Impossible n’est pas fictionnel 1

Frank Wagner (Université Rennes 2)

« Madame, si c’est possible, c’est fait ;
impossible, cela se fera. »
(Charles-Alexandre de Calonne à Marie-Antoinette)

« Impossibilités » : de l’intolérance axiologique à la vraisemblance pragmatique

Dans le monde réel, un locuteur humain, s’il entend du moins produire une assertion sérieuse sur le double plan logique et pragmatique, donc comme telle recevable, ne peut pas, au sens littéral de l’expression, dire « Je suis mort » 2. Pourtant, en régime fictionnel, on sait que cette impossibilité tombe, comme l’attestent « La vérité sur le cas de M. Valdemar 3 » d’Edgar Allan Poe, ou les Mémoires posthumes de Brás Cubas 4 de Machado de Assis, entre autres exemples. La fiction « autothanatographique » 5 constitue certes un cas particulier, au côté de nombre d’autres phénomènes – animaux parlants, objets dérogeant aux lois de la physique, paradoxes temporels et/ou logiques, configurations narratives tératologiques, etc. -, qui mériteraient également d’être pris en considération ; et le seront, en temps et en heure. Mais l’exemple du narrateur mort n’en contribue pas moins à porter d’emblée un éclairage utile sur la question de l’impossibilité dans le domaine de la fiction, où bien des limitations en vigueur dans l’univers réel ne sont pas reconductibles. Du moins est-ce ce que je souhaiterais établir ici.

Mais, pour ce faire, encore convient-il de s’accorder quant à l’acception des termes « impossible » et « impossibilité » que l’on décide de retenir comme base de la réflexion. Pour l’essentiel, je m’en tiendrai, comme dans mon exemple introductif, à la définition initiale que propose le Trésor de la Langue Française : « Qui ne peut être, dont l’existence est exclue. Evénement impossible. Que deux soit à la fois pair et impair est impossible […] ». Quant à l’« impossibilité », la même source la définit, sans surprise, comme le… « Caractère de ce qui est impossible ». Si, aussi minimale soit-elle, la définition d’« impossible » par le TLF se révèle en l’occurrence précieuse, c’est notamment parce que ses auteurs précisent qu’elle doit être entendue « D’un point de vue objectif », de sorte que l’impossibilité peut en quelque sorte y être considérée comme consubstantielle au phénomène évoqué. Sans doute la notion d’objectivité est-elle problématique, a fortiori dès lors qu’il est question de fiction, dont on voit mal comment l’appréhension pourrait advenir en l’absence d’un carrefour intersubjectif impliquant a minima un auteur et un récepteur – lecteur, auditeur, spectateur, etc., selon les propriétés du média en cause. Mais, à ce stade du raisonnement, et quitte à l’amender par la suite si le besoin s’en faisait sentir, la précision possède le mérite de s’opposer au verdict subjectif d’impossibilité porté par un individu ou un groupe, au nom de valeurs contingentes ; et ce quelle que soit leur prétention à l’universalité.

Impossible versus inacceptable

Afin de l’illustrer aussi clairement que possible, partons de la célébrissime citation d’Adorno  : « […] écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes6  » Force est de faire observer que l’impossibilité décrétée par Adorno n’est évidemment pas du même ordre que celle dont témoignerait par exemple une transgression des lois de la géométrie, comme dans le cas d’un « cercle carré ». Autrement dit, dans la mesure où elle repose sur des fondements éthiques, dont en l’occurrence le bien-fondé n’est pas la question, l’écriture de poèmes après Auschwitz ne relève pas de l’impossible mais éventuellement de l’inacceptable – les nombreux poèmes malgré tout publiés depuis la découverte des camps d’extermination suffiraient à l’établir.

Sans doute les poèmes ne sont-ils qu’exceptionnellement des fictions ; mais si ce rappel importait, c’est que, dans le second de ces domaines également, il advient somme toute fréquemment que la représentation de telle ou telle topique soit décrétée « impossible », toujours sur la base de critères d’ordre éthique. Pour ne pas trop nous écarter de l’exemple précédent, un tel décret pourrait alors se formuler comme suit : « Il est impossible d’écrire un roman sur la Shoah. » Or, plus clairement encore que dans la citation d’Adorno, ce type d’assertion, fondé sur l’intolérance d’un public donné, ou plutôt d’une frange du public, à certaines représentations, témoigne d’un usage que l’on peut juger, sinon impropre, du moins abusif, car trop extensif, de la notion d’impossibilité. De nouveau, plutôt qu’« impossibles », ce qu’ils ne sont pas (voyez La Mort est mon métier 7 de Robert Merle, La Flèche du temps 8 de Martin Amis, Le Nazi et le barbier 9 d’Edgar Hilsenrath, Les Bienveillantes 10 de Jonathan Littell, etc.), si l’on en tient pour cette opinion, de tels choix représentatifs gagneraient à être qualifiés de « scandaleux », « honteux », « intolérables », etc. – ce qui présenterait l’avantage de mettre en lumière la dimension à la fois subjective et éthique de leur condamnation. S’il a paru nécessaire de le signaler, c’est que l’époque actuelle se montre particulièrement prompte à se scandaliser, comme l’atteste, dans le champ des études littéraires, la vogue que connaît la critique éthique, dans la lignée des travaux d’une Martha Nussbaum 11, par exemple. Or, si l’on peut parfaitement comprendre que la représentation fictionnelle de certains sujets « sensibles » heurte tel lecteur ou telle lectrice, voire tel groupe dont ils seraient représentatifs, ce n’est pas là une raison suffisante pour décréter son impossibilité. Quelle que soit, hors littérature, mon indignation face aux pratiques pédophiles, je ne saurais sur cette base dénier aux auteurs de fiction la possibilité de créer à partir d’une telle topique ; comme Nabokov dans Lolita 12 ou Robbe-Grillet dans La Reprise 13, etc 14. Bref, aussi stimulante la conception subjective de l’« impossibilité » soit-elle, qui implique de réfléchir aux relations complexes de l’esthétique, de l’éthique et du juridique (dans les cas de censure), elle ne saurait pleinement ressortir à mon propos, dont elle aura toutefois permis de définir les limites a contrario.

« Impossibilité » et vraisemblance pragmatique

En revanche, de l’impossibilité au sens « objectif » du terme s’approchent davantage, voire participent parfois, les configurations narratives dont les théoriciens de la littérature ont pu analyser les tenants et aboutissants à l’enseigne de la vraisemblance pragmatique. Après bien d’autres 15, que l’on me permette à mon tour d’en dire deux mots. Ainsi doit-on convenir que, dans le monde réel, nul sujet humain ne saurait se prévaloir d’un pouvoir d’omniscience. En particulier, nous ne saurions accéder directement à l’intériorité psychique de tierces personnes. Certes, ce que les narratologues nomment la « focalisation interne » constitue une stratégie dont nous usons fréquemment dans le cadre de nos relations interpersonnelles, mais toujours sous la forme d’une attribution hypothétique d’états mentaux à autrui 16. Autrement dit, en contexte mondain 17, compte tenu de nos limitations cognitives, nous ne pouvons restituer la vie mentale et/ou affective de celles et ceux qui nous entourent qu’en usant de modalisations, du type « X doit penser que… » L’aptitude à accéder sans médiation à l’intériorité psychique d’autrui constitue donc cette fois une impossibilité stricto sensu, « objective », si l’on veut. Or chacun sait que cette capacité de sonder les reins et les cœurs est largement partagée par les narrateurs de maintes fictions, du moins dans le cas du récit hétérodiégétique 18 – c’est-à-dire lorsque l’instance narrative n’est pas présente en tant que personnage à l’intérieur de l’histoire qu’elle raconte (voyez Hugo, Stendhal, Balzac, Zola, Flaubert, Maupassant, etc.) 19. A la rigueur, en l’occurrence, peu importe que l’on emploie le terme d’« omniscience » (Genette s’y refuse 20), ou que l’on parle de focalisation interne variable, multiple, ou de focalisation zéro : l’essentiel est de reconnaître que le narrateur, en régime fictionnel, possède sans contredit ce pouvoir de capter et de restituer la vie psychique des divers personnages peuplant l’histoire qu’il raconte ; et ce sans qu’il soit tenu à la moindre modalisation, ou à la plus minime explication légitimante. Le narrateur de L’Éducation sentimentale 21 nous révèle ce que perçoit, pense et éprouve Frédéric Moreau, sans même que nous pensions à lui demander des comptes quant à l’origine de son pourtant fantastique savoir. Les cas de la focalisation interne et de la focalisation zéro permettent ainsi de démontrer à peu de frais que certaines impossibilités de la vie réelle deviennent d’indéniables possibilités en régime fictionnel.

