresser le juge, non pas la perception du récepteur empirique, mais celle du « récepteur moyen ».

L’exclusion de l’intention de l’auteur apparaît particulièrement clairement dans l’une des affaires de diffamation les plus célèbres au Royaume-Uni qui date du début du XXème siècle. Un texte se présentant comme une fiction et paru dans un quotidien britannique décrivait la virée d’un certain Artemus Jones dans le nord de la France avec une femme « n’étant pas son épouse ». Un individu portant le même nom que le personnage adultère poursuivit le journal en diffamation. La condamnation fut confirmée par la House of Lords, la plus haute juridiction du royaume. Selon ces juges, la question de savoir si l’auteur visait le plaignant, ou même s’il était conscient de son existence, n’était pas pertinente29 .

De la réception de l’expression litigieuse, telle qu’elle est envisagée par le juge, dépendra l’application de la norme.

A.2 Les énoncés non-littéraux

Une première technique permettant au juge de déterminer si une affirmation devait être comprise comme une assertion sérieuse ou comme une assertion feinte partagée concerne la lettre même des propos litigieux.

Gérard Genette présente la distinction opérée par John Searle entre deux types d’expression non littérale. Dans l’énoncé figuré, l’interprétation littérale est impossible, ou, si l’on préfère, manifestement inacceptable : « « Vous êtes un lion » est littéralement faux, le destinataire sait que l’énonciateur, sauf coup de folie, le sait aussi, et c’est cette fausseté littérale manifeste qui oblige à chercher un sens figuré tel que « Vous êtes un héros » »30 . Dans l’acte de langage indirect, la signification vient en supplément d’un sens littéral acceptable : « C’est vous qui avez le sel » est une assertion vraie, acceptable, mais tellement dénuée d’intérêt qu’elle suggère de plus la demande « passez-moi le sel ». La distinction consiste donc plus précisément entre acte de langage indirect à sens littéral inacceptable (figure) et acte de langage indirect à sens littéral acceptable31 .

Ce deuxième type d’énoncé est examiné dans un arrêt du 8 mai 1952 où la Cour de cassation allemande se prononçait sur le cas d’un député pronazi ayant qualifié les auteurs de l’attentat manqué contre Hitler du 20 juillet 1944 de « traîtres à la patrie »32 . Les juges devaient déterminer la signification des propos : s’agit-il de l’expression d’une opinion insultante envers ces résistants, ou bien, comme le prétendait le député poursuivi, d’une affirmation factuelle selon laquelle ils s’étaient rendus coupables de l’infraction de trahison nationale telle qu’elle était définie par les textes en vigueur sous le « troisième Reich » ? Selon la Cour, ce dernier fait est évident et n’est contesté par personne. Aussi, il serait « complètement aberrant » de considérer que quelqu’un peut aujourd’hui traiter un résistant de traître à la patrie pour communiquer ce fait banal et notoire. La question purement juridique de savoir si un tel comportement constituait l’infraction de trahison à la patrie selon les dispositions adoptées par Hitler n’intéresse personne aujourd’hui en Allemagne, encore moins dans le cadre d’une campagne électorale comme en l’espèce. La Cour va donc déduire des circonstances et du contenu de cette expression que l’accusé n’affirmait pas un fait, mais voulait émettre une opinion vexante.

Mais les cas où l’exclusion du sens littéral est la plus évidente sont évidemment ceux des propos figurés, où ce sens est inacceptable. Comme l’a relevé une juridiction américaine : « Pour le meilleur ou pour le pire, notre société a depuis longtemps franchi l’étape durant laquelle l’emploi du mot « bâtard » aurait occasionné une enquête généalogique, ou le cri « espèce de porc ! » un examen du pedigree porcin »33 . De manière moins spectaculaire, il en est de même pour les propos qualifiant un parti politique de « NPD européen » (le NPD étant le parti néonazi allemand), une telle formation n’existant pas34 . Et de manière plus triviale, une cour d’appel américaine a annulé le jugement de diffamation en faveur d’une Miss Wyoming qui poursuivait les auteurs d’un texte affirmant qu’elle avait à plusieurs reprises pratiqué des fellations sur des individus avec pour effet de les placer en état de lévitation. Selon la cour, des lecteurs raisonnables comprendraient ces allégations comme de la fantaisie, ne constituant pas un compte-rendu crédible35 .

