Comment reconnaître un poème quand on en voit un1

 

 

par Stanley Fish

Dans le premier essai du livre Quand lire c'est faire, j’ai esquissé l’argument selon lequel les significations ne sont la propriété ni de textes stables et fixes ni de lecteurs libres et indépendants, mais de communautés interprétatives qui sont responsables à la fois de la forme des activités d’un lecteur et des textes que cette activité produit. Dans cette conférence, je propose d’étendre cet argument de façon à expliquer non seulement les significations qu’on peut attribuer à un poème, mais le fait qu’il soit reconnu en premier lieu comme un poème. Et, là encore, j’aimerais commencer par une anecdote.

Pendant l’été 1971, je donnais deux cours sous les auspices conjoints du Linguistic Institute of America et du département d’anglais de la State University of New York à Buffalo. Je donnais ces cours le matin, dans la même salle. A 9h30, je rencontrais un groupe d’étudiants qui s’intéressaient au rapport entre linguistique et critique littéraire. Le sujet initial était la stylistique, mais nos préoccupations étaient en fait théoriques, et s’étendaient aux présupposés et aux préconceptions qui sous-tendent à la fois la linguistique et la pratique littéraire. A 11h00, ces étudiants étaient remplacés par un autre groupe dont les préoccupations étaient exclusivement littéraires, et se cantonnaient, en fait à la poésie religieuse anglaise du XVIIe siècle. Ces étudiants avaient appris comment identifier les symboles chrétiens et reconnaître des schèmes typologiques, et comment passer de l’observation de ces symboles et modèles à la spécification d’une intention poétique qui était généralement d’ordre didactique ou sermonnaire. Ce jour-là, le seul rapport entre les deux cours était un sujet de devoir pour les étudiants du premier qui était encore au tableau au début du second. On pouvait donc lire :

Jacobs-Rosenbaum
Levin
Thorne
Hayes
Ohman (?)

Je suis sûr que beaucoup d’entre vous auront déjà reconnu les noms de la liste, mais permettez-moi, au nom de l’exactitude, de les identifier. Roderick Jacobs et Peter Rosenbaum sont deux linguistes qui ont co-écrit plusieurs manuels et co-édité plusieurs anthologies. Samuel Levin fut l’un des premiers linguistes à appliquer les opérations de la grammaire transformationnelle aux textes littéraires. J. P. Thorne est un linguiste de l’université d’Edimbourg qui essaya, comme Levin, d’étendre les règles de la grammaire transformationnelle aux irrégularités notoires du langage poétique. Curtis Hayes est un linguiste qui utilisait la grammaire transformationnelle pour donner une base objective à son impression intuitive que le langage de l’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain de Gibbon était plus complexe que celui des romans d’Hemingway. Et Richard Ohmann est le critique littéraire qui contribua plus que tout autre à introduire le vocabulaire de la grammaire transformationnelle dans la communauté littéraire. Le nom d’Ohmann était écrit tel que vous le voyez ici car je ne me souvenais plus s’il prenait un ou deux « n ». En d’autres termes, le point d’interrogation entre parenthèses n’indiquait rien d’autre qu’un mauvaise mémoire et désir de ma part d’apparaître scrupuleux. Le fait que les noms soient apparus dans une liste disposée verticalement et qu’ils soient plus ou moins centrés par rapport aux noms jumelés de Jacobs et Rosenbaum était tout aussi fortuit et ne révélait rien d’autre, s’il révélait quelque chose, qu’un caractère vaguement obsessionnel.