Mais l’intérêt de cet exemple réside aussi voire surtout dans le caractère très progressif, tant aux yeux des auteurs que des lecteurs, de l’acceptation du paradoxe du narrateur « omniscient ». En effet, selon Cécile Cavillac 22, ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que la figure d’une instance narrative dotée d’un savoir illimité devient acceptable. Auparavant, le narrateur de roman était comptable de son degré d’information, et devait le justifier, bien souvent par un recours massif à la fonction testimoniale. Ce n’est donc que très graduellement que l’omniscience narratoriale a pu se muer en convention, au point d’ailleurs que la plupart des écrivains n’éprouvent plus le besoin de justifier cette capacité, et que l’immense majorité des lecteurs ne songent pas un instant à la mettre en question – aussi longtemps du moins que le texte ne la signale pas expressément à leur attention. Sans doute une telle configuration narrative continue-t-elle de susciter l’intérêt et la perplexité des théoriciens du récit : d’une part parce qu’un procédé aussi manifestement irréaliste se trouve abondamment mis à contribution dans les romans les plus réalistes ; d’autre part parce que ce choix technique vaut incitation à scruter de plus près la nature de l’instance ainsi affranchie des contraintes en vigueur dans la communication humaine. Narrateur fantastique ? Entité ontologiquement ambiguë ? Narration sans narrateur ? 23 Aux questions posées par l’illimitation du savoir de l’instance narrative en régime fictionnel, les réponses sont, on le sait, nombreuses et contradictoires ; mais ce n’est pas le lieu d’en débattre. Ce qui doit plutôt en l’occurrence nous requérir est la progressive naturalisation 24 et/ou la conventionalisation 25 de ce procédé pourtant en droit, et originellement en fait, paradoxal et irréaliste. Se trouve ainsi clairement mise en exergue l’historicité des conditions d’établissement de la vraisemblance pragmatique, ce qui devrait inciter les analystes à la prudence, puisqu’il apparaît que, dans le champ de la fiction, à la croisée des pôles artistique et esthétique, l’impossibilité d’hier peut fort bien devenir une possibilité de demain. En outre, sur la foi de cet exemple, nous pouvons être tentés de quelque peu nuancer la dichotomie de l’objectif et du subjectif. Certes, hors fiction, compte tenu des indéniables limitations cognitives de l’être humain, l’omniscience est une compétence rigoureusement impossible, et un tel verdict relève bien de l’objectivité. En revanche, dans le champ de la fiction, la situation se révèle plus ambiguë ; dans la mesure où la conventionalisation de la narration omnisciente ne saurait être réduite au point de vue subjectif de tel lecteur individuel, ou même d’un groupe restreint de lecteurs. Sans qu’on puisse aller jusqu’à parler d’objectivité au sens plein du terme, l’acceptation a priori du procédé au titre de convention de la narration romanesque participe de ce que Jauss 26 nommait l’horizon d’attente, excédant opinions privées ou groupusculaires – puisqu’il s’agit d’un ensemble d’attentes et de règles du jeu, largement partagées par les partenaires de la communication littéraire (auteurs, lecteurs, critiques) à une époque donnée. A cet égard, et sans pour autant perdre de vue sa mobilité historique, le recours à la focalisation interne ou zéro en régime fictionnel fait donc de nos jours plutôt figure de possibilité, à la fois avérée par la pratique et cautionnée par le public. Peut-être l’objectivité possède-t-elle en définitive ses degrés…

Si l’éventualité que les « normes » de lisibilité puissent muter au fil du temps, à la faveur d’écarts esthétiques progressivement résorbés, ne constitue pas une révélation bouleversante, du moins ce facteur décisif de l’évolution des formes littéraires et de leur réception méritait-il d’être rappelé, en vue d’illustrer la contingence des critères présidant à la vraisemblance pragmatique. D’autant que ces réflexions permettent également d’éclairer, toutes choses étant égales par ailleurs, une autre configuration, fréquemment rapprochée de la précédente par les théoriciens : la narration simultanée au présent 27. Pourtant, de prime abord, cette option ne paraît pas poser le même type de problème, dans la mesure où, hors fiction, elle ne relève aucunement de l’impossibilité épistémologique : en atteste clairement la pratique du reportage, par exemple sportif 28. Que l’on pense au cas de la retransmission radiophonique d’un match de football, où le temps de la narration (le commentaire) coïncide presque exactement avec celui de l’histoire (les actions) – nonobstant l’infime décalage dû à la durée que requiert la verbalisation, et dont témoigne le débit précipité de certains commentateurs, comme celui du regretté Eugène Saccomano…. Contrairement à l’omniscience, il s’agit donc bien là d’une possibilité avérée, et somme toute fréquente dans la pratique. Mais, si les théoriciens ont raison de rapprocher ces deux configurations, c’est que, transposée dans le champ des récits fictionnels, la narration simultanée au présent, à son tour, ne va pas sans paradoxes ; d’une intensité variable en fonction du type de relation de personne. En relation hétérodiégétique (disons dans un récit « à la 3ème personne »), sans doute le phénomène demeure-t-il discret, au point de passer bien souvent inaperçu. Mais, comme le signale Genette, analysant l’usage du présent de l’indicatif dans quelques romans, notamment à la fin d’Eugénie Grandet 29 de Balzac, il y a tout de même là quelque chose de troublant, puisqu’une instance précisément définie par son absence de la diégèse y semble ainsi peu ou prou… présente – ce dont l’auteur de Nouveau Discours du récit rend compte, avec sa coutumière subtilité teintée d’humour, en parlant d’« homodiégétisation 30 » de la relation hétérodiégétique… A propos du roman de Balzac, où le procédé n’est que ponctuel, le diagnostic paraît recevable, mais il serait difficilement reconductible dans le cas d’une narration impersonnelle simultanée intégralement menée au présent de l’indicatif, tant le statut du narrateur, à la fois absent et présent de la diégèse, s’y trouverait mis en évidence, et paraîtrait alors relever de la contradiction dans les termes 31.

Or, selon la plupart des analystes, le caractère aporétique de cette configuration narrative se trouve passablement renforcé en relation homodiégétique, disons dans le cas d’un récit « à la 1ère personne ». En effet, contrairement à ce qui avait cours en mode hétérodiégétique, cette fois le sentiment d’être confronté à une impossibilité vaut non seulement pour la fiction mais aussi pour l’existence réelle ; du moins si l’on souscrit à cette affirmation de Dorrit Cohn : « La vie nous apprend que nous ne pouvons pas la raconter pendant que nous la vivons, pas plus que nous ne saurions la vivre pendant que nous la racontons 32. » Sans doute pourrait-on envisager telle ou telle exception à cette « règle », sous la forme d’un reportage à la 1ère personne, où le sujet narrerait et enregistrerait (par exemple au moyen d’un dictaphone) les événements qu’il vit au fur et à mesure qu’ils lui adviennent ; mais le cas paraît appelé à demeurer marginal. Sa rareté peut d’ailleurs s’expliquer : à suivre Jon-Arild Olsen 33, sur le plan de leur structure temporelle respective, action et narration doivent être distinguées, car la première relève de la prévision (le but futur visé par l’agent), la seconde de la rétrospection (l’explication a posteriori des actes accomplis). Dès lors, l’idée même de narration simultanée serait intrinsèquement contradictoire, et pourrait passer pour une « impossibilité conceptuelle 34 ». Peut-être est-ce aller un peu loin, en raison de la prépondérance ainsi accordée à la dimension sémantique de l’activité narrative, élue comme critère de sa pertinence ; mais il n’en reste pas moins que le découplage de ces deux strates temporelles aux orientations inversement symétriques paraît régir l’immense majorité des récits (factuels et fictionnels), comme la réception que nous en faisons. Que telle en soit ou non l’explication, du moins conviendra-t-on que, hors fiction, la narration simultanée au présent et à la première personne, si elle n’est pas rigoureusement impossible, demeure malgré tout hautement improbable, et en tout cas extrêmement rare dans la pratique.

