Le narrateur
Sylvie Patron
Cet article a été publié en anglais dans l’ouvrage édité par Lasse R. Gammelgaard, Stefan Iversen, Louise Brix Jacobsen, James Phelan, Richard Walsh, Henrik Zetterberg-Nielsen et Simona Zetterberg-Nielsen, Fictionality in Literature : Core Concepts Revisited (2022). Il est republié ici avec l’aimable autorisation de The Ohio State University Press.
« Dans la lignée de l’important ouvrage de Richard Walsh, The Rhetoric of Fictionality, publié en 2007, Fictionality and Literature explore les implications d’une approche rhétorique de la fictionnalité. Cette approche considère la fictionnalité et la non-fictionnalité, non comme des opposés binaires, mais comme des moyens distincts utilisés pour la même fin : influer sur la compréhension du monde du public visé. En affirmant que la fiction n’est pas seulement le trait caractéristique de certaines œuvres comme les romans, mais constitue un instrument souple permettant aux auteurs et autrices d’atteindre des buts rhétoriques spécifiques, les contributeurs et contributrices de l’ouvrage proposent de nouvelles perspectives théoriques sur des concepts littéraires de base, tels que l’auteur, le narrateur, l’intrigue, le personnage, la conscience, la métaphore, la métafiction/la métalepse, l’intertextualité, le paratexte, l’éthique et la justice sociale. Combinant l’analyse d’un large éventail de textes, de Colson Whitehead, Charles Dickens, Kazuo Ishiguro, Toni Morrison, Geoffrey Chaucer et d’autres, avec celle d’événements historiques comme la fausse biographie de Nat Tate ou la tuerie d’Anders Breivik, les contributeurs et contributrices débattent non seulement de la définition rhétorique de la fictionnalité, mais aussi des conséquences plus larges d’une telle conception. Certains chapitres de l’ouvrage proposent aussi des alternatives au paradigme rhétorique, élargissant ainsi la représentativité de l’ouvrage eu égard à l’état présent des recherches sur la fictionnalité en littérature » (présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur, traduction Sylvie Patron).
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Le concept de narrateur est un des concepts essentiels de la théorie narrative, au sens où il concentre un haut degré d’abstraction, une riche signification historique et une forte résonance contemporaine. Cependant, il faut bien voir qu’une partie de son importance actuelle est liée aux problèmes qu’il soulève et aux controverses qu’il suscite (voir Patron, 2016 [2009], 2015, 2019, Patron, éd., 2020 et 2022).
Dans les dernières années, les controverses suscitées par le concept de narrateur ont pris la forme de l’opposition entre la théorie pan-narratoriale (selon le terme de Tilmann Köppe et Jan Stühring) et la ou les théories du narrateur optionnel. En bref, la théorie pan-narratoriale est la théorie de l’existence d’un narrateur fictionnel dans tous les récits de fiction. Les théories du narrateur optionnel contestent la validité de cette affirmation en s’appuyant sur différents arguments (voir Patron, éd., 2020 et 2022).
La reconsidération du concept de narrateur dans le cadre de la théorie rhétorique de la fictionnalité en littérature ne peut pas ne pas rencontrer la théorie exposée dans l’article de Richard Walsh, « Who Is the Narrator ? » et reprise dans The Rhetoric of Fictionality (voir Walsh 1997 et 2007b). Walsh est l’un des critiques les plus virulents de la théorie pan-narratoriale 1. Cependant, il ne peut pas être considéré pour autant comme le représentant d’une théorie du narrateur optionnel. Dans la première section de cet article, je présenterai, sous la forme d’une liste de cinq points, une version de la théorie de Walsh, que je ferai suivre de quelques remarques critiques. Dans la deuxième, je développerai l’une de ces remarques, relative au manque de perspective historique de Walsh. Je rappellerai que deux concepts de narrateur sont à l’origine du concept moderne de narrateur tel qu’il est utilisé dans la théorie pan-narratoriale. Il y a un premier concept, qui a été introduit pour rendre compte du caractère distinctif des romans-mémoires ou romans à la première personne au sens originel du terme (je l’appelle « le concept de narrateur originel »), et un nouveau concept qui vient de la controverse allemande sur les intrusions d’auteur à la fin du XIXe siècle et qui aboutit au narrateur de la théorie pan-narratoriale. Les deux concepts résument des questions très différentes, ce qui autorise à parler de deux concepts distincts. Walsh présente des arguments convaincants pour éliminer le second concept de sa théorie de la fictionnalité. Mais il ne voit pas que sa conception du narrateur comme renvoyant « ou [à] un personnage qui raconte, ou [à] l’auteur » (2007b, p. 78) revient à dissoudre le concept de narrateur, qui n’existe que dans et par la distinction entre l’auteur et le narrateur. Dans la troisième et dernière section, j’essaierai de montrer ce qu’une théorie rhétorique de la fictionnalité en littérature peut apporter à la compréhension et à l’usage du concept de narrateur. Je proposerai une version modifiée de la théorie de Walsh, basée sur l’opposition entre le narrateur (ou la narratrice) en tant que création de l’auteur (ou de l’autrice) et le narrateur en tant que création de la théorie. Comme Walsh, j’éliminerai le narrateur en tant que création de la théorie et j’envisagerai les avantages qu’il peut y avoir à revaloriser le narrateur en tant que consciemment et intentionnellement créé par l’auteur ou l’autrice.