Entre les deux cours, je n’ai fait qu’un changement. J’ai tracé un cadre autour du sujet de devoir et j’ai écrit au-dessus de ce cadre : « p. 43 ». Quand les étudiants du second cours sont entrés dans la salle, je leur ai dit que ce qu’ils voyaient au tableau était un poème religieux du type de ceux qu’ils avaient étudiés, et je leur ai demandé de l’interpréter. Immédiatement, ils s’exécutèrent (perform) d’une façon qui, pour des raisons qui deviendront bientôt claires, était plus ou moins prévisible. Le premier étudiant qui prit la parole fit remarquer que le poème certainement un hiéroglyphe, bien qu’il ne pût établir avec certitude si sa forme était celle d’une croix ou d’un autel. Cette question fut laissée de côté lorsque les autres étudiants, suivant l’exemple du premier, commencèrent à se concentrer sur les mots pris individuellement, s’interrompant mutuellement par des suggestions qui venaient si rapidement qu’elles semblaient spontanées. Le premier vers du poème (l’ordre même des événements supposait un objet au statut déjà constitué) reçut la plus grande attention. Jacobs fut expliqué comme une référence à l’échelle de Jacob, représentation allégorique traditionnelle de l’ascension chrétienne vers le Ciel. Dans ce poème cependant, en tout cas c’est ce que m’ont dit mes étudiants, le moyen d’ascension n’était pas une échelle mais un arbuste, un rosier ou Rosenbaum. Il fut considéré comme une référence évidente à la Vierge Marie, souvent caractérisée comme une « rose sans épines », celle-ci étant par ailleurs un emblème de l’Immaculée conception. Arrivé là, le poème leur a semblé fonctionner à la façon, bien connue, d’une énigme iconographique. Il posait soudain la question : « comment se fait-il qu’un homme puisse monter au ciel au moyen d’un rosier ? », et menait le lecteur à cette réponse inévitable : grâce au fruit de cet arbre, le fruit des enrailles de Marie, Jésus. Une fois cette interprétation établie, elle fut étayée par, et donna tout son sens à, un autre élément, le mot « thorne », qui ne pouvait être qu’une allusion à la couronne d’épines, symbole des épreuves endurées par Jésus et du prix qu’il paya pour notre salut à tous. Il n’y avait qu’un pas (même pas, en réalité) de cette révélation à la reconnaissance en Levin d’une double référence, premièrement, à la tribu de Levi, dont la fonction sacerdotale fut accomplie par le Christ, et deuxièmement, au pain sans levain (leaven) qu’emportèrent les enfants d’Israël lors de l’Exode hosr d’Égypte, le lieu du péché, suite à l’appel de Moïse, sans doute le plus connu des modèles du Christ dans l’Ancien Testament. Le dernier mot du poème reçut au moins trois lectures complémentaires : cela pouvait être « omen » (présage), puisqu’une grande partie du poème avait un rapport avec l’annonce et la prophétie ; cela pouvait être « Oh Man », puisque c’est l’histoire de l’homme en ses lieux de croisement avec le plan du divin qui constitue le sujet du poème ; et bien sûr, cela pouvait être simplement « amen », la juste conclusion d’un poème célébrant l’amour et la miséricorde de Dieu, qui a donné son Fils unique pour que nous vivions.

Après avoir spécifié et mis en rapport les sens à donner aux mots du poème, les étudiants commencèrent à discerner des schèmes structuraux plus vastes. On remarqua que parmi les six noms que comporte le poème, trois – Jacobs, Rosenbaum et Levin – sont hébreux, deux – Thorne et Hayes – sont chrétiens et le dernier – Ohman – est ambigu, l’ambiguïté étant marquée dans le poème même (selon l’expression consacrée) par le point d’interrogation entre parenthèses. Cette division fut considérée comme un reflet de la distinction fondamentale entre l’ancienne dispensation et la nouvelle, la loi du péché et la loi de l’amour. Cependant, cette distinction est brouillée, puis finalement annulée par la perspective typologique qui investit les événements et les héros de l’Ancien Testament de significations issues du Nouveau Testament. La structure du poème, conclurent mes étudiants, est donc duelle, établissant et détruisant dans le même temps son motif fondamental (hébreux vs. chrétien). Dans ce contexte, il n’y a donc rien qui oblige à résoudre l’ambiguïté de Ohman puisque les deux lectures possibles – le nom est hébreux, le nom est chrétien – sont autorisées par la présence réconciliante de Jésus-Christ dans le poème. Enfin, je dois vous dire qu’un des étudiants entreprit de compter les lettres et découvrit, ce qui surprit personne, que les lettres les plus fréquentes du poème étaient S, O, N (Son, le Fils).