Il s’ensuit que sa « déclinaison » fictionnelle ne saurait être analysée en termes de « mimèsis formelle 35 », puisque, dans le monde réel, fait défaut le type de discours répertorié dont il s’agirait, pour les écrivains, d’imiter les propriétés. Le soutenir suppose bien sûr, comme l’a très rigoureusement fait Dorrit Cohn 36, de distinguer la forme qui nous intéresse du présent historique, peu ou prou doté d’une valeur de passé, et à l’origine d’un effet d’hypotypose – qui se rencontre indéniablement pour sa part dans le récit factuel, de type testimonial ou historiographique. En vertu notamment de son caractère global, la narration simultanée ne reconduit pas cette spécificité sémantique, de sorte que le présent de l’indicatif y apparaît en fin de compte temporellement indéterminé 37. C’est ce qui incite Cohn à affirmer que « la narration simultanée implique une situation narrative 38, mais qui défie toute tentative de se la représenter en termes qui seraient conformes à la vraisemblance 39 » – la nature de la relation entre le discours et sa source déjouant toute tentative d’explication réaliste (enregistrement, journal intime, etc.). Aussi pourrait-on être tenté de conclure à l’impossibilité d’une telle posture verbale, contraire à tous les usages (codifiés) de la narration, y compris fictionnelle, puisque l’écart entre temps de la narration et de l’histoire, et entre « je »-narrateur et « je »-personnage, s’y trouve annulé.

Pour autant, aussi tératologique soit-elle, cette configuration est de plus en plus souvent actualisée dans les fictions contemporaines, de Martereau 40 de Nathalie Sarraute à En attendant les barbares 41 de John Maxwell Coetzee, en passant par La Servante écarlate 42 de Margaret Atwood, etc. Peut-être est-ce d’ailleurs ce qui incite Cohn, d’ordinaire plus réticente face aux formes anomiques, à se montrer somme toute accueillante à l’égard de la narration simultanée au présent. De fait, elle entreprend, dans ses propres termes, de la « normaliser », en raison notamment de l’intérêt esthétique qu’elle y décèle, sous les aspects d’une « focalisation absolue de l’expérience narrée 43 », puisque compte rendu et réflexion s’y trouvent inextricablement mêlés. De plus, par-delà les prédilections de l’auteur du Propre de la fiction, cet exemple singulier nous offre plus généralement la possibilité de saisir sur le vif la naturalisation, voire la conventionalisation, d’une hypothétique impossibilité fictionnelle – narrative, en l’occurrence.

On comprend donc pourquoi et comment la narration homodiégétique simultanée au présent peut être rapprochée de la narration omnisciente, à l’enseigne de la vraisemblance pragmatique, considérée sous l’angle de son évolution historique. Dans l’un et l’autre cas, en effet, une forme a priori sinon rigoureusement impossible, du moins improbable, en raison de son caractère paradoxal voire aporétique, investit graduellement le domaine de la narration romanesque, sans plus susciter de rejet de la part des lecteurs, qui n’en paraissent plus même percevoir l’invraisemblance. Toutefois, Dorrit Cohn y insiste à juste titre, l’acceptation de telles formes est facilitée par leur discrétion quant au paradoxe respectif qui les fonde, suppression de tout écart temporel entre action et narration dans un cas, illimitation du savoir du narrateur dans l’autre. Ce silence des textes sur le caractère anomique de leur configuration paraît bien constituer un paramètre décisif de leur recevabilité aux yeux du (grand) public.

Mais qu’en est-il dans une perspective restreinte, celle des spécialistes de théorie du récit ? Cohn conclut son enquête sur la narration simultanée en précisant que la rupture que cette forme institue avec les normes traditionnelles « attend toujours d’être intégrée dans les systèmes narratologiques 44 » ; que ceux-ci relèvent d’une exploration des virtualités narratives, comme chez Genette ; ou plutôt d’une appréhension de l’évolution historique que connaissent les formes narratives, comme chez Stanzel. Peut-être peut-on le concéder, mais si l’affirmation était recevable à l’époque de son émission, elle ne le serait plus guère de nos jours, tant la narration simultanée, entre autres procédés anomiques, a suscité l’intérêt de ce que l’on nomme désormais la « narratologie non naturelle 45 ». Il convient donc à présent d’envisager la question des « impossibilités » fictionnelles au prisme de cette perspective spécifique, où, on va le voir, elle occupe une place de choix.

De l’« impossible » au « non naturel »

Sans trop entrer dans les détails, rappelons simplement que, comme l’indique sa désignation, la narratologie non naturelle entend prendre le contrepied de la narratologie « naturelle » ; telle que l’a définie Monika Fludernik 46 – estimant pour sa part que le cadre cognitif du récit naturel, ou conversationnel, constituerait le prototype de tout récit. Tel est précisément le postulat que contestent certains narratologues, quant à eux convaincus que ce modèle ne permet pas d’analyser un nombre non négligeable de formes narratives, en particulier 47 celles qu’inventent les auteurs de la modernité et de la postmodernité, rompant de façon plus ou moins virulente avec les canons de la narration « ordinaire ». Mais il faut aussitôt ajouter que « la » narratologie non naturelle ne constitue pas une discipline unifiée et homogène, et qu’au contraire, comme l’a montré Sylvie Patron 48, les définitions et les choix de méthode de ses représentants sont non seulement souvent divergents, mais aussi parfois contradictoires. Toutefois, en dépit de cette disparité, on peut convenir que la question du traitement de l’impossibilité par la fiction narrative représente un dénominateur commun de ces divers travaux, par exemple ceux de Brian Richardson, Jan Alber, Stefan Iversen 49, etc. Mon propos n’étant pas d’offrir un panorama de la narratologie non naturelle, je souhaiterais plutôt montrer comment certains de ses tenants abordent les liens de la fiction et de l’impossible.

Dans cette perspective, on peut éprouver la tentation de distinguer divers types d’impossibilités, selon qu’elles affectent l’univers de la fiction (la « diégèse » genettienne), la narration elle-même, ou ces deux axes à la fois. Du premier cas de figure relèverait par exemple la représentation d’animaux parlants, du deuxième une narration posthume, du troisième une histoire de fantômes racontée sous forme de narration homodiégétique simultanée au présent. De fait, lorsque l’on se plonge dans les travaux des spécialistes de narratologie non naturelle, on s’avise sans surprise que la plupart d’entre eux on envisagé de telles distinctions ; mais qu’ils les interprètent parfois de façon diamétralement opposée. Examinons-les donc, en commençant par ce que je nommerai pour ma part les « impossibilités » diégétiques – mais sans préjuger de la possibilité de chevauchements entre ces diverses « catégories » 50.