I
La théorie du narrateur de Walsh peut se résumer dans les cinq principes suivants :
(1) Le problème de la fictionnalité ne peut pas être résolu en posant l’existence, dans tous les récits de fiction, d’un narrateur fictionnel considéré comme la source du discours fictionnel que constitue le récit. Walsh invoque deux arguments à l’appui de cette proposition. Premier argument : le narrateur fictionnel est censé raconter des faits « réels » ou réels-pour- lui (« fact » par opposition à « fiction », Walsh 2007b, p. 73) ; or, un certain nombre de faits présentés dans le récit de fiction, ou dans certains récits de fiction, sont de clairs indices du statut fictionnel des récits en question (c’est le cas de tout ce qui relève de la représentation des pensées privées des personnages : Walsh, reprenant les catégories de Gérard Genette, parle de « internal and free focalization », ibid. ). Ils sont donc en contradiction avec la logique sous-jacente au fait de poser un tel narrateur. Le deuxième argument se présente de façon plus subtile, voire implicite. Il a à voir avec la définition de « fictionnel » dans « narrateur fictionnel ». Walsh pose la question : « [...] “extradiégétique” semble avoir la force additionnelle de placer le narrateur en dehors de la représentation. Mais si le narrateur est fictionnel, où cela peut-il être ? » (p. 72 ; voir aussi les passages qui associent « fictional » et « represented » ou « characterized », par opposition à « uncharacterized », ibid. 72, 80, 84). On peut formuler le deuxième argument de la façon suivante : Le concept de narrateur fictionnel doit lui-même être expliqué et cela ne peut se faire que sur la base d’une théorie de la fictionnalité. En posant un narrateur fictionnel pour rendre compte de la fictionnalité du récit de fiction, on inverse tout simplement l’ordre de l’explication. Selon Walsh, le problème de la fictionnalité ne peut être résolu qu’en se fondant sur l’acte de l’auteur (réel) et non sur celui d’un narrateur fictionnel ou prétendument tel.
(2) Le concept de narrateur tel qu’il est conçu par les représentants de la théorie pan- narratoriale se caractérise par un manque de consistance interne. Deuxièmement, et plus fondamentalement, ce n’est pas une construction ontologiquement cohérente. Walsh prend pour point de départ la typologie de Genette, typologie à quatre termes : « homodiégétique » et « hétérodiégétique » (désignant respectivement un narrateur présent ou absent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte), « extradiégétique » et « intradiégétique » (désignant respectivement un narrateur présent dans un récit de premier ou de second niveau, dans le cas de récits à plusieurs niveaux). Il montre que tous les narrateurs homodiégétiques et intradiégétiques sont également représentés et sont donc des personnages ; le quatrième narrateur en revanche, le narrateur hétérodiégétique extradiégétique, pose un problème de ce point de vue, car il ou elle (en anglais, he, she ou it) peut ne pas être représenté et par conséquent peut difficilement être appelé un personnage. Walsh évoque également plus loin la révision opérée par Genette de la théorie du discours fictionnel de John Searle, qui aboutit à « poser un narrateur simultanément à l’intérieur et à l’extérieur de la fiction » (ibid., p. 75 ; voir aussi p. 84 pour une généralisation à l’ensemble des représentants de la théorie pan-narratoriale). Il me semble que c’est là une façon de dire que le narrateur n’est pas une construction ontologiquement cohérente.
(3) Walsh critique la tentation endémique chez les représentants de la théorie pan-narratoriale de faire d’une caractéristique du récit du fiction, ou de certains récits de fiction (la représentation des pensées privées des personnages ou au contraire leur dissimulation, dite « focalisation externe »), une caractéristique du narrateur à l’intérieur de la fiction ( « narrateur omniscient », « narrateur réticent » – exactement Walsh parle de « sustained narratorial reticence about the character’s thoughts », ibid., p. 74 ).
(4) Le « langage de la fiction » (comprendre : la matérialité langagière du récit de fiction) ne doit pas non plus être considéré systématiquement comme une caractéristique révélatrice du narrateur à l’intérieur de la fiction. Walsh rappelle la hiérarchie qui existe entre le langage de la fiction, qui est le « moyen de la représentation », et le (langage du) narrateur, qui fait partie des objets susceptibles d’être représentés dans le récit de fiction : « Ainsi, traiter une instance de narration représentée comme ontologiquement antérieure au langage qui fait la représentation équivaut à pousser la logique de la représentation hors de la représentation elle-même [to press the logic of representation beyond representation itself] et à faire du terme subordonné le terme superordonné, c’est-à-dire à énoncer un paradoxe au nom de la logique » (ibid., p. 80).
(5) La réponse proposée par Walsh à la question « Qui est le narrateur ? », qui constitue le titre de la première section du chapitre 2, est la suivante : « Le narrateur est toujours ou un personnage qui raconte, ou l’auteur » (ibid., p. 78). L’idée est que le narrateur hétérodiégétique extradiégétique, qui ne peut pas être représenté sans être rendu par là même homodiégétique ou intradiégétique, est impossible à distinguer de l’auteur du récit de fiction.
Cette esquisse de théorie exigerait de longs commentaires. Je me limiterai à quelques remarques, inspirées par mes propres travaux sur le problème du narrateur dans le récit de fiction (voir Patron, 2016 [2009], 2015, 2022).
J’adhère entièrement aux principes énoncés sous (1), (2), (3) et (4). Ils me semblent salutaires pour la théorie narrative. En revanche, je vois une contradiction entre la théorie (1)-(4) et le principe énoncé sous (5). La théorie (1)-(4) s’oppose à la théorie du narrateur fictionnel dans tous les récits de fiction. On peut appeler cette théorie une théorie du narrateur optionnel. Le point (5) apporte un élément nouveau, contradictoire avec ce qui précède, puisque dans cette version de la théorie, il y a bien un narrateur dans tous les récits de fiction (la question « Qui est le narrateur ? » présuppose l’existence du narrateur), mais celui-ci se subdivise en deux entités ontologiquement différentes, l’une fictionnelle, l’autre réelle (« Le narrateur est toujours ou un personnage qui raconte, ou l’auteur »). On ne peut plus parler de théorie du narrateur optionnel.
La critique formulée sous (2) selon laquelle le concept de narrateur dans la théorie pan- narratoriale n’est pas une construction ontologiquement cohérente peut être retournée contre son auteur lui-même, contre certains aspects de sa propre théorie. La réponse proposée par Walsh à la question « Qui est le narrateur ? », « Le narrateur est toujours ou un personnage qui raconte, ou l’auteur », revient très exactement à poser un narrateur simultanément à l’intérieur et à l’extérieur de la fiction. L’ensemble du chapitre est d’ailleurs caractérisé par une hésitation entre « narrator » = « fictional narrator » (Walsh, 2007b, p. 69-70, 72) et « narrator » ≠ « fictional narrator » (voir les expressions exprimant une alternative comme « either... or », dans lesquelles le narrateur fictionnel ne représente qu’un des termes de l’alternative, ibid., p. 78, 84).