Ainsi, certains énoncés fictionnels sont aisément reconnaissables comme tels, et pas seulement lorsqu’ils mettent en scène Superman ou M. Pickwick. Des personnages inspirés de personnes réelles peuvent également apparaître dans des énoncés immédiatement identifiables comme fictionnels. L’exemple le plus flagrant est peut-être celui de l’uchronie, tel The Portage to San Cristobal of A.H. de George Steiner, représentant un Hitler vieilli mais bien vivant caché dans les années 70 dans la jungle sud-américaine36 .
Un juge ne se demandant pas comment les propos auraient raisonnablement dû être compris, mais se contentant d’en percevoir le sens littéral réalise une application fautive de la norme limitant la liberté d’expression. Suite à l’exécution de Sacco et Vanzetti, un certain Harry Canter manifesta devant le bureau du gouverneur du Massachussets avec une pancarte qualifiant celui-ci d’« assassin» et fut condamné pour diffamation, c’est-à-dire une allégation d’un fait portant atteinte à la réputation d’autrui. Il plaida devant la cour suprême de cet Etat qu’il entendait de la sorte non pas signifier que le gouverneur avait lui-même tué les condamnés, mais qu’en refusant de les gracier, il était moralement responsable de leur mort. Pour la cour cependant, ces propos, « pris dans leur sens usuel, naturel et populaire, et sans construction forcée, constituent une accusation du crime le plus odieux que le droit connaisse, le meurtre volontaire, et sont en eux-mêmes diffamatoires »37 . Les juges du Massachussets n’ont pas su, ou pas voulu, déchiffrer le message, s’en tenant au sens littéral, montrant une affinité avec les réactions loufoques aux exemples donnés par Genette : « Moi, un lion ? Vous êtes fou ! », « Oui, je peux vous passer le sel, quelle question ! »38 .

A.3 La prise en compte du contexte et du paratexte

Enfin, un énoncé parfaitement acceptable en son sens littéral (ni manifestement inacceptable, ni acceptable mais exagérément évident) peut ne pas être interprété littéralement par le juge en raison du contexte de son expression. Les tribunaux sont conscients que le sens d’un énoncé n’est pas indépendant du fait de son énonciation. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a pu juger qu’il était évident dès le titre d’un article que celui-ci était écrit dans un style ironique et satirique, et se voulait un commentaire humoristique39 .

Les juges s’intéressent donc au cadre dans lequel les propos litigieux apparaissent. Cependant, indiquer sous le titre d’un livre que celui-ci est un « roman » ne saurait être suffisant. La réussite d’une fiction ne peut dépendre de cette seule indication. La Cour constitutionnelle allemande a été particulièrement claire sur ce point : « la publication en question doit vraiment être de la littérature dont le lecteur comprend qu’elle n’a pas de prétention référentielle. Un compte-rendu factuel étiqueté de manière fausse comme un roman » ne sera pas considéré comme une fiction réussie40 . Il en est de même pour l’avertissement selon lequel « toute ressemblance avec la réalité ne serait que fortuite »41 . Ces indications, cependant, si elles ne sauraient être déterminantes, sont susceptibles de jouer un rôle d’indice dans la détermination du pacte communicationnel dans lequel se place le lecteur42 .

A l’aide de ces divers éléments que sont le contexte, le paratexte, les éventuels « marqueurs », et bien sûr le contenu même des énoncés, le juge va estimer que l’assertion de feintise partagée était ou non susceptible de réussir, et conférer une signification aux propos litigieux.

B Echec de l’assertion feinte partagée

Le recours à ces divers éléments peut amener le juge à la conclusion que l’assertion feinte partagée a échoué (ou plus exactement que les propos litigieux ne constituent pas une feintise partagée réussie, que celle-ci ait échoué ou qu’il s’agisse simplement d’une assertion sérieuse). Par échec, répétons-le, on n’entend pas que l’intention de feintise ludique du locuteur n’a pas, en l’espèce, été comprise, mais que le juge considère qu’elle n’était pas apte à être comprise, qu’on ne pouvait raisonnablement attendre d’un « individu moyen » qu’il la comprenne. Dans ce cas, le juge peut appliquer une éventuelle norme correspondant à la signification des propos litigieux considérés comme une assertion sérieuse.