« Impossibilités » diégétiques

Dans le vaste domaine de la fiction narrative, la représentation d’entités ou de phénomènes contraires aux lois physiques régissant le monde réel est à la fois si ancienne, fréquente et codifiée, que leur caractère en droit impossible risque fort de passer inaperçu dans le cadre des lectures empiriques. Certes, nous savons pertinemment que, hors fiction, les animaux ne s’expriment pas en langage articulé, et que les fées n’existent pas davantage que les fantômes, les vampires, les elfes, ou les trolls. Pour autant, nous acceptons sans mal de les voir peupler contes, fables, romans animaliers, récits merveilleux, cycles ou séries d’heroic fantasy, etc. ; où leur éventuelle cohabitation au sein d’un même univers avec des personnages anthropomorphes ne nous heurte pas davantage – voyez, entre autres multiples exemples, L’Épée brisée  51 de Poul Anderson. A l’examen, l’acceptation pour ainsi dire « réflexe » de semblables phénomènes résulte de la convergence de plusieurs paramètres. Tout d’abord la notoire « suspension momentanée et volontaire de l’incrédulité » 52 qui, face à une fiction, nous prédispose à adopter une posture de « feintise ludique 53 », donc à accepter le temps de la lecture de faire comme si ce qui nous est raconté existait et/ou était vrai, tout en sachant que ça n’est pas le cas. Ensuite les conventions génériques, qui contribuent notablement à naturaliser la représentation de phénomènes surnaturels : en atteste l’exemple de la résurrection, parfaitement acceptable pour nous à partir du moment où il advient dans un espace fictionnel spécifique, régi par les codes du merveilleux ou du fantastique. Enfin la facture même du récit, respectueuse des « normes » de la narration « naturelle », et reconduisant sans distorsion les cadres cognitifs sur lesquels elle se fonde : agir, raconter, percevoir et faire l’expérience. La conjonction de ces facteurs – auxquels on pourrait ajouter la cohérence du storyworld – finit ainsi par occulter aux yeux de la majeure partie des lecteurs le caractère pourtant impossible (hors fiction) de telles représentations.

Or leur naturalisation est précisément ce qui conduit Brian Richardson à les exclure du champ couvert par la narration non naturelle, partant du domaine de la narratologie attachée à son étude – et ce contrairement à Jan Alber 54, par exemple. Voici, pour mémoire, en quels termes l’auteur de « De la narratologie non naturelle 55 » procède à cette exclusion :

[…] je fais une distinction nette entre ce qui est d’ordre antimimétique, c’est-à-dire qui s’oppose aux conventions de la narration non fictionnelle et réaliste, et ce qui est d’ordre non mimétique, c’est-à-dire qui utilise des modèles certes différents des modèles ordinaires mais tout aussi marqués par la convention, dans la façon de fabriquer des histoires (les genres non mimétiques ou non réalistes incluent les contes merveilleux et les œuvres fantastiques, par exemple). Selon moi, les œuvres du deuxième type ne doivent pas être considérées comme non naturelles 56.

On observe donc que, pour Richardson, le non naturel peut être « traduit » par antimimétique, et s’inscrit dans une relation de ferme opposition aux présupposés de la narration non fictionnelle, mais aussi aux codes de la fiction réaliste-mimétique, et aux genres endoxaux. Une telle définition restreinte peut certes se comprendre et se défendre. Chacun perçoit ainsi intuitivement que la nature et les enjeux des phénomènes irréalistes ne sont pas du même ordre chez Robert E. Howard (la représentation de nécromanciens dans les aventures de Conan 57) ou chez Robert Coover (l’espace anomique à l’origine de « boucles » narratives dans Noir 58). Toutefois, la position de Richardson peut à plus d’un titre paraître embarrassante : tout d’abord parce que se trouvent ainsi a priori écartés nombre de textes pourtant eux aussi susceptibles de nous éclairer quant aux propriétés paradoxales de la fiction, comme des lectures que nous en faisons. Ensuite parce que cette concentration de l’attention critique sur les seules fictions antimimétiques semble sous-tendue par un désir de valorisation des écritures « disruptives », « transgressives », « dénudantes », pas très différent en son principe de l’axiologie d’un certain modernisme (celui du « Nouveau Roman », en particulier 59), qui aujourd’hui, avec le recul du temps, nous paraît témoigner d’une vision à la fois partielle et partiale de la littérature. Enfin, et peut-être surtout, parce que la distinction du non mimétique et de l’antimimétique est beaucoup plus délicate à opérer en texte que ne l’affirme Richardson. Le rapide survol de quelques exemples devrait permettre de l’établir. L’intrigue de Stalker. Pique-nique au bord du chemin 60 des frères Strougatski est ainsi centrée sur la découverte d’artefacts abandonnés par des visiteurs extraterrestres dans les parages de la ville d’Harmont. Parmi ceux-ci sont notamment évoquées les « creuses », décrites comme des assemblages de deux disques métalliques entre lesquels il n’y a à la fois rien et quelque chose. En l’occurrence, on le voit, il n’est pas si aisé de trancher : je peux indifféremment opter pour l’hypothèse non mimétique, en excipant de l’argument science-fictionnel du roman ; ou à l’inverse pencher plutôt pour l’hypothèse antimimétique, en soulignant l’alliance dans une même entité fictionnelle de deux qualités antinomiques – ce qui, dans la terminologie de Gerald Prince 61, relèverait de l’« alternarré ». Quant à la facture du texte, elle saurait difficilement tenir lieu de paramètre discriminant, car si elle ne relève pas de l’expérimentation formaliste stricto sensu, elle consiste tout de même en l’articulation de formes narratives variées (témoignage, compte rendu d’expérience, narration hétérodiégétique, etc.). Au moment de formuler un verdict, le poids des idées reçues sur les différents genres ou sous-genres littéraires 62 risquant de se révéler fourvoyant, dans le doute, sans doute serait-il donc plus prudent de s’abstenir.

En attesterait également l’exemple de Borges, dont la réputation d’auteur moderniste, renforcée par l’usage insistant qu’il fait de l’érudition dans ses nouvelles, incitera sans doute bien des analystes à considérer a priori comme antimimétiques les divers objets impossibles (variantes du triangle de Penrose) que recèlent ses fictions - de l’Aleph au Zahir, en passant par le livre de sable ou le disque d’Odin. L’hésitation paraît pourtant de nouveau possible : par exemple, le dernier item mentionné est décrit 63 comme un disque pourvu d’une seule face ; ce qui contrevient aux règles géométriques d’un espace à trois dimensions. Rien ne s’oppose donc à ce que le lecteur identifie là un phénomène merveilleux, qui comme tel relèverait du non mimétique, au même titre que le récit au sein duquel il advient.

Des nombreuses fictions fondées sur un paradoxe temporel, dans la lignée du Voyageur imprudent 64 de Barjavel, à la brillante variation romanesque sur l’être et le non-être proposée par Calvino dans Le Chevalier inexistant 65, il serait aisé d’accumuler les exemples somme toute ambigus. Dans un souci d’économie, je me contenterai de signaler que cette ambiguïté, voire cette indécidabilité, se trouve encore accrue dans les fictions postérieures à l’apogée du modernisme ; puisque désormais dénudation du médium et défamiliarisation ne sauraient plus tenir lieu d’Alpha et d’Omega de l’activité littéraire. En témoigneraient aussi bien Un pour deux 66 de Martin Winckler, roman policier globalement réaliste pourtant doté d’un personnage principal littéralement transgenre, puisque René/e Twain est alternativement homme et femme ; que L’Anomalie 67 d’Hervé Le Tellier, page turner (et Prix Goncourt) en apparence dénué d’aspérités narratives, mais fondé sur l’hypothèse d’un dédoublement de ses personnages à l’issue d’un « accident » aérien, etc. Bref, aussi recevable soit-elle sur le plan théorique, et sauf cas d’espèces flirtant avec la caricature (Stephenie Meyer versus Alain Robbe-Grillet…), l’opposition du non mimétique et de l’antimimétique paraît plus difficile à reconduire sur le plan empirique. Mais, en l’occurrence, à la rigueur, peu importe : l’essentiel est de parvenir à s’accorder quant au fait que, en régime fictionnel, nombre d’impossibilités (physiques, ontologiques, logiques) du monde réel deviennent parfaitement possibles – dans le cadre d’esthétiques variées, de la plus à la moins conventionnelle.

« Impossibilité » narratives

Or le même principe paraît à l’œuvre dans le cas des « impossibilités » non plus diégétiques mais proprement narratives, au sens où elles concernent cette fois l’acte producteur du récit et/ou certaines de ses composantes essentielles 68. Omniscience narratoriale et narration simultanée au présent en constituaient déjà deux exemples, même s’ils n’ont été abordés qu’afin d’illustrer l’historicité de la vraisemblance pragmatique. Mais l’on en trouverait sans peine bien d’autres, à l’heure actuelle plus ou moins conventionalisés. En fait, ces phénomènes sont si nombreux qu’il faut se résigner à n’en donner ici qu’un aperçu superficiel.