Certains d’entre vous auront noté que je n’ai encore rien dit de Hayes. C’est que, de tous les mots du poème, c’est celui qui s’est avéré le plus rétif à l’interprétation, un fait qui n’est pas sans conséquence, mais que je laisserait de côté pour le moment, puisque je suis moins intéressé par les détails de l’exercice que par la capacité de mes étudiants à s’y prêter (performe it). Quelle est la source de cette capacité ? Comment se fait-il qu’il aient pu faire de qu’ils ont fait ? Ces questions sont importantes puisqu’elles se rapportent directement à une question récurrente de la théorie littéraire : quelles sont les marques distinctives du langage littéraire ? Ou, pour parler plus familièrement : comment reconnaissez-vous un poème quand vous en vouez un ? Le sens commun, suivi par de nombreux linguistes et critiques littéraires, répond que l’acte de reconnaissance est provoqué par la présence de marques distinctives. Autrement dit, vous savez qu’il s’agit d’un poème quand vous en voyez un parce que son langage déploie les caractéristiques que vous savez propres à un poème. C’est toutefois un modèle dont il est assez évident qu’il ne convient pas au présent exemple. Mes étudiants ne sont pas passés de l’observation de marques distinctives à la reconnaissance qu’ils faisaient face à un poème ; au contraire, c’est l’acte de reconnaissance qui fut premier – ils savaient à l’avance qu’ils avaient affaire à un poème – et les marques distinctives on suivi.

En d’autres termes, loin d’être provoqués par des caractéristiques formelles, les actes de reconnaissance sont leur source. Ce n’est pas la présence de qualités poétiques qui impose un certain type d’attention mais c’est le fait de prêter un certain type d’attention qui conduit à l’émergence de qualités poétiques. Dès que mes étudiants furent conscients que ce qu’ils voyaient était de la poésie, ils commencèrent à regarder avec des yeux « qui voient de la poésie », c’est-à-dire avec des yeux qui voient tout en relation avec les propriétés qu’ils savent que les poèmes possèdent. Ils savaient, par exemple (parce que leurs professeurs le leur avaient dit), que les poèmes présentent (ou sont censés présenter) une organisation plus dense et plus complexe que les communications ordinaires ; et cette connaissance s’est traduite par une disposition – et même une détermination, pourrait-on dire – à voir des connexions entre un mot et un autre et entre tous les mots et la perspective d’ensemble du poème. En outre, le présupposé qu’il  y a une perspective d’ensemble est lui-même spécifique à la poésie, et il présida à la réalisation de celle-ci. Une fois supposé que la collection de mots qu’ils avaient devant eux était unifiée par une finalité informante (car les finalités informantes font partie des choses que les poèmes possèdent), mes étudiants ont entrepris d’en trouver une et de la formuler. C’est à la lumière de cette finalité (désormais supposée), que les sens à donner à chacun des mots commencèrent à leur être suggérés, des sens qui étoffèrent ensuite le présupposé qui les avait générés en premier lieu. Ainsi, les significations des mots et l’interprétation dans lesquelles ces mots semblaient inclus émergèrent ensemble, comme la conséquence des opérations que mes étudiants commencèrent à exécuter (perform) dès qu’on leur a dit qu’il s’agissait d’un poème.

C’était presque comme s’ils suivaient une recette de cuisine – s’il s’agit d’un poème, faites ceci, s’il s’agit d’un poème voyez-le de cette manière – et de fait, les définitions de poésie sont des recettes, puisqu’en imposant aux lecteurs ce qu’ils doivent chercher dans un poème, elles leur enseignent des manières de regarder qui produisent ce qu’ils s’attendent à voir. Si votre définition de la poésie vous dit que le langage de la poésie est complexe, vous allez sonder le langage de cette chose identifiée à un poème de manière à faire ressortir la complexité que vous savez être « là ». Vous serez, par exemple, à l’affût des ambiguïtés latentes ; vous ferez attention à la présence de séries allitératives et assonancées (il y en aura toujours), et vous essayerez d’en faire quelque chose (vous y parviendrez toujours) ; vous chercherez des significations qui subvertissent, ou entrent en tension avec, les significations qui apparaissent à première vue ; et si ces opérations manquent de produire la complexité anticipée, vous allez même proposer de donner un sens aux mots qui ne sont pas là, car, comme chacun sait, tout, dans un poème, jusqu’à ses omissions, fait sens. Et en faisant tout cela, vous n’aurez pas l’impression d’agir (performing) en forçant le texte, puisque vous ne ferez que ce que vous aurez appris à faire en devenant un lecteur de poésie compétente. La compétence de lecture est généralement conçue comme une capacité à discerner ce qui est là, mais si l’exemple de mes étudiants peut être généralisé, c’est une capacité à savoir comment produire ce dont on peut dire, après coup, qu’il est là. L’interprétation n’est pas l’art d’analyser (construing) mais l’art de construire (constructing). Les interprètes ne décodent pas les poèmes : ils les font (they make them).