Ainsi, un imitateur français fût jugé coupable d’incitation à la haine raciale pour avoir, déguisé en Jean-Marie Le Pen, chanté « Casser du noir » en modifiant les paroles d’une célèbre chanson « Casser la voix ». Les juges de la Cour de cassation estimèrent d’abord que « le texte de la chanson, pris dans son sens littéral, constitue un appel à la haine à l’égard de personnes visées à raison de leur race ou de leur ethnie ». S’ils en restaient là, cet arrêt serait une réplique de Commonwealth v. Canter, et une application fautive de cette limite de la liberté d’expression. Mais les juges ajoutent, et peu importe, juridiquement, qu’ils obtiennent ou non notre assentiment, « que contrairement à ce que soutiennent les prévenus, rien n’a été fait pour que le téléspectateur ait une interprétation « au second degré » de cette séquence ainsi que du texte incriminé »43 , confirmant ainsi l’interprétation de la cour d’appel qui était arrivé à cette conclusion en examinant l’ensemble du contexte, l’émission télévisée contenant les propos litigieux.

Dans la plupart des études portant sur l’ironie, on cite, à côté de la Modeste proposition de Jonathan Swift, les propos de Montesquieu sur l’esclavage :

« Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à déchiffrer tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir […] »44 .

Or, dans un dictionnaire de 1762, on pouvait lire à l’article « Nègre » :

« Il est difficile de justifier tout à fait le commerce des Nègres ; mais on en a un besoin indispensable pour les cultures des sucres, des tabacs, des indigo, etc. Le sucre, dit Mr. De Montesquieu, seroit trop cher si l’on ne faisoit travailler la plante qui le produit par des esclaves »45 .

<

Cette récupération d’un texte en ignorant, volontairement ou non, son ironie, amenait les auteurs à qui l’on doit cette trouvaille à formuler l’inquiétude suivante : « On peut donc se poser un certain nombre de questions sur l’efficacité polémique des écrits polémiques, et se demander si ce n’est pas leur écriture même qui paradoxalement peut permettre leur récupération dans un discours contraire (ici le discours pédagogique de l’idéologie dominante) »46 . La critique par l’ironie ou par la plaisanterie est un discours à haut risque, menacé tant par une récupération volontaire en sens contraire que par une incompréhension, un « échec » obtenant des effets opposés à ceux visés, et entraînant éventuellement une condamnation47 . Si la sensibilité extrême de certains individus48 n’entre pas en cause dans l’examen du juge, la détermination du succès de l’assertion feinte partagée à sens littéral haineux demeure une tâche fort délicate.

C Réussite de l’assertion feinte partagée

Si le juge estime que l’assertion feinte aurait raisonnablement dû être reconnue comme telle, la signification qu’il attribue aux propos litigieux diffère de leur signification sérieuse. Cette « réussite » rend inopérante un certain type de limites de la liberté d’expression aux énoncés fictionnels (C.1), mais elle ne saurait entraîner une immunité absolue (C.2).

C.1 Inapplicabilité à la fiction des limites impliquant l’assertion d’un fait

Dans tous les systèmes juridiques dont nous avons connaissance, une distinction est opérée entre l’affirmation de faits et celle d’opinions. Ces deux types d’expression répondent à un régime juridique différent, variant plus ou moins d’un système à l’autre. On peut citer à ce propos une des maximes de la Cour européenne des droits de l’homme : « si la matérialité des faits peut se prouver, les [jugements de valeur] ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude ; l'exigence voulant que soit établie la vérité de jugements de valeur est irréalisable et porte atteinte à la liberté [d’expression] »49 . Si la formulation de cette affirmation inlassablement répétée par la cour est critiquable50 , on peut néanmoins en retenir l’idée suivante, qui ne choquera pas grand monde : la vérité d’une affirmation factuelle peut entrer en ligne de compte dans l’application d’une sanction juridique contre son auteur, tandis qu’un tel critère ne saurait être pertinent lorsque les propos litigieux constituent l’expression d’une opinion51 .

Cette distinction entre fait et opinion dépend de l’interprétation des propos litigieux par le juge, qui ne peut se contenter du sens littéral de l’affirmation. Une limite de la liberté d’expression très souvent invoquée devant les tribunaux, la diffamation, est tributaire de cette qualification. La diffamation est en effet une allégation factuelle portant atteinte à la réputation d’autrui. Si le juge estime que des propos qui, dans un cadre référentiel, correspondraient à cette définition, doivent en l’espèce être compris dans le cadre d’un pacte fictionnel, la personne poursuivie doit logiquement échapper à une condamnation pour diffamation.

Les tribunaux ont cependant tendance à refuser cette immunité lorsqu’un individu réel est reconnaissable derrière le personnage de fiction. Ainsi, à propos de la condamnation de l’auteur d’un roman dans lequel Jean-Marie Le Pen est accusé d’être responsable du meurtre commis par le personnage Ronald Blistier, la Cour européenne des droits de l’homme expliquait que si la distinction entre déclarations factuelles et jugements de valeur « n'a pas lieu d'être s'agissant d'écrits figurant dans un roman, elle retrouve néanmoins toute sa pertinence dès lors que, comme en l'espèce, l'œuvre litigieuse ne relève pas de la pure fiction mais intègre des personnages ou des faits réels »52 .