Mentionnons en particulier la caractérisation anomique de l’instance narrative en relation homodiégétique. Au tout début de cette enquête, j’ai ainsi signalé le cas du narrateur mort : aussi aporétique cette configuration paraisse-t-elle, on la retrouve pourtant dans de nombreux textes contemporains, de La Voyageuse 69 de Dominique Rolin à La Femme sans sépulture 70 d’Assia Djebar 71. S’il est nécessaire d’évoquer la narration posthume, c’est bien sûr en raison de l’impossibilité ontologique (narrer après sa mort) transcendée par les fictions fondées sur ce paradoxe. Ce cas particulier constitue de plus l’archétype, en même temps que l’une des variantes les plus extrêmes, de ce que Frances Fortier et Andrée Mercier nomment précisément « le narrateur impossible » 72. De cette catégorie relèvent en effet de très nombreux récits dans lesquels, pour des raisons variées, l’instance narrative se révèle problématique. Tel est par exemple le cas du narrateur non humain ; qu’il s’agisse d’un animal, comme dans les Mémoires d’un âne 73 de la Comtesse de Ségur, ou Les Cafards n’ont pas de roi 74 de Daniel Evan Weiss ; ou d’une quelconque entité xénomorphe : un germe du choléra dans Trois mille ans chez les microbes 75 de Mark Twain, le Diable dans Le Jugement de Jéhovah 76 de James Morrow, la Mort dans La Voleuse de livres 77 de Markus Zusak, etc. On notera que, même si le narrateur primaire y est concerné, nombre de ces exemples peuvent paraître relever plutôt du non mimétique que de l’antimimétique, puisque l’attribution de la capacité narrative à une instance censée en être dépourvue relève alors d’une logique merveilleuse ou fantastique. Il s’ensuit que, bien souvent, plutôt qu’une contestation frontale de la mimèsis romanesque, le choix de tels narrateurs « impossibles » favorise une problématisation biaise des conditions de possibilité de l’activité narrative.

Tel est aussi fréquemment le cas dans les exemples où ce n’est pas tant le statut du narrateur que sa compétence qui apparaît problématique ; et ce qu’il se « décrive 78 » lui-même comme inexpérimenté en matière de narration (Molloy 79 chez Samuel Beckett), à la limite de l’illettrisme (Bertram Wooster 80 chez Pelham Grenville Wodehouse), fou (le narrateur du Labyrinthe aux olives 81 d’Eduardo Mendoza), amnésique (le narrateur d’Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet 82 d’Antoine Bello), etc. Dans toutes ces occasions, parmi d’autres, l’acte narratif parvient paradoxalement à transcender une impossibilité pourtant révélée par le discours même de l’instance qui l’assume. Si ces nombreuses variations sur le procédé du narrateur non fiable méritent l’attention, c’est que, contrairement à ce qui avait cours dans les cas de l’omniscience ou de la narration simultanée, loin d’être occultée par le texte, leur constitutive impossibilité y est affichée – ce qui représente, pour le lecteur, une incitation à l’interpréter 83. Insistons-y : ce type de phénomène n’est pas l’apanage d’écritures résolument expérimentales et/ou formalistes visant à obérer la mimèsis romanesque et à dénoncer les conventions qui la servent. Il se rencontre dans des fictions variablement mimétiques et conventionnelles, où il permet, sans nuire au plaisir dispensé par la fabula, d’induire une potentielle réflexion sur ses conditions de possibilité, ses modalités de réception, comme sur ses/leurs enjeux.

Pour autant, ici comme ailleurs, tout est question d’échelle, de sorte qu’il convient de sérier les problèmes : que le narrateur « impossible » puisse être identifié, en particulier à l’époque contemporaine, dans des fictions plutôt conventionnelles, ne dérogeant guère par ailleurs aux codes de la narration « naturelle », ne signifie pas que, considéré pour lui-même, le procédé ne possèderait pas de dimension potentiellement antimimétique. Il paraît en effet nécessaire de distinguer les techniques narratives proprement dites, l’usage que les littérateurs en font au nom d’objectifs artistiques divers, et les réceptions elles aussi variées que lecteurs et critiques en réalisent. Or, sur le plan de la description formelle, qui correspond au domaine de la narratologie, il paraît difficile de ne pas rejoindre l’opinion de Richardson ; car on rechercherait en vain dans les récits non fictionnels orthodoxes, comme dans la plupart des fictions régies par un impératif de vraisemblance, les procédés paradoxaux qu’il recense – ainsi que quelques autres.

On peut ainsi songer à la paralepse 84 en relation homodiégétique, consistant en un excès d’information par rapport aux limitations cognitives inhérentes à une telle forme de narration, par essence préfocalisée 85. En témoigne clairement le « Cycle de Marie 86 » de Jean-Philippe Toussaint, dont le narrateur-personnage relate, avec en outre un grand luxe de détails, plusieurs scènes où évolue sa compagne, et auxquelles il précise qu’il n’a pas pu assister, faute d’être présent sur les lieux. Même si cette tétralogie romanesque ne saurait passer pour globalement antimimétique, le procédé paraleptique, lui, possède indéniablement une telle dimension, en raison de la spectaculaire entorse à la vraisemblance qu’il provoque. Et qu’il puisse a posteriori être naturalisé par l’interprétation (c’est par empathie amoureuse que le narrateur « sait » tout de Marie) ne suffit pas à gommer les aspérités d’une stratégie dont le caractère pour le moins paradoxal a de fortes chances d’attirer l’attention sur les codes de la narration – à la faveur d’un effet de surprise pour le coup « défamiliarisant ».

Or l’on pourrait en dire autant de très nombreux autres procédés narratifs, notamment la métalepse ontologique 87, qui permet à une entité (narrateur ou personnage) extradiégétique de migrer à un niveau intradiégétique, ou à une instance intradiégétique de se déplacer à un niveau métadiégétique, et inversement. Certes, il est possible de soutenir que tous les écrivains n’usent pas d’un tel procédé à des fins « dénudantes », et que certains d’entre eux visent plutôt par ce biais à intensifier l’immersion des lecteurs dans la fiction 88 ; mais, puisque un texte ne saurait se réduire à l’intention qui le fonde, en dépit d’un tel « projet » auctorial, rien n’interdit de penser que la métalepse ontologique possède malgré tout un potentiel antimimétique 89. Il me paraît précisément résider dans l’impossibilité que simultanément manifeste et transcende ce procédé. Hors fiction, en effet, nous ne connaissons qu’un seul univers de réalité, de sorte qu’il ne nous est pas possible de franchir une quelconque frontière pour passer d’un « niveau » à un autre. De fait, si la métalepse rhétorique 90 peut fort bien se rencontrer dans le récit factuel, sa variante ontologique n’y paraît pas envisageable 91. Dès lors, quand nous sommes confrontés à ce phénomène dans un roman ou un film, c’est, par contraste – d’ailleurs éminemment gratifiant – avec les limitations ontologiques du monde où nous vivons, la fictionalité de l’espace où il advient qui se trouve connotée ; et ce au mépris de la vraisemblance – dont le maintien supposerait a contrario l’occultation de cette dimension fictionnelle. En ce sens, un tel procédé peut donc être considéré comme intrinsèquement antimimétique ; quand bien même l’effet qui en résulte n’est pas nécessairement recherché par les auteurs, ni actualisé par (tous) les lecteurs ou les spectateurs.