On peut aussi utiliser contre Walsh l’argument que Franz Zipfel utilise contre Köppe et Stühring : « À partir du moment où l’auteur d’une narration fictionnelle est appelé son narrateur, cette assertion vaut pour toutes les narrations fictionnelles, qu’elles soient homo- ou hétérodiégétiques [...]. Cela nous place dans une étrange situation, puisque nous devons alors considérer que les récits de fiction homodiégétiques ont deux narrateurs, l’un fictionnel, l’autre réel » (2015, p. 56).
Ma dernière remarque concerne le manque de perspective historique de Walsh sur le concept de narrateur. Il est patent, par exemple, dans la première section du chapitre, qui prend pour point de départ la typologie de Genette. Walsh consacre une partie de sa démonstration à expliquer que le narrateur homodiégétique extradiégétique est un personnage au même titre que les narrateurs intradiégétiques, ce qui constitue un premier pas vers la conclusion : « Le narrateur est toujours ou un personnage qui raconte, ou l’auteur » (Walsh, 2007b, p. 78). Ce faisant, il oblitère le fait que le narrateur homodiégétique extradiégétique est précisément le type de narrateur pour lequel a été inventé le concept de narrateur 3. D’autres détails sont également discutables, voire erronés. C’est le cas lorsque Walsh écrit que Genette a remplacé « la distinction commune entre les narrateurs à la première et à la troisième personne » par « une opposition plus exacte entre l’implication et la non-implication dans le monde de l’histoire » (ibid., p. 70). En effet, la « distinction commune entre les narrateurs à la première et à la troisième personne » constitue une erreur historique, et deuxièmement, l’opposition entre l’implication et la non-implication ne peut pas être dite « plus exacte ». Les définitions traditionnelles des « récits à la première et à la troisième personne » (plus exactement des « romans à la première et à la troisième personne ») distinguent les récits (romans) dans lesquels le héros est « le narrateur de son histoire » (littéralement, « de son destin ») et les récits (romans) dans lesquels le héros est « une troisième personne dont les aventures nous sont racontées par l’auteur » (littéralement, « le poète ») 4 . La distinction n’est pas entre les « narrateurs à la première et à la troisième personne » mais entre les « romans à la première et à la troisième personne » et les personnes, « première ou troisième personne » qui servent à désigner les « héros ». En outre, « roman à la première personne» n’a jamais désigné autre chose que ce que Genette appelle récit homodiégétique ou, selon la formulation de Walsh, un récit dont le narrateur ou la narratrice est caractérisée par son implication dans le monde de l’histoire 5.
II
Le concept de narrateur (comprendre : le narrateur comme concept, par opposition aux usages non conceptuels dans lesquels le terme signifie simplement, en vertu de son suffixe, « celui qui raconte ») a été inventé pour rendre compte de la particularité des romans-mémoires ou romans à la première personne au sens originel du terme 6 7. Cette particularité est double ; elle consiste :
1) dans le fait que le personnage principal raconte lui-même son histoire à l’intérieur de la fiction (on peut parler de récit homodiégétique et même autodiégétique au sens de Genette) ;
2) dans le fait que ce récit effectué à la première personne n’est pas inclus dans un récit de fiction à la troisième personne (il est extradiégétique, si tant est que le terme ait un sens dans le cas d’un récit à un seul niveau).
Jusque-là, l’emploi de la première personne, sous forme essentiellement orale, était réservé aux récits secondaires, insérés dans un récit de fiction à la troisième personne (récits intradiégétiques au sens de Genette)8. Le « je » était celui d’un personnage, désigné par un nom propre, présenté aux lecteurs sous l’angle de son histoire, de ses relations, de ses caractéristiques personnelles, dans le récit-cadre à la troisième personne. Il n’y avait pas besoin d’un concept de narrateur différent à la fois des concepts d’auteur et de personnage, que la théorie narrative classique avait hérités de Platon et de Diomède 9.
Dans « Renaissance Voices Echoed », Jeffrey M. Rothschild s’est intéressé aux usages sporadiques des narrateurs (homodiégétiques) à partir de la fin du XVIe siècle et au cours du XVIIe siècle dans la prose narrative anglaise. Sa thèse est que la redécouverte par Daniel Defoe de l’usage des narrateurs au début du XVIIIe siècle et la prolifération des œuvres employant des narrateurs dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle ont permis l’émergence du concept théorique et critique de narrateur au début du siècle suivant.
Lorsqu’il s’agit de comparer des concepts, homonymes ou hétéronymes, il est bon de commencer par se demander quelles sont les questions qui se trouvent résumées, synthétisées pour ainsi dire, dans ces concepts. Dans le cas du concept originel de narrateur, ces questions sont les suivantes :
— un « je », qui n’est pas celui de l’auteur ou de l’autrice, qui est celui d’un personnage de la fiction (ce personnage se distingue de l’auteur ou de l’autrice par son nom et éventuellement aussi par son sexe, avant même de s’en distinguer par son histoire) ;
— un pacte de factualité à l’intérieur de la fiction, le narrateur ou la narratrice étant censée faire un récit factuel, en l’occurrence le récit de sa vie ;
— une restriction de l’information narrative à ce que peut connaître le narrateur ou la narratrice, mais aussi à ce qu’il ou elle peut se remémorer de façon vraisemblable (pensées privées des autres personnages, dialogues) ;
— une opposition plus ou moins marquée entre le « je » de l’expérience et le « je » de la narration.