Pour beaucoup, il s’agira d’une conclusion pénible, et de nombreux arguments pourraient être enfourchés pour la prévenir. On pourrait faire remarquer que les circonstances de la performance (performance) de mes étudiants étaient particulières. Après tout, ils s’étaient occupés exclusivement de poésie religieuse pendant plusieurs semaines et étaient donc particulièrement vulnérables à la tromperie que j’ai pratiquée sur eux et particulièrement équipés pour imposer des thèmes et des schèmes religieux à des mots innocents de ces thèmes comme de ces schèmes. Je dois dire, cependant, que j’ai répété l’expérience un certain nombre de fois dans une dizaine d’universités de trois pays différents, et les résultats sont toujours identiques, même lorsque les participants savent depuis le début que ce qu’ils regardent était état à l’origine un sujet de devoir. Bien sûr, ce fait même pourrait être transformé en objection : la reproductibilité de l’exercice ne prouve-t-elle pas qu’il y a quelque chose dans ces mots qui conduit tout le monde à agir de la même manière ? N’est-ce pas juste un heureux hasard si des noms comme Thorne et Jacobs ont des équivalents ou presque équivalents dans des noms et des symboles bibliques ? Et mes étudiants n’auraient-ils pas été incapables de faire ce qu’ils ont fait si le sujet de devoir que j’ai donné au premier cours avait été constitué de noms différents ? La réponse à toutes ces questions est non. Pourvu qu’on leur ait donné la ferme conviction qu’ils étaient face à un poème religieux, mes étudiants auraient été capables de transformer n’importe quelle liste de noms en un poème du genre de celui que nous avons maintenant devant les yeux, car ils auraient lu les noms à l’intérieur du présupposé qu’ils étaient informés par un sens chrétien. (Ce n’est rien d’autre que l’analogue littéraire de la règle de la foi de saint Augustin.) Pour vérifier cette assertion, remplacez Jacobs-Rosenbaum, Levin, Thorne, Hayes et Ohman par des noms de professeurs de la faculté de Kenyon College – Temple, Jordan, Seymour, Daniels, Star, Cherch. Je ne vais pas perdre mon temps ou votre patience à procéder à une analyse en bonne et due forme, qui impliquerait, bien sûr, la relation entre ceux qui ont vu le fleuve Jourdain (Jordan) et ceux qui ont vu davantage en voyant l’Étoile (Star) de Bethléem, accomplissant ainsi la prophétie selon laquelle le temps de Jérusalem devait être remplacé par l’église (Church) intérieure édifiée dans le cœur de chaque chrétien. Je dirai seulement qu’elle est très facile à faire (vous pouvez ramener le poème chez vous et la faire vous-mêmes) et que la forme qu’elle prendrait ne serait pas contrainte par les noms mais par les présupposés interprétatifs qui leur ont donné leur sens avant même qu’on les voit. Ce serait tout aussi vrai s’il n’y avait pas de noms sur la liste, si le papier ou le tableau étaient vierges. Cette absence ne poserait aucun problème à l’interprète, qui y verrait immédiatement le vide à partir duquel Dieu créa la terre, ou l’abîme dans lequel tombent les pécheurs non régénérés ou, dans le meilleurs des poèmes possibles, l’un et l’autre.