A partir de ces deux exemples, il devient possible d’extrapoler, et d’intégrer à la narration non naturelle tous les procédés révélant une similaire impossibilité ; c’est-à-dire tous ceux que, sauf volontaire hybridation avec l’écriture fictionnelle, le récit factuel et les formes qui le décalquent tendent à proscrire. Il ne saurait être question d’en rendre compte ici de façon exhaustive. Disons donc simplement que tous ces phénomènes « impossibles », et par là même potentiellement antimimétiques, peuvent indifféremment affecter, dans une fiction donnée, un ou plusieurs des paramètres suivants : l’acte narratif (incluant les pôles émetteur et récepteur du récit), la configuration spatiotemporelle, les événements, ou encore les personnages. La plupart des exemples antérieurs portaient, on l’a vu, sur la narration elle-même. A titre de complément, qu’on me permette de renvoyer aux propres travaux de Richardson : il illustre ainsi 92 l’« impossibilité » temporelle par Orlando 93 de Virginia Woolf, où le temps s’écoule à une vitesse différente pour la protagoniste et pour son entourage ; l’« impossibilité » événementielle par La Jalousie 94 d’Alain Robbe-Grillet, où se télescopent des séquences d’événements insolublement contradictoires ; l’« impossibilité » actantielle par « Nature morte 95 » de Maya Sonenberg, mettant en scène un « enfant cubiste » au milieu de personnages anthropomorphes, etc. En outre, il montre 96 que la narration non naturelle peut concerner le commencement du récit (Quitte ou double 97 de Raymond Federman), la vectorisation du flux temporel (La Flèche du temps 98 de Martin Amis), la progression narrative (Les Enfants de minuit 99 de Salman Rushdie), la fin (Sarah et le lieutenant français 100 de John Fowles), et jusqu’au statut de « narration » (« Primary Sources 101 » de Rick Moody). A cet égard, la position de Richardson rejoint donc assez largement celle de Henrik Skov Nielsen 102, qui en propose pour sa part une formulation synthétique des plus éclairantes :

[…] les récits non naturels constituent un sous-ensemble de récits fictionnels pouvant avoir des temporalités, des mondes diégétiques, des représentations de l’esprit ou des actes de narration qui devraient être interprétés comme physiquement, logiquement, mnémoniquement ou psychologiquement impossibles ou implausibles dans les situations de narration du monde réel 103.

Le « propre » de la fiction ?

Sans doute la narratologie non naturelle pose-t-elle un certain nombre de problèmes. On a ainsi signalé la divergence des définitions proposées par les chercheurs qui s’en réclament, comme celle de leurs approches, confinant parfois à la contradiction. Chez Richardson, la distinction du non mimétique et de l’antimimétique peut également se révéler d’un maniement malcommode sur le terrain des analyses empiriques. Plus généralement, l’opposition du mimétique et de l’antimimétique impliquerait elle aussi quelque affinement, afin de se prémunir contre le risque d’une valorisation abusive des écritures expérimentales, qui ne sauraient à elles seules permettre de rendre compte du fonctionnement global de la fiction. De plus, on pourrait s’interroger quant à la pertinence des filiations établies par certains chercheurs, identifiant a posteriori des exemples de narration non naturelle (au sens antimimétique) jusque dans les textes de l’antiquité 104. Enfin, l’idée que les outils narratologiques élaborés pour analyser de telles fictions anomiques pourraient être rétroactivement appliqués avec profit aux formes de la narration « naturelle » mériterait à son tour d’être scrutée d’un peu plus près.

Toutefois, il ne s’agit pas ici d’instruire le procès de cette discipline plurielle – qui, au demeurant, suscite des interrogations passionnantes pour quiconque s’intéresse au récit et à sa théorie. Et, dans la perspective de la présente réflexion, on ne peut que souligner la fécondité de la citation de Nielsen reproduite plus haut, qui porte un éclairage décisif sur la question des liens de l’impossible et de la fiction. En effet, il semble certes légitime de soutenir qu’« impossible n’est pas fictionnel », dans la mesure où les diverses impossibilités en vigueur dans le monde réel n’ont plus cours dans le monde fictionnel. Mais il s’ensuit que l’on est en droit de se demander si cette neutralisation de l’impossible ne constituerait pas en quelque sorte le propre de la fiction : dans un roman, les animaux peuvent parler, diverses entités surnaturelles interagir avec des personnages anthropomorphes, le narrateur accéder à la vie psychique de tiers, une instance quelconque se déplacer d’un niveau narratif à un autre, etc. – tous phénomènes que l’on rechercherait en vain dans le récit factuel orthodoxe. La formule qui donne son titre à cet article pourrait dès lors être « renversée », pour devenir « Impossible est fictionnel », au sens de « proprement fictionnel » - à condition d’entendre par là que ces « impossibilités », qui alors n’en sont plus, adviennent indéniablement dans la fiction.

A quoi l’on ajoutera pour conclure que là résident probablement certaines des plus intenses gratifications dispensées par l’expérience fictionnelle – ce qui rejoint par la bande la question de la vraisemblance pragmatique, nous permettant ainsi de boucler la boucle. Voici ce qu’affirme à ce propos Monika Fludernik :

[…] la fiction offre aux lecteurs des expériences qu’ils ne peuvent pas faire par eux-mêmes – et c’est en cela que réside l’attrait de tous les récits. Que nous soyons transportés dans des pays étrangers ou dans le passé mythique, dans les esprits des personnages qui peuplent ces récits ou dans des situations qui ne peuvent pas se présenter dans la vraie vie – dans tous ces cas, nous nous laissons aller à l’émotion provoquée par la liberté poétique 105.

Par-delà les facteurs présidant à la progressive naturalisation des formes narratives non naturelles, sans doute ce sentiment de liberté ou d’émancipation constitue-t-il en l’occurrence l’essentiel : contrairement à ce qui a cours dans le récit factuel, la fiction est ce lieu où les multiples limitations (physiques, logiques, ontologiques, cognitives, psychiques, etc.) pesant sur la vie réelle cessent pour un temps d’exercer leur diktat. Le sentiment de libération qui en résulte explique dès lors pour une large part la facilité avec laquelle nous acceptons des formes en droit inacceptables – témoin la narration homodiégétique sans restriction de champ, par exemple. A cet égard, la narration non naturelle constituerait donc une déclinaison particulière, certes éminemment saillante, d’une bien plus générale propriété fictionnelle : la possibilité de l’impossible.

Notes

1 La problématique de cet article rejoint assez largement celle (« Fictions impossibles / Impossible Fictions ») du congrès organisé à Chicago, du 2 au 5 mars 2022, par la Société Internationale de Recherches sur la Fiction et la Fictionnalité (SIRFF). Dans l’attente de la parution des Actes, le programme peut en être consulté à l’adresse suivante : https://fiction.hypotheses.org/evenement-events#colloque2

2 Sur la dimension aporétique de l’assertion « Je suis mort », voir Jacques Derrida, Glas, Paris, Galilée, 1974, et Apories, Paris, Galilée, 1996.

3 Décembre 1845 ; nouvelle reprise dans Histoires extraordinaires (1856), dans une traduction française de Charles Baudelaire ; Paris, Garnier-Flammarion, 2020 pour l’édition utilisée.

4 1880, puis 1881 ; Paris, Garnier, 1911 pour la première traduction française ; 2000, Métailié pour l’édition utilisée.

5 Frédéric Weinmann, « Je suis mort ». Essai sur la narration autothanatographique, Paris, Seuil, 2018, « Poétique ».

6 Prismes. Critique de la culture et de la société (1955), Paris, Payot & Rivages, 2018, « Petite Bibliothèque Payot / Classiques » pour l’édition française utilisée, p. 30-31, c’est moi qui souligne.

7 Paris, Gallimard, 1952.

8 1991 ; Paris, Christian Bourgois, 1993 pour la traduction française.

9 1971 ; Paris, Fayard, 1974 pour la traduction française.

10 Paris, Gallimard, 2006.

11 La Connaissance de l’amour. Essais sur la philosophie et la littérature (1992), Paris, Éditions du Cerf, 2010, pour la traduction française.

12 1955 ; Paris, Gallimard, 1959 pour la traduction française.