Il existe aussi des questions qui, sans être véritablement résumées dans le concept de narrateur, sont régulièrement associées à son usage dans les discours théoriques et critiques. C’est le cas de la confusion fréquemment commise par les lecteurs entre l’auteur et le narrateur : les exemples sont nombreux, dans les métatextes d’écrivains, les préfaces par exemple, de déclarations selon lesquelles, malgré l’emploi du « je », il ne faut pas confondre l’auteur et le narrateur 10. C’est le cas aussi de ce qu’on peut appeler la « mimèsis formelle » (Michał Głowiński), c’est-à-dire l’imitation, par le moyen d’une forme donnée, d’autres modes de discours littéraires, paralittéraires et extralittéraires, ainsi que du langage ordinaire. Elle donne lieu à des appréciations le plus souvent positives : on parle de l’effet de vérité propre au roman à la première personne ; on loue la réussite de l’imitation de la façon de parler des gens ordinaires. Les auteurs et les commentateurs reviennent aussi régulièrement sur les limites de ce mode narratif : restriction de l’information narrative à ce que peut connaître le narrateur ou la narratrice et à ce qu’il ou elle peut se remémorer de façon vraisemblable, mais aussi penchant vers l’analyse et l’introspection, ce qui peut être en contradiction avec certains traits de caractère ou certaines caractéristiques sociales du narrateur ou de la narratrice. Enfin, une question importante qui apparaît chez Charles Lamb, par exemple, est celle de l’élimination de la présence de l’auteur : dans le récit de fiction à la première personne, l’auteur disparaît complètement à travers l’usage du narrateur ou de la narratrice, et cette disparition donne lieu à nouveau à des appréciations positives. Lamb, par exemple, exprime simultanément son aversion pour les intrusions de l’auteur en son nom propre (cité dans Patterson, 1952, pp. 379-380).
Il convient de noter que le concept originel de narrateur va de pair avec une conception dualiste ou différentialiste du récit de fiction, qui fait du récit de fiction à la première personne un cas particulier de récit de fiction.
Mais il existe un deuxième concept de narrateur, d’origine et de nature différente. Celui- ci émerge en Allemagne dans le contexte de la controverse sur les intrusions d’auteur (voir Frey, 1948). En résumé, l’auteur doit-il s’abstenir complètement de faire des commentaires personnels, position défendue par Friedrich Spielhagen, ou au contraire est-il dans la nature même du récit de fiction que l’auteur fasse intrusion dans l’histoire, position défendue entre autres par Käte Friedemann dans Die Rolle des Erzählers in der Epik (1910). Ces considérations entraînent deux remarques importantes :
1) le narrateur n’est pas distingué de l’auteur chez Spielhagen ni chez aucun des écrivains impliqués dans cette controverse ; la distinction apparaît en revanche chez Friedemann, même si c’est de façon non systématique (voir 1965 [1910], p. 26 et passim) ;
2) les récits de fiction considérés sont des récits de fiction à la troisième personne (même si on trouve aussi dans l’ouvrage de Friedemann des références au récit de fiction à la première personne et au concept de narrateur originel).
On constate également la présence d’un élément nouveau (ou plus exactement, utilisé de façon nouvelle), qui est la référence au drame. Le drame est érigé en modèle pour le roman chez Spielhagen et les autres défenseurs de « l’objectivité » ou de la « dramatisation » du roman. En revanche, le drame est placé dans un rapport d’opposition structurelle avec le roman chez Friedemann, le drame étant associé à l’absence de narrateur, le roman à la présence structurellement nécessaire d’un narrateur 11.
J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un concept homonyme mais totalement différent du concept de narrateur originel. Les questions qu’il résume sont différentes :
— certes, il y a un « je » dans les récits de fiction à la troisième personne « avec intrusions », mais ce « je » n’est précisément pas celui d’un personnage de la fiction ; en outre, il n’y a aucun « je » dans le type de récits de fiction à la troisième personne « sans intrusions », prôné par Spielhagen et concerné aussi par la réflexion de Friedemann ;
— les questions de restriction de l’information narrative ou de respect de la vraisemblance ne se posent pas, pas plus que celle de l’opposition entre le « je » de l’expérience et le « je » de la narration ;
— la présence d’un narrateur différent de l’auteur chez Friedemann est posée comme la caractéristique essentielle du récit de fiction par opposition au drame.
Ce nouveau concept de narrateur va de pair avec une conception moniste du récit de fiction, qui ne voit pas de différence fondamentale entre les récits de fiction à la première et à la troisième personne (autrement dit, qui relègue la différence effective, empirique, entre les récits de fiction à la première et à la troisième personne à un rang secondaire).
Il serait trop long de décrire toutes les étapes de l’évolution qui a conduit du concept de narrateur interne (ou « organique »), considéré comme une nécessité narratologique chez Friedemann, au narrateur fictionnel, considéré comme une nécessité narratologique chez les représentants de la théorie pan-narratoriale actuelle. Je me contenterai de citer Franz Stanzel : « [La] reconnaissance de la fictionnalité du narrateur à la première personne a précédé la reconnaissance de la fictionnalité du narrateur à la troisième personne. La fictionnalité du narrateur à la troisième personne auctorial n’a commencé à être largement reconnue qu’au milieu des années 1950 » (1984 [1979] : 81)12 13.
On a là, de façon très résumée et simplifiée, la généalogie du concept de narrateur fictionnel, considéré comme une nécessité narratologique chez les représentants de la théorie pan-narratoriale actuelle. C’est ce concept que Walsh entend éliminer de la théorie de la fictionnalité, « précisément dans la mesure où il est compris comme structurellement nécessaire à la logique représentationnelle du récit de fiction » (2007b, p. 69).
On peut voir là aussi l’origine des obscurités et des contradictions de la théorie pan- narratoriale. L’opposition entre les deux concepts de narrateur, le concept originel et le nouveau concept de narrateur, qui vient de la controverse sur les intrusions d’auteurs, est irréductible. Le concept de narrateur originel renvoie à une réalité effective, empirique, qui distingue le récit de fiction la première personne des autres prototypes narratifs disponibles à une période donnée. Le second concept de narrateur renvoie à un objet théorique, une abstraction ou une construction, non à une donnée empirique (même si, chez Friedemann, le narrateur peut être révélé empiriquement dans les passages appelés traditionnellement « intrusions d’auteur »). Walsh a l’intuition de la différence de nature entre les deux concepts quand il écrit que tous les narrateurs homodiégétiques et intradiégétiques, « parce qu’ils sont représentés, sont des personnages » et que « c’est la quatrième catégorie, la narration extradiégétique hétérodiégétique [...] qui constitue le réel problème » (ibid., p. 72). Pour rendre compte de cette différence, dans la section suivante, j’utiliserai une autre opposition, entre le narrateur en tant que création de l’auteur ou de l’autrice et le narrateur en tant que création de la théorie.