Une telle argumentation n’emporte pas la conviction53 . Dans le cadre d’un pacte référentiel, la phrase « Jean-Marie Le Pen est responsable du meurtre commis par Blistier » signifie, pour emprunter une paraphrase de Bertrand Russell54 , « Il existe une et seulement une entité telle que l’entité en question est Jean-Marie Le Pen, et quiconque est Jean-Marie Le Pen est responsable du meurtre commis par Blistier ». Mais dans le cadre d’un pacte fictionnel, cette même phrase signifie, pour emprunter une paraphrase de Gérard Genette55 , « Veuillez imaginer avec moi que Blistier existe, qu’il a commis un meurtre, et que Jean-Marie Le Pen en est responsable ».

Nous ne soutenons pas qu’incorporer une personne réelle dans un récit fictionnel et lui faire commettre les pires atrocités échappe forcément à toute restriction de la liberté d’expression. Simplement, cela ne saurait être passible de la limite particulière qu’est la diffamation, en ce que celle-ci vise les affirmations référentielles. La présence dans un texte fictionnel de personnes réelles reconnaissables n’aboutit pas forcément, automatiquement, à la rupture du pacte fictionnel.

L’arrêt Esra de la Cour constitutionnelle allemande, rendu la même année que l’arrêt Lindon, est doté d’une motivation nettement plus élaborée. Les juges de Karlsruhe s’opposent à l’idée que la simple « identifiabilité » d’une personne réelle derrière un personnage suffise à rompre le pacte. Ils se prononcent pour une présomption de fictionnalité : une œuvre se présentant comme un roman doit d’abord être considérée comme une fiction, n’ayant pas de prétention référentielle, même si des personnes réelles sont reconnaissables derrière des personnages du roman56 . Même si elle n’emploie pas le mot, la Cour insiste sur le pacte fictionnel. La suppression totale de la possibilité d’identification n’est pas indispensable, mais la non-référentialité de la narration doit apparaître clairement au lecteur57 . Le fait que le personnage soit visiblement inspiré d’une personne réelle ne signifie pas que le lecteur tiendra les faits relatés pour véridiques. Ce qu’il faut déterminer est si « l’auteur amène le lecteur à considérer certaines parties de la représentation comme s’étant véritablement produites ». Le curseur est donc mis sur la perspective du lecteur (non pas un lecteur précis, mais un « lecteur moyen » déterminé par le juge). Cela apparaît par exemple dans l’étude de l’identifiabilité d’un individu réel derrière le personnage fictionnel : le juge ne saurait l’établir au moyen d’indices extérieurs à l’ouvrage prouvant qu’un individu a servi de modèle. La Cour précise que l’identification doit apparaître au lecteur, ce qui implique que de nombreux éléments d’identification se trouvent dans l’œuvre elle-même58 .

Mais il est tout à fait possible que le modèle soit parfaitement identifiable sans que le pacte fictionnel soit rompu pour autant. La réussite de la feintise ludique partagée qu’est la fiction n’est pas liée à l’intégration de « personnages ou de faits réels », pour reprendre l’expression de la Cour européenne. Le juge devra toujours vérifier si un pacte fictionnel était susceptible d’être conclu par le lecteur. Par exemple, dans l’arrêt Esra, la Cour constitutionnelle allemande estimait que la plupart des faits relatés n’étaient pas susceptibles d’être perçus par le lecteur comme prétendant décrire la réalité. Les juges établissent toutefois une exception à propos des passages relatifs à la vie sexuelle du personnage. L’ancienne maîtresse de l’auteur ayant servi de modèle et étant identifiable derrière le personnage, les lecteurs la reconnaissant risqueraient, selon la Cour, d’avoir un doute quant à la réalité des descriptions. Inversement, si le livre de Matthieu Lindon contenait des scènes représentant les ébats sexuels de Monsieur Le Pen, on peut raisonnablement supposer qu’un juge aurait estimé que le lecteur n’était pas susceptible d’y voir une description de la réalité, n’imaginant pas que l’auteur puisse avoir une quelconque connaissance de tels faits.

Si le pacte fictionnel est conclu, si le juge ne dénote pas un risque important de confusion avec la réalité59 , alors la norme sanctionnant la diffamation ne peut pas être appliquée, car les propos litigieux ne sont pas référentiels, ne constituent pas l’allégation d’un fait.