13 Paris, Minuit, 2001.

14 En outre, à l’inverse de Nussbaum, on peut estimer que de telles représentations fictionnelles sont non seulement possibles, mais paradoxalement salubres, dans la mesure où, en raison même de l’écart qu’elles introduisent par rapport à notre propre échelle de valeurs, elles sont susceptibles de nous offrir une enrichissante expérience de confrontation à l’altérité. Telle est la position que j’ai pour ma part défendue dans « Petit précis d’antipathie narratoriale », Captures [en ligne], vol. 3, n° 2, novembre 2018. Cet article peut être consulté à l’adresse suivante : https://id.erudit.org/iderudit/1055824ar

15 En particulier Cécile Cavillac, « Vraisemblance pragmatique et autorité fictionnelle », Poétique, n° 101, février 1995, p. 23-46 ; Dorrit Cohn, Le Propre de la fiction (1999), Paris, Seuil, 2001, « Poétique » pour la traduction française ; Monika Fludernik, « De la narratologie naturelle : une synthèse rétrospective », dans Sylvie Patron (dir.), Introduction à la narratologie postclassique. Les nouvelles directions de la recherche sur le récit, Villeneuve d’Ascq, 2018, Presses universitaires du Septentrion, p. 69-94 ; Frances Fortier & Andrée Mercier, « La narration impossible. Conventions réalistes, catégories narratologiques et enjeux esthétiques », dans Frances Fortier & Andrée Mercier (dir.), La Transmission narrative. Modalités du pacte romanesque contemporain, Québec, Éditions Nota bene, 2011, p. 333-354.

16 Sur cette question, voir Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, 1999, « Poétique ».

17Au sens logique du terme, cela s’entend.

18 Selon les définitions de la « relation de personne » que donne Gérard Genette dans Figures III (Paris, Seuil, 1972, « Poétique ») et Nouveau Discours du récit (Paris, Seuil, 1983, « Poétique »).

19 Mais il faut préciser qu’il arrive, beaucoup plus rarement, certes, qu’une narration homodiégétique se déploie sans restriction de champ, comme par exemple dans Middlesex (2002 ; Paris, 2003, Éditions de l’Olivier pour la traduction française) de Jeffrey Eugenides.

20 Dans Nouveau Discours du récit, op. cit., p. 49.

21 1869 ; Paris, Gallimard, 2005, « Folio classique » pour l’édition utilisée.

22 Dans « Vraisemblance pragmatique et autorité fictionnelle », article cit.

23 Sur ce point, voir Frances Fortier & Andrée Mercier, « La narration impossible », article cit., p. 343-345.

24 Sur cette notion, parmi divers travaux de Jonathan Culler, voir « Naturalization in “Natural” Narratology », Journal of Literature and the History of Ideas, vol. 16 – n° 2, June 2018, p. 243-249.

25 Si je m’abstiens de trancher entre ces deux dénominations, c’est parce qu’elles me paraissent assez largement interdépendantes : la naturalisation d’une forme peut contribuer à la rendre conventionnelle ; quand à l’inverse l’existence d’une convention facilite sa naturalisation. Par la suite de cet article, j’emploierai donc ces deux termes comme d’approximatifs synonymes. Pour autant, de façon plus générale, les deux notions peuvent, et parfois doivent, être distinguées, comme l’a par exemple fait Henrik Skov Nielsen, « Unnatural Narratology, Impersonal Voices, Real Authors, and Non-Communicative Narration », in Jan Alber & Rüdiger Heinze (dir.), Unnatural Narratives – Unnatural Narratology, Berlin, De Gruyter, 2011, p. 71-88.

26 Pour une esthétique de la réception (1975), Paris, Gallimard, 1978 pour la traduction française, puis 1990, « Tel » pour l’édition utilisée.

27 Analysée par Dorrit Cohn, « “Je somnole et me réveille”. La déviance de la narration simultanée », dans Le Propre de la fiction, op. cit., p. 149-166.

28 Du moins dans le cas du récit « à la 3ème personne ». Voir ci-après.

29 1833, puis 1834 ; Paris, Gallimard, « Folio », 1972 ; puis « Folio classique », 2021 pour l’édition utilisée.

30 Nouveau Discours du récit, op. cit., p. 55.

31 Comme Genette le signale lui-même (idem), en mentionnant le cas d’« une narration hétérodiégétique intégralement conduite au présent, comme celle des Gommes [Paris, Minuit, 1953] ou du Vice-consul [Paris, Gallimard, 1966] ». Notons en passant que le caractère « incongru » d’un tel choix narratif n’empêche nullement certains romanciers de l’adopter.

32 « “Je somnole et me réveille”. La déviance de la narration simultanée », article cit., p. 149.

33 L’Esprit du roman. Œuvre, fiction et récit, Berne, Peter Lang, 2004, p. 267. J’emprunte cette référence à Frances Fortier & Andrée Mercier, « La narration impossible », article cit., p. 240.

34 L’Esprit du roman, op. cit., p. 254.

35 Sur cette notion, voir Michal Glowinski, « Sur le roman à la première personne », Poétique, n° 72, décembre 1987, p. 497-506.

36 Dans « “Je somnole et me réveille”. La déviance de la narration simultanée », article cit., p. 153 sq.

37 C’est ce qui conduit Cohn à décrire le présent de la narration simultanée comme un « “présent fictionnel” – […] spécifique à la fiction » (ibidem, p. 164). Sur cette idée, selon moi extrêmement féconde, je reviendrai, en élargissant la perspective, à la fin de cet article.

38 Par distinction d’avec le monologue autonome, cette fois, forme à laquelle Cohn ne reconnaît pas de dimension proprement narrative – ce dont, me semble-t-il, on pourrait débattre.

39 Ibidem, p. 162.

40 Paris, Gallimard, 1953.

41 1980 ; Paris, Maurice Nadeau, 1981 pour la traduction française.

42 1985 ; Paris, Robert Laffont, 1987 pour la traduction française.

43 « “Je somnole et me réveille”. La déviance de la narration simultanée », article cit., p. 162.

44 Ibidem, p. 166.

45 Pour un très utile panorama de la narratologie non naturelle, voir Sylvie Patron, « Récits non naturels, narratologie non naturelle : apports, problèmes et perspectives », Pratiques [en ligne], n° 181-182, mis en ligne le 30 juin 2019, consulté le 24 février 2021, à l’adresse suivante : http://journals.openedition.org/pratiques/5726 Nombre des références qui suivent proviendront de cette synthèse.

46 Dans Towards a « Natural » Narratology, London, Routledge, 1996. Voir aussi « De la narratologie naturelle : une synthèse rétrospective », article cit.

47 Mais non exclusivement.

48 A la première page de l’article cité.

49 Pour les références de leurs travaux, sauf lorsqu’il m’arrivera de les citer, que l’on me permette, dans un souci d’économie, de renvoyer à la bibliographie élaborée par Sylvie Patron, « Récits non naturels, narratologie non naturelle », article cit.

50 En fait, de tels chevauchements paraissent non seulement possibles, mais inévitables, en raison du degré de solidarité unissant les composants du récit fictionnel. Ces « catégories » ne sont donc ici distinguées que pour la commodité de la présentation.

51 1954 ; Paris, Le Bélial, 2014 pour la traduction française. Dans ce roman, des personnages de guerriers vikings sont aux prises avec des elfes et des trolls, eux-mêmes manipulés par les divinités scandinaves, au premier rang desquelles Odin.

52 « […] willing suspension of disbelief for the moment, which constitutes poetic faith » (Samuel Taylor Coleridge, Biographia literaria (1817), The Collected Works, Princeton, Princeton University Press, 1983, t. VII, vol. 2, p. 6).

53 Telle que l’a définie Jean-Marie Schaeffer dans Pourquoi la fiction ?, op. cit., p. 145 sq.

54 Par exemple dans Unnatural Narrative : Impossible Worlds in Fiction and Drama, Lincoln, University of Nebraska Press, 2016.

55 Dans Sylvie Patron (dir.), Introduction à la narratologie postclassique, op. cit., p. 167-181.

56 Ibidem, p. 167-168.

57 Ces aventures ont été publiées sous formes de nouvelles dans diverses revues, le plus souvent Weird Tales. Parmi les nombreux recueils existant, voir par exemple, en traduction française, Conan, Paris, Éditions Jean-Claude Lattès, 1980.