Certes, pourrait-on me répondre, mais vous n’avez pas fait que démontrer comment une interprétation, si elle est poursuivie avec suffisamment de vigueur, peut s’imposer à un matériau qui a sa propre forme. Au fond, au niveau le plus immédiat, en premier lieu, tout bien pesé, « Jacobs-Rosenbaum Levin Thorne Hayes Ohman (?) » est un sujet de devoir ; c’est une ruse qui vous permet de le transformer en poème et une fois les effets de la ruse dissipés, il reviendra à sa forme naturelle et sera vu comme un sujet de devoir. L’argument est puissant puisqu’il semble tout à la fois rendre justice à l’interprétation (comme un acte de la volonté) et maintenir l’indépendance de l’objet sur lequel l’interprétation travaille. Il nous permet, en bref, de préserver l’intuition commune que l’interprétation doit être interprétation de quelque chose. Malheureusement, l’argument ne tient pas puisque le sujet de devoir que nous voyons tous n’est pas moins le produit de l’interprétation que le poème en lequel il a été transformé. Autrement dit, il faut tout autant de travail, et le même type de travail, pour le voir comme un sujet de devoir et comme un poème. Si cela semble contre-intuitif, c’est que ce travail exigé pour le voir comme un sujet de devoir, nous l’avons déjà fait, au cours de notre acquisition d’une immense quantité de connaissances de fond qui nous permet, vous et moi, d’évoluer dans le monde universitaire. Pour savoir ce qu’est un sujet de devoir, mieux, pour savoir ce qu’il faut faire d’une chose identifiée comme un sujet de devoir, vous devez déjà savoir ce qu’est un cours (savoir que ce n’est pas un regroupement économique) et savoir que les cours ont lieu à un horaire défini pendant un certain nombre de semaines, et que la performance (performance) d’une personne pendant un cours dépend en grande partie de ses performances (performing) entre les cours.

Pensez un instant à la façon dont vous expliquerez cela à quelqu’un qui ne le saurait pas encore. « Eh bien, diriez-vous, une classe est une situation de groupe dans laquelle un certain nombre de personnes reçoivent l’enseignement d’une autre personne informée sur un thème particulier. (Bien sûr, la notion de « thème » demandera elle-même des explications.) Un devoir est une chose qu’on fait lorsqu’on n’est pas en cours. » « Je vois, répondrait votre interlocuteur, un devoir est une chose qu’on fait pour se distraire de ce qu’on a fait en cours. » « Non, un devoir fait partie du cours. » « Mais comment cela est-il possible puisqu’on ne le fait que quand les cours n’ont pas lieu ? » Vous pourriez certes finir par répondre à cette question, mais seulement en agrandissant les horizons de votre explication jusqu’à intégrer le concept même d’université, ce qu’on peut bien y faire, pourquoi on fait cela parmi les milliers de choses qu’on pourrait faire, etc. Pour le plupart d’entre nous, ces questions ne demandent pas d’explications et, de fait, il nous est difficile d’imaginer quelqu’un pour qui elles seraient nécessaires ; c’est que nous avons acquis depuis si longtemps et si graduellement cette connaissance tacite de ce que signifie évoluer dans monde universitaire qu’elle ne nous apparaît plus du tout comme une connaissance (et donc, comme quelque chose que quelqu’un d’autre pourrait ne pas savoir) mais comme une partie du monde. Vous pourriez penser que lorsque vous êtes « sur le campus » (une expression qui demanderait elle-même des volumes entiers d’explications), vous marchez simplement sur les deux jambes que le Bon Dieu vous a données ; mais votre marche est informée par la conscience intériorisée d’objectifs et de pratiques institutionnelles, de normes de comportement, de listes de choses à faire et à ne pas faire, de frontières invisibles et des dangers encourus à les franchir ; la conséquence, c’est que tout ce que vous vouez vous apparaît déjà organisé par rapport à ces buts et à ces pratiques. Il ne vous viendrait pas à l’esprit, par exemple, de vous demander si tous ces gens qui sortent de ce bâtiment cherchent à échapper à un incendie ; vous savez qu’ils sortent d’un cours (quoi de plus évident ?) et vous le savez parce que votre perception de leur action intervient à l’intérieur d’une connaissance de ce que les gens sont susceptibles de faire dans une université et des raisons qu’ils peuvent avoir de le faire (se rendre au cours suivant, rentrer au dortoir, retrouver quelqu’un à l’association des étudiants). C’est à l’intérieur de cette connaissance qu’un sujet de devoir devient intelligible, qu’il vous apparaît immédiatement comme une obligation, un ensemble de consignes, une chose constituée de parties, dont certaines sont plus importantes que d’autres. C’est d’ailleurs une question qu’on peut se poser à propos d’un  sujet de devoir – certaines de ses parties peuvent-elles être ignorées ou négligées ? – tandis que les lecteurs de poésie savent qu’aucune partie d’un poème ne peut être négligée (la règle dit : « chaque chose compte ») et ils ne s’arrêtent pas avant d’avoir donné un sens à chacune d’elles.