Par contre, le statut non référentiel de l’énoncé ne s’oppose pas à l’application d’autres types de limites de la liberté d’expression.

C.2 Pas d’impunité de principe

La condamnation d’un « artiste » provoque souvent de vifs émois, on rappelle à quel point l’art est « nécessaire pour la démocratie », on invoque systématiquement le spectre du procureur Pinard, ou éventuellement l’entartete Kunst sous le national-socialisme.

Un des arguments avancés pour une « liberté absolue de l’art » est que chaque œuvre recèle une multitude de significations, autant que d’individus la contemplant ou la lisant60 . Même si l’on accepte cette théorie de la littérature, qui est cependant beaucoup trop simpliste pour emporter la conviction des plus grands spécialistes61, cela ne change rien à la possibilité d’appliquer les limites de la liberté d’expression aux énoncés artistiques, et plus précisément aux énoncés fictionnels. Dire que le juge doit donner une signification à l’énoncé litigieux, répétons-le, ne signifie ni qu’il n’existe qu’une seule interprétation possible, ni que celle choisie par le juge est « meilleure » que les autres.

La seule « immunité » dont jouit intrinsèquement un énoncé fictionnel dont le juge estime qu’il a « réussi » concerne la sanction de la diffamation. Par contre, un énoncé fictionnel peut parfaitement constituer une incitation à la haine, un écrit pornographique, ou une injure. Il est inutile de rechercher l’intention de l’auteur, comme le font parfois les tribunaux, se demandant si certains propos prononcés par un personnage reflètent la pensée de l’auteur62 . La signification de l’expression litigieuse doit être déterminée par le juge, en fonction de tous les éléments du contexte, et en s’efforçant d’adopter la perspective d’un « lecteur moyen ». A l’intérieur d’un pacte fictionnel que le juge estime réussi, des propos racistes (par exemple) ne seront pas forcément mais pourront être interprétés comme véhiculant la signification et ayant les effets visés par la norme interdisant l’incitation à la haine contre un groupe de personnes choisies en raison de leur origine. Tout dépendra des éléments du contexte, de la manière dont les propos litigieux apparaissent. Le seul fait qu’ils soient prononcés par un personnage de fiction ne permet nullement de préjuger de la décision juridictionnelle. On peut militer pour l’instauration d’une disposition constitutionnelle garantissant une « liberté de l’art »63 , mais il nous semble inexact d’affirmer que du statut « artistique » d’une expression découle automatiquement une immunité envers les restrictions prévues dans un ordre juridique64 .

Conclusion

Le fait que la signification d’un énoncé diverge de son sens littéral n’entraîne pas une immunité absolue envers les limites de la liberté d’expression. Seules les restrictions impliquant une affirmation référentielle sont inapplicables envers les énoncés fictionnels réussis. Il appartient donc à l’auteur de faire en sorte que le statut fictionnel de ses énoncés soit reconnaissable. Le juge décidera de sa réussite et confèrera une signification aux propos litigieux.

Répétons-le, cela ne revient pas à prétendre qu’il s’agit de l’unique ou de la « meilleure » interprétation. Peut-être (certainement) les spécialistes pourront être très critiques envers l’interprétation réalisée par le juge. Mais le fait que les juges ne soient pas forcément des experts en littérature ne change pas leur obligation d’interpréter les propos litigieux dans l’application des limites de la liberté d’expression. Leur incompétence « critique » ne retire rien à leur compétence juridique. De par leurs fonctions, les juge sont amenés à se prononcer sur des sujets très divers. Ainsi des juges ont-ils dû établir si une théorie était scientifique65 , si un travail relevait de la méthode historique66 , où encore si le fait de marcher entre deux trous était un élément substantiel du golf67. Les juges sont obligés de juger, et s’il est évidemment compréhensible que l’on critique leur inaptitude sur un sujet, on ne saurait en déduire qu’ils doivent s’abstenir de se prononcer, ne pas appliquer les normes générales qu’ils sont chargés de concrétiser. C’est plutôt la connaissance intime d’un sujet qui peut amener un juge à douter de sa capacité à rester neutre et donc à se récuser, tel un survivant d’Auschwitz appelé à se prononcer sur le cas d’un faussaire négationniste68 . Le fait qu’un juge ignore ce qu’est un « narrateur hétérodiégétique » est plus une aubaine qu’un inconvénient. C’est en effet la réception d’un hypothétique individu « moyen » que doit viser le juge pour interpréter l’énoncé litigieux, non pas l’analyse d’un spécialiste.