58 2008 ; Paris, Seuil, 2010, « Fiction & Cie » pour la traduction française.

59 Mais aussi, Outre-Atlantique, le modernisme de la « métafiction », dont seraient représentatives les œuvres de John Barth, Robert Coover, Donald Barthelme, John Hawkes, Thomas Pynchon, etc.

60 1972, puis 1980 ; Paris, Denoël, 1981, « Présence du futur » pour la traduction française.

61 « Disnarré / Disnarrated », Glossaire du RénAF, mis en ligne le 22 décembre 2018, consulté le 24 février 2021, à l’adresse suivante : http://wp.unil.ch/narratologie/2018/12/disnarre-disnarrated / L’alternarré y est notamment illustré par cette formule : « Jean était assis et il était debout ». Pour une lecture critique de la typologie proposée par Gerald Prince, que l’on me permette de renvoyer à Frank Wagner, « "Alternarré”, “dénarré”, “disnarré” : réflexions à partir d’exemples contemporains », Cahiers de narratologie [en ligne], n° 37, 2020, mis en ligne le 4 septembre 2020. Cet article peut être consulté à l’adresse suivante : http://journals.openedition.org/narratologie/10641

62 Y contribue également l’image de l’auteur, souvent réductrice ; par exemple dans le cas des frères Strougatski, a priori étiquetés « auteurs de science-fiction ».

63 Dans la nouvelle intitulée « Le disque », in Le Livre de sable (1975), Paris, Gallimard, 1978 pour la traduction française ; 1986, « Folio » pour l’édition utilisée, p. 133-136.

64 1943 (prépublication en feuilleton), puis Paris, Denoël, 1944 pour la première édition en volume ; Gallimard, 1973, « Folio » pour l’édition utilisée.

65 1959 ; Paris, Seuil, 1962 pour la traduction française ; 1984, « Point » pour l’édition utilisée.

66 Paris, Calmann-Lévy, 2008, premier volume de la « Trilogie Twain », qui comprend également L’un ou l’autre (Paris, Calmann-Lévy, 2009) et Deux pour tous (Paris, Calmann-Lévy, 2009).

67 Paris, Gallimard, 2020.

68 Parmi lesquelles chronotope et personnages, de sorte que, comme je l’avais annoncé, ces « impossibilités » narratives recouperont pour partie quelques-unes des « impossibilités » diégétiques précédemment évoquées.

69 Paris, Denoël, 1984.

70 Paris, Albin Michel, 2002.

71 Pour d’autres exemples, voir l’ouvrage déjà mentionné de Frédéric Weinmann, « Je suis mort ». Essai sur la narration autothanatographique, op. cit.

72 Dans « La narration impossible », article cit., p. 336 et passim.

73 1860 ; Paris, 2016, « Folio junior » pour l’édition utilisée.

74 1994 ; Paris, Gallimard, 1997, « La Noire » pour la traduction française.

75 Texte rédigé vers 1905, et paru à titre posthume en 1980 ; Paris, Éditions de la Différence, 1985 pour la traduction française.

76 1996 ; Paris, J’ai lu, 1998 pour la traduction française ; puis Au Diable Vauvert, 2000, pour l’édition utilisée.

77 2005 ; Paris, Éditions OH !, 2007 pour la traduction française.

78 En fait, ce sont le plus souvent les particularités de son ethos, tel qu’il apparaît en filigrane de son discours, qui permettent de le caractériser.

79 Dans Molloy, Paris, Minuit, 1951. Toutefois, dans cet exemple particulier, l’insistance explicite de Molloy sur son incompétence narrative, ajoutée à de nombreuses autres caractéristiques déceptives, confère au roman une dimension pour le coup antimimétique. Une fois encore, la formulation de ce type de diagnostic implique un examen au cas par cas.

80 Narrateur-personnage de la majeure partie des textes composant la série des « Jeeves ». Entre autres multiples exemples, voir Jeeves fait campagne (1953), Paris, Éditions La Découverte, 2004 pour la traduction française.

81 1982 ; Paris, Seuil, 1984 pour la traduction française.

82 Paris, Gallimard, 2010.

83 Comme le soulignent Frances Fortier et Andrée Mercier, « La narration impossible », article cit., p. 350 et passim.

84 Définie par Genette dans Figures III, op. cit., p. 211, 213, 221-222.

85 Comme Genette l’a établi dans Nouveau Discours du récit, op. cit., p. 52.

86 Faire l’amour, Fuir, La Vérité sur Marie, Nue, romans parus aux Éditions de Minuit, respectivement en 2002, 2005, 2009 et 2013. J’ai pour ma part analysé les enjeux de la paralepse dans cette tétralogie dans « Note sur la paralepse et ses usages contemporains », Vox-poetica, texte mis en ligne le 20 septembre 2020. Cet article peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.vox-poetica.com/t/articles/Wagner2020.html

87 Telle que la définit Marie-Laure Ryan, « Logique culturelle de la métalepse, ou la métalepse dans tous ses états », dans John Pier & Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005, p. 201-223 ; p. 205 et passim.

88 Comme le soutient par exemple Sabine Schlickers, « Inversions, transgressions, paradoxes et bizarreries. La métalepse dans les littératures espagnole et française », dans Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, op. cit., p. 151-166 ; p. 165.

89 En atteste selon moi un roman comme Rose Madder ((1995), Paris, Albin Michel, 1997 pour la traduction française), dont l’héroïne pénètre à l’intérieur d’un tableau. Même s’il est plausible que le but de Stephen King ait avant tout été de produire un effet fantastique, rien n’interdit d’estimer que le procédé, en tant que tel, est susceptible d’attirer l’attention des lecteurs (du moins de certains d’entre eux) sur la narration ou la représentation elle-même – possibilité en l’occurrence renforcée, me semble-t-il, par la nature artistique de l’univers métadiégétique : un tableau.

90 Toujours au sens de Marie-Laure Ryan, « Logique culturelle de la métalepse », article cit.

91 Sauf, bien sûr, parti pris expérimental, qui consisterait en l’« importation » au sein d’un récit factuel d’une stratégie typiquement fictionnelle.

92 Dans « De la narratologie non naturelle », article cit.

93 1928 ; Paris, Delamain & Boutelleau, 1931 pour la traduction française ; puis nouvelle traduction dans Romans et nouvelles, Paris, LGF, 1993, « Le livre de poche / La pochothèque » pour l’édition utilisée.

94 Paris, Minuit, 1957.

95 Dans Cartographies, New York, Ecco, 1989, p. 35-42.

96 Dans « Narrations non naturelles, théorie non naturelle », 2015, texte disponible en ligne sur le site du CRAL (Centre de Recherche sur les Arts et le Langage) / EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales) ; consulté le 24 févier 2021 à l’adresse suivante : http://www.narratologie.ehess.fr/narrations-non-naturelles-theorie-non-naturelle-brian-richardson/

97 Paris, Al Dante / Léo Scheer, 2004.

98 Op. cit.

99 1981 ; Paris, Stock, 1983 pour la traduction française.

100 1969 ; Paris, Seuil, 1972 pour la traduction française.

101 The New Yorker, New York, June 5, 1995.

102 Elle-même proche de celle de Jan Alber.

103 « Naturalizing and Unnaturalizing Strategies : Focalization Revisited », in Jan Alber et alii (dir.), A Poetics of Unnatural Narrative, Columbus, 2013, The Ohio State University Press, p. 67-93 ; p. 72. J’emprunte cette traduction française à Sylvie Patron, « Récits non naturels, narratologie non naturelle », article cit., p. 4.

104 Tel est notamment le cas de Richardson, qui affirme que « les récits antimimétiques existent depuis l’époque d’Aristophane et de Pétrone » (« De la narratologie non naturelle », article cit., p. 178).

105 « De la narratologie naturelle : une synthèse rétrospective », article cit., p. 82.

publié le 25/10/2022

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