D’une certaine manière, cela revient à dire ce que chacun sait : les poèmes et les sujets de devoir sont différents, mais j’insiste sur le fait que ces différences sont le résultat des opérations interprétatives différentes que nous réalisons et non de quelque chose qui serait inhérent à un poème ou à un sujet de devoir. Un sujet de devoir n’impose pas davantage sa propre reconnaissance qu’un poème ; comme dans le cas d’un poème, la forme d’un sujet de devoir émerge lorsque quelqu’un regarde cette chose identifiée à un sujet de devoir avec des yeux « qui voient du sujet de devoir », c’est-à-dire avec des yeux qui sont capables de voir les mots comme déjà inclus à l’intérieur de la structure institutionnelle qui fait qu’il est possible que les sujets de devoir aient un sens. La capacité à voir, et donc à faire, un sujet de devoir, n’est pas moins acquise que la capacité à voir, et donc à faire, un poème. L’un comme l’autre sont des objets construits, produits, et non producteurs, de l’interprétation, et si les différences entre les deux sont bel et bien réelles, elles sont interprétatives et n’ont pas leur source dans quelque premier niveau objectif.

Bien sûr, on pourrait vouloir soutenir qu’il existe bien un premier niveau où ces noms ne constituent ni un sujet de devoir ni un poème mais une simple liste. Mais cet argument ne tient pas puisque, pas plus qu’un sujet de devoir ou un poème, une liste n’est un objet naturel – un objet qui porte sa signification à sa surface et peut être reconnu par n’importe qui. Pour voir une liste, il faut déjà être équipé de concepts de sérialité, de hiérarchie, de subordination, etc., et même si tous ces concepts sont loin d’être ésotériques et semblent disponibles à chacun ou presque, ils restent des concepts acquis, et s’il y avait quelqu’un qui ne les avait pas acquis, il ou elle ne serait pas capable de voir une liste. Le recours suivant est de descendre encore plus bas (en direction des atomes) et d’invoquer l’objectivité des lettres, du papier, du graphite, des traits noirs sur les espaces blancs, etc. ; mais ces entités ne doivent à chaque fois leur tangibilité et leur forme qu’au présupposé d’un système d’intelligibilité, et elles se prêtent donc tout autant à la dissolution déconstructive que les poèmes, les sujets de devoir et les listes.

La conclusion est donc que tous les objets sont faits et non trouvés, et qu’ils sont faits par les stratégies interprétatives que nous mettons en œuvre. Pour autant, je ne suis pas condamné à la subjectivité dans la mesure où les moyens par lesquels ces objets sont faits sont sociaux et conventionnels. Autrement dit, le « vous » qui réalise le travail interprétatif qui met les poèmes, les sujets de devoirs et les listes dans le monde est un vous communautaire et non un individu isolé. Nul d’entre nous ne se réveille le matin et, à la française, réinvente la poésie ou conçoit un nouveau système éducatif ou décide de rejeter la sérialité au profit d’une forme d’organisation autre, entièrement originale. Nous ne faisons rien de tout cela parce que nous ne pourrions pas le faire, parce que les opérations mentales que nous pouvons exécuter (perform) sont limitées par les institutions dans lesquelles nous sommes déjà inclus. Ces institutions nous précèdent, et c’est seulement en les habitant, ou en étant habités par elles, que nous avons accès aux sens publics et conventionnels qu’elles produisent. Ainsi, s’il est vrai que nous créons la poésie (et les sujets de devoirs et les listes), nous la créons au moyen de stratégies interprétatives qui ne sont finalement pas les nôtres, mais qui ont leur source dans un système d’intelligibilité de disponibilité publique. Dans la mesure où le système (un système littéraire, dans ce cas) nous contraint, il nous façonne également, en nous munissant des catégories de compréhension avec lesquelles nous façonnons à notre tour les entités que nous pouvons alors désigner. En bref, à la liste d’objets fait ou construits, nous devons nous ajouter nous-mêmes, puisque, tout autant que les poèmes et les sujets de devoir, nous sommes les produits de schèmes de pensée sociaux et culturels.