Ainsi, un certain espace de liberté est ouvert à l’ironiste habile. En effet, si nous nous sommes essentiellement concentrés sur les énoncés dont la signification sérieuse est passible d’une condamnation, il existe bien sûr également des situations inverses, où derrière un premier degré inoffensif se cache une signification susceptible de sanction. L’émetteur de l’expression aura alors intérêt à trouver la juste approche, rendant son intention claire pour son public-cible, mais invisible pour « l’individu moyen » construit par le juge. L’auteur maladroit ne peut s’en prendre qu’à lui-même, écrivait Karl Kraus : « c’est avec raison qu’est interdite la satire que le censeur parvient à comprendre »69 .

1 ATER en droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. thetomhoc@yahoo.fr

Qu’il nous soit permis de remercier les Professeurs Pascal Mbongo et Michael Rinn pour leur bienveillante relecture de ce travail, et pour les conseils qu’ils ont bien voulu nous prodiguer.

Le présent texte est une version légèrement remaniée d’un travail présenté au colloque Censure, Les violences du sens, organisé par le groupe interdisciplinaire de doctorants moniteurs de l’Université d’Aix-Marseille à Aix-en-Provence en novembre 2008, dont les actes paraîtront prochainement aux Publications de l’Université de Provence.

2 Cf. Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, 1999, p. 145 ss.

3 Selon la formule célèbre de Samuel Taylor Coleridge dans sa Biographia Literaria (1817), in The collected works, Princeton, Princeton University Press, t. VII, 1983, vol. 2, p. 6. Sur ce que Coleridge entendait réellement par là, cf. Antoine Compagnon, Le démon de la théorie, Paris, Seuil, 1998, p. 113.

4 Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 152.

5 Jean-Marie Schaeffer, ibid., p. 133 ss. Selon J.-M. Schaeffer, Marbot est une fiction qui n’a pas réussi. On peut cependant douter, au vu des éléments donnés par J.-M. Schaeffer lui-même, de l’absence d’intention de l’auteur de tromper ses lecteurs. Le livre ne contenait en effet aucune marque de fictionnalité, et regorgeait de marques d’historicité.

6 Gérard Genette, « Morts de rire » in Figures V, Paris, Seuil, 2002, p. 150-153.

7 Notons que le développement dans le langage « SMS » et « Internet » du « smiley » tend à remplir cette fonction. Le marqueur « clin d’œil », relevant de la mimique, trouve ainsi une traduction graphique : ;-).

8 Gérard Genette, « Mort de rire », op. cit, p. 152.

9 Pour une tentative originale de répondre au problème classique de la distinction entre l’humour et l’ironie, cf. Jean-Paul Kauffmann, « L’aigle à deux têtes », in Cécile GUERARD (dir.), L’ironie, Le sourire de l’esprit, Paris, Autrement,1998, p. 56 ss.

10 Cf. Philippe Hamon, L’ironie littéraire, Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette, 1996, notamment p. 125.

11 Ibid., p. 71 ss.

12 Ibid., p. 108.

13 Cf. Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987.

14 Cf. Philippe Hamon, op. cit., p. 84.

15 Ibid., p. 71.

16 Krysztof Pomian, « Histoire et fiction », Le débat, n°54, 1989, p. 115.

17 Cf. par exemple François Récanati, La transparence et l’énonciation, Paris, Seuil, 1979, p. 164 ss.

18 Cf. Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1996 (1975), p. 36.

19 Nous emploierons ces termes (« loi », « législateur », « juge ») par souci de simplification, mais il ne faut pas oublier que le concept ainsi visé est plus large que ce que l’on entend habituellement par ces mots. Par exemple, la loi votée par le Parlement n’est pas le seul type de normes limitant la liberté d’expression en France. De même, d’autres organes que le juge sont habilités à concrétiser les normes générales limitant la liberté d’expression.

20 Ou plus exactement leur signification. Cf. infra.

21 On peut supposer que le législateur est motivé par un souci d’efficacité, d’une adéquation de la norme à sa finalité qui est la protection d’un droit (dans l’exemple donné, la « réputation » ou la « personnalité »).

22 Cf. Pascal Mbongo, « Le traitement juridictionnel des offenses aux convictions religieuses », in Mélanges en l’honneur de Jean-François LACHAUME, Paris, Dalloz, 2007, p. 707.