III
Dans cette section, je voudrais montrer ce que la théorie rhétorique (pragmatique) de la fictionnalité en littérature peut apporter à la compréhension du concept de narrateur : 1) la revalorisation du concept de narrateur en tant que création de l’auteur ou de l’autrice (intégrant le concept de narrateur originel sans nécessairement coïncider avec lui ni s’y réduire) ; 2) l’élimination du concept de narrateur en tant que création de la théorie, et plus spécifiquement en tant qu’entité créée par la théorie dans le but de décharger l’auteur de toute responsabilité pour les « faits » du récit de fiction. Il me semble nécessaire pour cela de renoncer au cinquième principe de la théorie de Walsh telle que je l’ai présentée : Le narrateur est toujours ou un personnage qui raconte, ou l’auteur. Je précise aussi que, dans toute cette section, « narrateur » signifie « narrateur fictionnel ».
(1) La conception de la fictionnalité en littérature comme produit d’une « agentivité et [d’une] intention communicative » (Nielsen, Phelan et Walsh, 2015, p. 64) ou comme « invention intentionnellement signalée dans la communication » (Zetterberg Gierlevsen, 2016 ; Nielsen, 2017) entraîne naturellement la revalorisation du concept de narrateur en tant que création de l’auteur ou de l’autrice, et simultanément l’exclusion de toute possibilité de « narrateur par défaut », si l’on entend par là un narrateur qui n’aurait pas été créé consciemment, intentionnellement, par l’auteur ou l’autrice. Selon cette conception, la réussite de la communication dépend de la manifestation et de la reconnaissance d’intentions. Que se passe-t-il dans le cas qui nous intéresse ? Premièrement, l’auteur ou l’autrice rend manifeste son intention de faire reconnaître aux lecteurs une certaine information, à savoir : l’auteur ou l’autrice a cessé de se conformer aux contraintes de référentialité (= fictionnalité) ; deuxièmement, il ou elle manifeste son intention de faire reconnaître aux lecteurs une information supplémentaire, à savoir : il y a un narrateur ou une narratrice, c’est-à-dire un personnage qui raconte l’histoire, et il ou elle se conforme aux contraintes de référentialité à l’intérieur de la fiction (= fictionnalité par « feintise », pour utiliser le terme de Käte Hamburger). C’est le cas, par exemple, dans les premières phrases de roman suivantes : « Blas de Santillane, mon père, après avoir longtemps porté les armes pour le service de la monarchie espagnole, se retira dans la ville où il avait pris naissance » (Alain-René Lesage, Gil Blas) ; « En 1632, je naquis à York, d’une bonne famille, mais qui n’était point de ce pays » (Daniel Defoe, Robinson Crusoe, traduction de Petrus Borel) ; « Mon véritable nom est si bien connu dans les archives ou registres des prisons de Newgate et de Old Bailey et certaines choses de telle importance en dépendent encore, qui sont relatives à ma conduite particulière, qu’il ne faut pas attendre que je fasse mention ici de mon nom ou de l’origine de ma famille [...] » (Daniel Defoe, Moll Flanders, traduction de Marcel Schwob) ; « Le titre que je donne à mes Mémoires annonce ma naissance [...] » (Pierre de Marivaux, Le Paysan parvenu) 14. Ces exemples sont extraits de romans-mémoires ou romans à la première personne au sens originel du terme. Mais on peut leur adjoindre l’exemple suivant, qui n’est pas issu de ce genre de romans : « Je suis le narrateur – un narrateur discret et effacé. Ce livre n’est pas centré sur moi. J’ai connu – quoique superficiellement dans la plupart des cas – un certain nombre des personnages du drame, et j’ai vécu (et vis toujours) dans la ville où se sont déroulés les événements racontés ci-après » (Iris Murdoch, L’Élève du philosophe, p. 28 15). Ici aussi, l’autrice manifeste textuellement son intention de faire reconnaître aux lecteurs l’information selon laquelle il y a un narrateur, c’est-à-dire un personnage qui raconte l’histoire et qui se conforme aux contraintes de référentialité à l’intérieur de la fiction.
De l’autre côté, la communication engage un travail de construction mentale de la part des lecteurs. L’inférence permet de construire mentalement, à partir de propositions déjà identifiées, des propositions nouvelles (ou « implications contextuelles ») : par exemple, à partir de la proposition « Il y a un narrateur ou une narratrice, c’est-à-dire un personnage qui raconte l’histoire, etc. », la proposition selon laquelle il va probablement y avoir une restriction de l’information narrative à ce que peut connaître le narrateur ou la narratrice et à ce qu’il ou elle peut se remémorer de façon vraisemblable. Cette opération se fait toujours sous la contrainte d’une maximisation de la pertinence. Il convient de préciser que, dans cette conception, les lecteurs sont des lecteurs ordinaires (Walsh se réfère à « tous les lecteurs, qu’ils soient sophistiqués ou naïfs, pourvu qu’ils ne soient pas simplement crédules », 2007b, p. 70) ; autrement dit, il ne s’agit pas seulement de quelques théoriciens et critiques dont le choix de percevoir ou d’inférer un narrateur dépend de préférences et de convictions théoriques antérieures.
L’auteur ou l’autrice peut manifester son intention de faire reconnaître aux lecteurs l’information selon laquelle il y a un narrateur ou une narratrice, c’est-à-dire un personnage qui raconte l’histoire, etc., dans le texte mais également dans le paratexte du roman (ou du recueil de nouvelles) : « Le Lys dans la vallée étant l’ouvrage le plus considérable de ceux où l’auteur a pris le moi pour se diriger à travers les sinuosités d’une histoire plus ou moins vraie, il croit nécessaire de déclarer ici qu’il ne s’est nulle part mis en scène » (Balzac, préface du Lys dans la vallée, p. 915). Ou, pour prendre un exemple plus récent : « Je tiens à clarifier un aspect de ces récits. Le lecteur constatera qu’un bon nombre d’entre eux sont relatés à la première personne. [...] Mais le “je” qui écrit la nouvelle participe de sa distribution au même titre que les acteurs qu’elle met en scène. Héros, spectateur ou confident, il reste un personnage » (Somerset Maugham, préface, Madame la Colonelle et vingt-trois autres nouvelles, n. p.). Le cas de Flaubert dans Madame Bovary (cas évoqué brièvement par Walsh, au titre des « aberrations catégorielles », 2007b, p. 81) complique les choses de manière intéressante 16. On voit que le fameux « nous » de la première phrase, qui crée un narrateur provisoire pour les premières pages de Madame Bovary, n’apparaît ni sur le brouillon ni sur la copie auctoriale 17. Ce n’est qu’au dernier moment, sous la forme d’un ajout marginal sur la copie du copiste, que Flaubert a modifié la première phrase et introduit le « nous » initial18 . On perçoit à travers cet exemple à quel point la notion d’intention de l’auteur est importante (il n’y a pas d’ambiguïté sur le caractère intentionnel de l’introduction du « nous ») et à quel point elle est complexe également : l’intention de l’auteur se cherche et se construit progressivement, et ce n’est, bien sûr, qu’une fois qu’elle s’est trouvée qu’elle peut être rendue mutuellement manifeste, c’est-à-dire manifeste à la fois pour l’auteur ou l’autrice et pour les lecteurs. Un peu plus loin, Flaubert organise la disparition du narrateur dans une formule qui, elle aussi, apparaît sous une forme plus ou moins similaire dans les brouillons : « Il serait maintenant impossible à aucun de nous de se rien rappeler de lui [Charles Bovary] ». On peut l’interpréter comme un congé définitif donné à la forme du récit de fiction à la première personne dans l’œuvre de Flaubert.