Formuler le problème de cette manière revient à comprendre que l’opposition entre objectivité et subjectivité est fausse puisque ni l’une, ni l’autre n’existe dans la forme pure qui donnerait sa valeur à l’opposition. C’est précisément ce qu’illustre mon anecdote, qui montre que nous n’avons pas affaire à des lecteurs autonomes en relation de perception adéquate ou inadéquate avec un texte tout aussi autonome. Au contraire, nous avons affaire à des lecteurs dont les consciences sont constituées par un ensemble de notions conventionnelles qui, une fois mises en marche, constituent à leur tour un objet conventionnel, et vu conventionnellement. Mes étudiants ont pu faire ce qu’il ont fait, et ils l’ont fait de concert, parce qu’en tant que membres de la communauté littéraire, ils savaient ce qu’était un poème, et cette connaissance les a conduits à regarder le paysage de manière à le peupler de ce qu’ils savaient être des poèmes.

Bien sûr, les poèmes ne sont pas les seuls objets constitués de concert par des manières de voir partagées. Tout objet ou événement qui devient disponible dans un cadre institutionnel peut être caractérisé ainsi. Je pense, par exemple, à une chose qui s’est passée dans mon cours l’autre jour. Alors que j’étais en train d’exprimer vigoureusement une idée,l’un de mes étudiants, William Newlin pour ne pas le nommer, agitait sa main tout aussi vigoureusement. Quand je demandai aux autres membres du cours ce que M. Newlin faisait, ils répondirent tous qu’il demandait la permission de parler. Je demandai alors comment il savaient cela. La réponse immédiate fut que c’était évident : que pouvait-on imaginer qu’il fît d’autre ? La signification de son geste, en d’autres termes, était inscrite à sa surface, disponible à la lecture de quiconque avait des yeux pour voir. Pourtant, cette signification n’aurait pas été disponible à quelqu’un qui n’aurait rien su de ce qu’implique le statut d’étudiant. Une telle personne aurait pu penser que M. Newlin désignait les néons accrochés au plafond, ou qu’il attirait notre attention sur quelque chose qui menaçait de tomber (« le ciel tombe, le ciel tombe2  »). Et si la personne en question était un enfant en âge d’aller à l’école primaire, il se pourrait bien qu’elle croie que M. Newlin demande la permission, non de parler, mais d’aller aux toilettes, une interprétation ou un lecture qui ne viendrait jamais à l’esprit d’un étudiant de Johns Hopkins ou de tout autre institution de « l’enseignement supérieur » (et comment expliquerions-nous au non-initié la signification de cette dernière expression ?).

L’idée est celle que j’ai déjà développée de nombreuses fois : on ne peut dire ni que le sens du geste de M. Newlin était imprimé à sa surface, où il n’avait qu’à être lu, ni que la construction dont ce geste fit l’objet par chacune des personnes présentes dans la classe était individuelle et idiosyncrasique. La source de notre unanimité interprétative était plutôt la structure d’intérêts et d’objectifs bien compris, une structure dont les catégories remplissaient tellement nos consciences individuelles qu’elles s’actualisèrent en chœur, investissant immédiatement les phénomènes du sens qu’ils devaient avoir, compte tenu des présupposés déjà en place sur l’intention que quelqu’un est susceptible de manifester (par la parole ou par les gestes) dans une salle de cours. En voyant la main levée de M. Newlin d’un œil « univocisant », nous faisions la démonstration de ce que Harvey Sacks caractérisé comme « le pouvoir minutieux d’une culture. Elle ne se contente pas, pour ainsi dire, de remplir les cerveaux d’une manière à peu près semblable, elle les remplit au point qu’ils soient identiques jusque dans les détails les plus minutieux3  ». Ce qui donna lieu à l’observation de Sacks, ce fut la capacité de ses auditeurs à comprendre une séquence de deux phrases – « Le bébé pleurait. La maman l’a pris dans ses bras. » - exactement comme lui l’avais comprise (en supposant, par exemple, que « la “maman” qui prend le “bébé” dans ses bras est la maman de ce bébé »), alors même que d’autres manières de comprendre étaient manifestement possibles. Ainsi, la maman de la deuxième phrase aurait très bien pu être la maman d’un autre bébé, et il n’était même pas nécessaire que ce fût un bébé que cette maman « flottante » air pris dans ses bras. On est tenté de dire qu’en l’absence de contexte spécifique, nous sommes autorisés à prendre les mots littéralement, et que c’est ce que font les auditeurs de Sacks ; mais, comme l’observe Sacks, c’est à l’intérieur du présupposé d’un contexte – un contexte si profondément supposé qu’on n’en a même pas conscience – que les mots acquièrent ce qui semble être leur signification littérale. Il n’y a rien dans les mots qui dise à Sacks et à ses auditeurs la parenté entre la maman et le bébé de cette histoire, tout comme il n’y a rien dans la forme du geste de M. Newlin qui dise à ses camarades le sens qu’il faut lui donner. Dans les deux cas, la détermination (de la parenté et du sens) est l’œuvre de catégories d’organisation – la famille, le statut d’étudiant – qui, dès le début, donnent forme et valeur à ce qui est entendu et vu.