23 BVerfG, 21 novembre 2002, 2 BvR 2202/01. Cf. aussi BVerfGE 45, 363 (371 s.) ; 48, 48 (56 s.) ; 86, 288 (311).

24 Martin Amis, Train de nuit, trad. fr. F. Maurin, Paris, Gallimard, 1999 (1997), p. 65.

25 Cf. Umberto Eco, Lector in fabula, trad. fr., M. Bouzaher, Paris, Grasset, 1985 (1979), notamment p. 71.

26 Cf. Wolfgang Iser, Der implizite Leser, Munich, Fink, 1972, p. 8 ss. ; cf. aussi Antoine Compagnon, op. cit., p. 177 ss.

27 De la même manière qu’une affirmation énoncée sérieusement peut être prise pour une plaisanterie, un texte peut être perçu comme fictionnel alors que cette intention n’animait pas son auteur. Cf. Thomas Pavel, Univers de la fiction, Paris, Seuil, 1988, p. 57, note 5.

28 Selon l’expression de François Cordier, in Emmanuel Decaux (dir.), Le droit face au racisme, Paris, Pedone, 1999, p. 56.

29 Hulton v. Jones [1910] AC 20 ; Cf. Eric Barendt, « Defamation and Fiction », in Michael Freeman et Andrew D. E. Lewis, Law and Literature, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 483 s.

30 Gérard Genette, « Les actes de fiction », in Fiction et diction, Paris, Seuil, 1991, p. 54.

31 Ibid., p. 55.

32 BGH, NJW 1952, pp. 1183 s.

33 Levinsky's, Inc. v. Wal-Mart Stores, 127 F.3d 122 (1997), p. 128. Evidemment, dans certains contextes, le mot « bâtard » peut revêtir une signification sérieuse.

34 BVerfGE 61, 1 (1982).

35 Pring v. Penthouse International Ltd, 695 F.2d 438 (1982). Dans le même sens, Cour suprême américaine, Hustler Magazine, Inc. et al. v. Jerry Falwell, 485 U.S. 46 (1988). Cf. Thomas Hochmann, « Caricature, blasphème et discours de haine », Ridiculosa, 15, 2008, p. 47 s.

36 Selon Lawrence Langer, une telle fiction ne saurait réussir, le lecteur étant insusceptible de « suspendre son incrédulité », confronté au fait historique de la mort de Hitler et à sa résurrection artistique. Lawrence L. LANGER : « Fictional Facts and Factual Fictions : History in Holocaust Literature », in Randolph L. BRAHAM (dir.), Reflections of the Holocaust in Art and Literature, Colombia University Press, New York, 1990, p. 118. Bien sûr, ici, l’« échec » de la fiction ne signifie pas que les propos sont perçus somme ayant une prétention référentielle.
Sur l’uchronie relative au nazisme, cf. Gavriel D. Rosenfeld, The world Hitler never made, Alternate History and the Memory of Nazism, Cambridge University Press, 2005.

37 Commonwealth v. Canter 269 Mass. 359 (1929).

38 Gérard Genette, « Les actes de fiction », op. cit., p. 60.

39 CEDH, 22 février 2007, Nikowitz et Verlagsgruppe News GmbH c. Autriche, § 25.

40 BVerfG, Esra, 1 BvR 1783/05 (2007), § 84. Cf. dans le même sens l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 septembre 2000, cité dans Emmanuel Pierrat, Le droit du livre, Editions du cercle de la librairie, 2ème éd., 2005, p. 148. Cf. aussi TGI Paris (17e ch.), 16 novembre 2006, Ministère Public c/ Bénier-Bürckel et a., Légipresse 2007, n°240-III, p. 73.

41 Cf. Emmanuel Pierrat, op. cit., p. 147 et 150 ; Eric Barendt, op. cit., p. 486.

42 Cf. en ce sens BVerfGE Esra, cité, § 151, op. diss. Hoffmann-Riehm ; BVerfGE 30, 173 (1971), Mephisto, pp. 213 s., op. diss. Stein.

43 Cass., 4 novembre 1997, Droit Pénal, 1998, comm. 33, note Michel Veron.

44 De l’esprit des lois, 1. XV, ch. V.

45 Cité dans Simone DELESALLE et Lucette VALENSI : « Le mot « nègre » dans les dictionnaires français d’ancien régime, histoire et lexicographie », Langue française, n° 15, 1972, p. 103.

46 Ibid.

47 Cf. les déboires de membres d’une minorité ayant exprimé ironiquement des propos haineux envers cette même minorité : R. v. Buzzanga and Durocher, (1979) 49 C.C.C. (2d) 369 (Ontario Court of Appeal).

48 Cf. une réaction stigmatisant le « racisme anti-corse » de la bande dessinée Astérix en Corse, cité dans Nicolas Rouvière, Astérix ou la parodie des identités, Paris, Flammarion, 2008, p. 147.