De l’autre côté, les inférences faites par les lecteurs sont provisoires, elles sont susceptibles d’être remises en cause au cours de la lecture, elles peuvent être erronées. C’est le cas de la proposition concernant la restriction de l’information narrative à ce que peut connaître le narrateur et à ce qu’il peut se remémorer de façon vraisemblable, dans l’exemple de L’Élève du philosophe. On peut citer ce commentaire trouvé sur Internet : « C’est vraiment la voix narrative qui m’a dérangée. Il s’agit surtout d’un procédé prétentieux ici [It is very much a conceit here]. Le narrateur se présente lui-même sous le nom de N, nomme la ville entière d’après son propre nom (Ennistone – ha ha), et s’emploie ensuite à nous montrer le fonctionnement interne profond de l’esprit de chacune des personnes [qui l’habitent]. La chose est déjà assez difficile à réaliser lorsque c’est simplement le fait de l’Auteur Magiquement Omniscient, mais elle devient franchement bizarre quand c’est le fait d’une personne de l’histoire, tangentielle aux événements [Which is hard enough to pull off when it’s simply the Magical Omniscient Author doing it, but outright weird when it’s a person in the story, tangential to the events, doing it] » 19. Ce que nous dit cette lectrice, c’est qu’elle a été déçue dans son attente de pertinence.
La théorie admet donc des cas particuliers et parfois problématiques, comme ceux qui sont évoqués dans le chapitre de Walsh : élimination du narrateur de À la recherche du temps perdu « chaque fois que les buts de Proust exigent l’omniscience que son narrateur lui interdit » ; absence de Huckleberry Finn « dans les parties du roman où Twain représente adéquatement les différents dialectes de la vallée du Mississipi » ; et on pourrait en citer beaucoup d’autres (Walsh lui-même constate que « dans le cas du discours direct, c’est presque toujours le langage du personnage lui-même qui est représenté, et non la représentation par le narrateur de ce langage », 2007b, p. 81). L’important est de toujours considérer le narrateur ou la narratrice comme une création de l’auteur ou de l’autrice, création qui peut dans certains cas n’être ni continue, ni consistante.
Il y a un but à cette création : c’est là un des points sur lesquels peut porter l’inférence conçue comme un processus déductif et généralisé. Par exemple, l’attribution du récit à des personnages situés au plus bas de l’échelle sociale dans les romans picaresques et néo-picaresques, ou à des femmes en rupture de ban, comme Moll Flanders (« Mon véritable nom est si bien connu dans les archives ou registres des prisons de Newgate et de Old Bailey [...] »), peut être interprétée à la fois comme un déplacement, une forme d’expérience de pensée de la part de l’auteur ou de l’autrice qui écrit le récit du narrateur ou de la narratrice, et comme une invitation pour les lecteurs à opérer un déplacement comparable, une semblable expérience de pensée, sur la base du texte qu’ils lisent. Dans d’autres romans, l’attribution du récit à tel ou tel personnage (par exemple, au chevalier Des Grieux dans l’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut) peut être interprétée comme impliquant la volonté de préserver le mystère d’un autre personnage (Manon Lescaut, dont on n’a pas précisément le récit des faits).
Tout ce qui vient d’être dit sur le narrateur s’applique également aux narrateurs non fiables (évoqués par Walsh, ibid., pp. 78-79) et aux narrateurs impossibles, reconceptualisés dans la « narratologie non naturelle » comme « narrateur non naturels » (voir Alber et al., 2010, p. 116 et passim). Comme l’écrit Walsh, « la non-fiabilité ne peut pas être attribuée à un narrateur impersonnel : elle doit être motivée en termes de psychologie du personnage narrant » (2007b, p. 79). Voir aussi Ansgar Nünning, un des meilleurs spécialistes de la narration non fiable : « L’effet général de ce qui est appelé narration non fiable consiste à rediriger l’attention du lecteur du niveau de l’histoire vers celui du locuteur et à mettre en avant les particularités de la psychologie du narrateur » (2018, p. 127). De la même façon, la non-naturalité ne peut pas être attribuée à un narrateur impersonnel, pour reprendre cette expression contradictoire, caractéristique de la théorie pan-narratoriale : elle doit être créée comme une particularité du personnage narrant. Il convient d’ailleurs de souligner que, pour provoquer l’effet de défamiliarisation associé à la narration non naturelle, le paradoxe doit se faire très insistant et pointer explicitement l’invention : narrateurs animaux ou objets inanimés, narrateurs qui racontent leur propre mort, narrateurs télépathes (terme préférable à celui d’« omniscient », qui a engendré tant de confusions), comme Saleem Sinai, le narrateur des Enfants de Minuit de Salman Rushdie (« De la télépathie alors ; les monologues intérieurs des multitudes dites grouillantes, des masses et des classes, jouant des coudes pour avoir un peu d’espace dans ma tête », p. 245). La comparaison avec Saleem Sinai amène à penser que N, le narrateur de L’Élève du philosophe, n’est pas un narrateur non naturel, ou en tout cas ne l’est pas de la même façon que Saleem Sinai. Sa non-naturalité n’est pas créée comme une particularité, un don exceptionnel possédé par le personnage narrant ; elle ne peut être considérée que comme un effet du texte lui-même et de la nature des informations qu’il contient. Elle n’est thématisée qu’à la fin du roman, qui se termine par une métalepse : « La fin d’une histoire est toujours déterminée arbitrairement. Puisque je termine maintenant celle-ci, quelqu’un dira peut-être : Mais comment diable savez-vous tout cela sur tous ces gens ? Eh bien, où une personne s’achève-t-elle et où commence la suivante ? C’est mon rôle, dans la vie, que d’écouter les histoires. J’ai également bénéficié de l’assistance d’une certaine dame » (p. 604). On pourrait parler de non-naturalité métafictionnelle, pour la distinguer la non-naturalité fictionnelle de Saleem Sinai. Elle ne met pas en jeu les mêmes inférences, ni le même degré ou niveau de pertinence dans les deux cas.
Concernant ce que Walsh appelle le « langage de la fiction » (comprendre : la matérialité langagière du récit de fiction), il peut être rendu manifeste par l’auteur ou l’autrice et reconstruit par les lecteurs comme une particularité ou plutôt un ensemble de particularités caractérisant l’usage linguistique du narrateur ou de la narratrice (éventuellement non fiable, non naturelle) à l’intérieur de la fiction. C’est le cas, par exemple, dans les romans picaresques et néo-picaresques, avec un langage fréquemment qualifié de « bas ». Mais cela n’a rien de systématique. On ne retrouve pas cette différenciation du langage du narrateur ou de la narratrice par rapport à celui de l’auteur ou de l’autrice dans d’autres romans à la première personne, ni dans L’Élève du philosophe par exemple.
(2) La théorie intentionnaliste-pragmatique de la fictionnalité en littérature permet d’éliminer du champ de la théorie littéraire le concept de narrateur en tant que création de la théorie. Comme le rappelle Walsh, « le but du narrateur est de décharger l’auteur de toute responsabilité pour les “faits” du récit de fiction » (2007b, p. 74). Cette phrase peut apparaître comme la version abrégée de la conclusion d’un article de Marie-Laure Ryan, représentante de la théorie pan-narratoriale : « La thèse défendue dans cet article met donc en relation la logique de la fiction avec non seulement deux mais au moins trois catégories ontologiques : non seulement avec le type d’entités représentées par Tolstoï et Anna Karénine, mais avec une entité créée dans le seul but de décharger Tolstoï de la responsabilité impliquée dans l’affirmation qu’Anna Karénine est une personne réelle » (1981, p. 537 ; voir aussi Ryan, 2014, p. 46, n. 10). La théorie de la fictionnalité de Walsh amène à faire l’économie de cette entité théorique, dans la mesure où elle vise précisément à rendre compte des mêmes faits sans son concours : « Tout ce que nous pouvons expliquer en considérant les fictions comme des constructions référentielles projetant des mondes fictionnels, nous pouvons aussi l’expliquer, sans laborieuse contorsion, normes restrictives, paradoxe ou redondance, en envisageant la fiction comme l’usage sérieux de la capacité représentationnelle du langage dans des buts fictifs – imaginaires, non littéralement assertifs [the serious use of a language’s representational capacity for fictive – imaginary, not literally assertive – purposes] [...] » (Walsh, 2007a, p. 32).
Avec l’élimination du concept de narrateur en tant que création de la théorie, se trouvent éliminés également les innombrables problèmes posés par cette entité. Certains sont évoqués dans le chapitre de Walsh : un certain nombre de faits présentés dans le récit de fiction, ou dans certains récits de fiction (ou encore certaines affirmations à propos des pensées privées d’Anna Karénine dans le roman éponyme), sont de clairs indices du statut fictionnel des récits en question ; ils sont donc en contradiction avec la logique sous-jacente au fait de poser un narrateur dans ces récits. Ou encore : en parlant de « narrateurs omniscients », on substitue une explication interne à la fiction à une explication externe, liée aux intentions de l’auteur ou de l’autrice et aux conventions représentationnelles, mais l’explication externe est beaucoup plus pertinente que la première (« L’“omniscience”, selon moi, n’est pas une faculté possédée par une certaine classe de narrateurs, mais précisément une qualité de l’imagination auctoriale [...]. [L]e lecteur n’est pas obligé de faire l’hypothèse d’un narrateur qui serait réellement omniscient pour naturaliser l’acte imaginatif auctorial », Walsh, 2007b, p. 73 ; je suggère de remplacer « réellement » par « fictionnellement » ou « à l’intérieur de la fiction »).
(3) La théorie admet que le récit de fiction puisse contenir des propositions dans lesquelles l’auteur ou l’autrice se conforme aux contraintes de référentialité (ce que Walsh appelle des propositions informatives). Elle admet également que l’auteur ou l’autrice puisse s’adresser directement aux lecteurs (exactement, à des lecteurs hypothétiques, postulés par l’auteur ou l’autrice au moment où il ou elle écrit), sous la forme de ce que la théorie narrative traditionnelle appelle des intrusions d’auteur. René Démoris s’exprime ainsi à propos du Roman comique de Scarron : « [...] seul le moins caricatural des personnages, Destin, a droit à une courte autobiographie conforme aux canons du récit secondaire, le seul “je” qui apparaisse régulièrement dans le roman étant celui d’un auteur qui s’applique à souligner le caractère fictionnel de l’œuvre, c’est-à-dire sa propre différence avec les personnages » (op. cit., p. 21). Il ne s’agit pas de nier l’existence de l’auteur intrusif, que Paul Dawson (2013) appelle le « narrateur omniscient » et dont il étudie le retour dans la fiction du XXIe siècle. La meilleure façon de rendre compte de ces récits, selon moi, est celle de Hamburger : « Lorsque la fonction narrative dans un roman devient indépendante et se transforme en un Je narratif ou auctorial, ce dernier feint d’être un véritable sujet d’énoncé. Mais cette feinte n’affecte en rien la structure du texte narratif fictionnel. Le narrateur pour ainsi dire présente un petit récit à la première personne qui reste en dehors du roman et dont il est lui-même le héros. Celui-ci se sépare du roman proprement dit comme l’huile de l’eau [...] Le Je auctorial, qui est ici engagé dans un jeu sur lui-même, ne fait en aucun cas partie des personnes fictionnelles de l’œuvre » (1986 [1957, 1968], p. 296 ; je modifie la traduction) 20. Un des arguments en faveur de cette description est le caractère délimitable et la suppressibilité des intrusions d’auteur 21. Hamburger distingue clairement ensuite le récit auctorial (ou récit de fiction à la troisième personne « avec intrusions ») et le récit de fiction à la première personne, en tant que récit à la première personne d’un personnage.