49 Cf. par exemple CEDH, 8 juillet 1986, Lingens c. Autriche.

50 Cf. Thomas Hochmann, « La protection de la réputation », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n°76, 2008, p. 1182 ss.

51 Certes, « il se peut que certaines personnes aient si peu confiance en leur jugement factuel qu’elles s’assoient toujours par terre de crainte que la chaise qu’elles voient ne soit qu’une apparition, mais nous ne sommes pas contraints de construire notre théorie [de la liberté d’expression] autour d’elles ». Frederick Schauer, « Categories and the first amendment : a play in three acts », Vanderbilt Law Review, n°34, 1981, p. 287.

52 CEDH, 21 octobre 2007, Lindon et al. c. France, § 55 ; Légipresse, n°255-III, 2008, p. 182 note Agnès Tricoire ; Revue de droit pénal et de criminologie, avril 2008, p. 400, note Thomas Hochmann ; Medialex, Revue suisse de droit de la communication, n°1/2008, p. 56, trib. Thomas Hochmann.

53 Cf. Patrick Wachsman : « Vers un affaiblissement de la protection de la liberté d’expression par la Cour européenne des droits de l’homme ? », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2009, p. 502.

54 Cf. Thomas Pavel, op. cit., p. 22.

55 Cf. Gérard Genette, « Les actes de fiction », op. cit., p. 49 s.

56 BVerfGE, Esra, cité, § 84.

57 Ibid., § 85.

58 BVerfGE, Esra, cité., § 76.

59 Cf. Nathalie Malet-Poujol, « De la biographie à la fiction : la création littéraire au risque des droits de la personne », Legicom n°24, 2001, p. 119.

60 Agnès Tricoire, « Quand la fiction exclut le délit », note sous TGI Paris (17e ch.), 16 novembre 2006, Ministère Public c/ Bénier-Bürckel et a., cité, p. 79.

61 Cf. par exemple Umberto Eco, Les limites de l’interprétation, trad. fr. M. Bouzaher, Paris, Grasset, 1992 (1990), p. 12 et 141 s. ; Antoine Compagnon, op. cit., p. 187 ss.

62 Cf. cour d’appel de Paris, 11ème ch., 13 septembre 2000, cité dans CEDH Lindon et al. c. France, cité, § 18.

63 L’exemple allemand, où la Loi Fondamentale comprend une telle disposition (article 5 alinéa 3), montre cependant que la « liberté de l’art » ne saurait être absolue. D’abord, une telle norme oblige le juge à déterminer si l’expression litigieuse entre dans la catégorie protégée, et donc à définir l’art. Or, définir c’est évidemment limiter. Ensuite, la Cour constitutionnelle allemande a jugé que l’art était susceptible d’être limité lorsqu’il entrait en conflit avec d’autres intérêts protégés par la Constitution. Sur ces questions, au sein d’une bibliographie pléthorique, on peut se référer à Daniel Beisel, Die Kunstfreiheitsgarantie des Grundgesetzes und ihre strafrechtlichen Grenzen, R. v. Decker’s Verlag, Heidelberg, 1997.

64 Cf., dans le même sens, Patrick Wachsmann, art. cit., p. 494 ss. ; et contra, Agnès Tricoire, « Quand la fiction… », art. cit. Cf. aussi la mise au point de Pascal Mbongo : « Réflexions sur l’impunité de l’écrivain et de l’artiste », Légipresse, 2004, n°213-II, p. 85 ss.

65 Kitzmiller v. Dover Area School District, 400 F.Supp.2d 707 (2005), à propos de l’Intelligent Design, nouvelle variante du « créationnisme scientifique ». Cf. Thomas Hochmann : « Constitution et religion : analyse de la jurisprudence américaine relative au créationnisme », Revue française de droit constitutionnel (à paraître).

66 Notamment à propos des écrits négationnistes. Cf. Thomas Hochmann, « Les limites à la liberté de l’« historien » en France et en Allemagne », Droit et Société, n° 69-70, 2008, p. 527 ss.

67 Cour suprême des Etats-Unis, PGA Tour, Inc. v. Casey Martin, 532 U.S. 661 (2001).

68 Cf. la brève déclaration  du juge Thomas Buergenthal jointe à la décision du Comité des droits de l’homme, 8 novembre 1996, Faurisson c. France.

69 Cité dans Daniel Beisel, op. cit., p. 136.

 

 

 

 

 

 

 

Design downloaded from free website templates.