*
Dans l’ensemble de cet article, j’ai utilisé l’argument historique (le fait qu’on n’ait pas toujours pensé la narration de fiction comme on la pense aujourd’hui dans la théorie pan-narratoriale), dans le but de compléter, améliorer et au total renforcer la théorie exposée dans l’article de Walsh, « Who Is the Narrator ? », et reprise dans The Rhetoric of Fictionality. Il y a une dimension que je n’ai pas abordée, qui est celle de l’enseignement. Le concept de narrateur doit en effet être considéré comme une création conjointe de la théorie et de l’école, l’école ayant pris le relais de la théorie (en tout cas en France, avec la théorie de Genette). Avec l’élimination du champ de la théorie littéraire du concept de narrateur en tant que création de la théorie et le retour au narrateur ou à la narratrice en tant que création de l’auteur ou de l’autrice, on peut espérer voir la fin du calvaire infligé aux élèves et aux étudiants, tenus de distinguer, d’une manière aussi méticuleuse qu’obscure, l’auteur et le narrateur dans tous les récits de fiction, et de chercher partout les signes de l’existence d’un narrateur qui n’est dans bien des cas qu’une invention de la théorie et de la pédagogie, transformée finalement en doxa populaire.
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Notes
1 Walsh n’utilise pas l’expression « théorie pan-narratoriale », mais il évoque « l’hypothèse » de « l’ubiquité du narrateur » (2007b, p. 174, n. 1), ce qui en constitue une paraphrase. Je précise ici que toutes les traductions des citations sont de moi.
2 C’était également le titre et la première phrase de l’article de 1997, reprise par la suite comme « ma question de départ » (Walsh, 1997, pp. 495 et 505).
3 Voir Patron (2016 [2009], pp. 15-19) et infra section II, sur le concept de narrateur originel et sa nécessité pratique.
4 Spielhagen (1969 [1883], p. 66). Je rappelle ici la définition traditionnelle du roman à la première personne, en laissant de côté le cas, qui apparaît assez rapidement dans l’histoire du genre, du roman à la première personne dans lequel le narrateur n’est pas le héros mais un personnage secondaire et un témoin de l’histoire du personnage principal.
5 Ce paragraphe concernant les erreurs historiques de Genette et, à sa suite, de Walsh, ainsi que la section suivante, peuvent se retrouver sous une forme différente et plus développée dans Patron (2016 [2009]).
6 Sur le roman à la première personne en France, voir Démoris (2002 [1975]).
7 Pour la première occurrence du concept de narrateur dans un texte théorique, voir Barbauld (1804), citée dans Rothschild (1990, p. 22). Voir aussi Allott (1977 [1959], p. 258-260) pour l’intégralité du texte de Barbauld, et Patron (2016 [2009], pp. 249-250) pour sa traduction en français, datée de 1808.
8 Je laisse de côté le cas des romans picaresques espagnols.
9 Voir Camille Esmein-Sarrazin (2008, p. 437) : « Le statut de l’auteur ou du narrateur est une question rarement abordée de front dans les textes théoriques et critiques [français du XVIIe siècle], et la distinction explicite entre ces deux instances n’apparaît jamais ». Il semble que la situation soit identique en Angleterre.
10 Voir Patron (2016 [2009], Annexe 2, notamment pp. 252, 255, 256) : textes de Balzac, Proust et Raymond Radiguet. La première édition de cet ouvrage contenait plus de textes ou d’extraits de textes, y compris étrangers (Conrad, Vera Nabokov), qui ont dû être supprimés pour des raisons de droits.
11 Pour une présentation détaillée de l’arrière-plan théorique de Friedemann, emprunté à la poétique de Goethe et de Schiller, je renvoie les non-germanistes à Gerber (1968).
12 Stanzel fait ici allusion à Stanzel (1955) et surtout à Kayser (1957).
13 Je renvoie à Pieper (2015), pour une étude détaillée et fine du cas de l’interprétation des Affinités électives de Goethe avant et après Kayser (1957). J’adhère aussi à l’affirmation suivante de Pieper : « Il est important de réaliser [...] que cela [la reconnaissance de la fictionnalité du narrateur à la troisième personne] n’était pas une découverte empirique. Il s’agissait en fait d’une stipulation qui a profondément modifié les habitudes de lecture et de questionnement » (ibid., p. 87).
14Tous ces ouvrages sont disponibles en ligne sur le site Gallica.
15 Voir les références bibliographiques en fin d’article.
16 Voir l’édition des manuscrits de Madame Bovary, édition intégrale sur le web, http://www.bovary.fr.
17 Voir http://www.bovary.fr/folio_visu.php?folio=1592&mode=sequence&mot= et http://www.bovary.fr/folio_visu.php?mode=sequence&folio=&org=3&zoom=50&seq=1
18 Voir http://www.bovary.fr/folio_visu.php?folio=1048&mode=sequence&mot=. Pour être tout à fait exact, il faut préciser que des « je » et des « nous » apparaissent dans les brouillons d’autres passages contenus dans le premier chapitre du roman.
19 Rachel Hartman, 1er avril 2013, https://www.goodreads.com/book/show/11238.The_Philosopher_s_Pupil (je traduis).
20 On peut remplacer « la fonction narrative », qui prend sens dans le système théorique de Hamburger, par « la rhétorique de la fictionnalité » au sens de Walsh.
21 Henri Coulet évoque, par exemple, la traduction ou plutôt l’adaptation de Tom Jones par Pierre Antoine de La Place (1750), qui « défigure complètement l’original en supprimant les discours et les digressions de l’auteur », afin de se conformer au goût du public français de l’époque (voir Coulet 2000 [1967], p. 392).
publié le 22/02/2023