De fait, ces catégories sont la forme même du voir, dans le sens où nous ne pouvons pas imaginer de terrain de perception plus fondamental que celui qu’elles préparent. Autrement dit, nous ne pouvons pas imaginer un moment où mes étudiants « verraient simplement » une configuration physique d’atomes, puis donneraient un sens à cette configuration, en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent être. Être dans une situation (celle-ci ou une autre), c’est « voir » avec les yeux des intérêts, des objectifs, des pratiques bien comprises, des valeurs et des normes liés à cette situation, et c’est donc donner du sens par le fait de voir, et non après avoir vu. Les catégories de la vision de mes étudiants sont les catégories par lesquelles ils comprennent qu’ils fonctionnent en tant qu’étudiants (ce que Sacks appellerait « faire l’étudiant » - doing studenting), et les objets leur apparaissent sous des formes reliées à cette manière de fonctionner plutôt que sous une forme objective ou pré-interprétative. (C’est vrai également lorsqu’un objet est vu comme non-relié, puisque la non-relation n’est pas une catégorie pure mais différentielle – la spécification de quelque chose en énumérant ce qu’elle n’est pas ; en bref, la non-relation n’est qu’une forme de relation, et sa perception est toujours spécifique à une situation.)

Bien sûr, si quelqu’un qui ne fonctionne pas comme un étudiant devait entrer dans ma salle, il pouvait très bien voir la main levée (et « main levée » est déjà une description chargée d’interprétation) de M. Newlin d’une autre manière, comme le signe d’une maladie, le salut d’un membre d’une formation politique, un  exercice de musculation, un effort pour tuer les mouches ; mais il le verrait toujours d’une certaine manière, et jamais comme une donnée purement physique attendant son interprétation. De plus, la manière de voir, quelle qu’elle soit, ne serait jamais individuelle ou idiosyncrasique, puisque sa source est la structure institutionnelle dont le « voyant » est l’agent et l’extension. C’est ce que Sacks signifie quand il dit qu’une culture remplit les cerveaux « au point qu’ils soient identiques jusque dans les détails les plus minutieux » ; elle les remplit au point que nul ne peut dire que ses actes interprétatifs lui sont absolument propres mais qu’ils lui échoient en vertu de sa position dans un environnement socialement organisé et qu’ils sont donc toujours publics et partagés. De là le caractère infondé de la crainte du solipsisme, de l’imposition par l’ego non-contraint (the unconstrained self) de ses propres préjugés, car l’ego n’existe pas en dehors des catégories de pensée conventionnelles et communautaires qui habilitent ses opérations (penser, voir, lire). Une fois qu’on a découvert que les conceptions qui remplissent la conscience, jusqu’à la conception de son propre statut, sont issues de la culture, la notion même d’ego non-contraint, de conscience pleinement et dangereusement libre, devient incompréhensible. 

Mais privés de la notion d’ego non-contraint, les arguments de Hirsch, Abrams et des autres partisans de l’interprétation objective perdent leur urgence. Ils ont peur qu’en l’absence des contrôles assurés par un système de significations normatif, l’ego substitue simplement ses propres significations aux significations (identifiées d’ordinaire aux intentions de l’auteur) que les textes portent en eux, que les textes « ont » ; mais si l’ego est conçu, non comme une entité indépendante mais comme une construction sociale dont les opérations sont délimitées par les systèmes d’intelligibilité qui l’informent, alors les significations qu’il confère au texte ne sont pas les siennes mais trouvent leur source dans la (ou les) communauté(s) interprétative(s) sur laquelle (ou lesquelles) il repose. En outre, ces significations ne seront ni subjectives ni objectives, du moins pas dans les termes posés par ceux qui en débattent à l’intérieur du cadre traditionnel : elles ne seront pas objectives parce qu’elles seront toujours le produit d’un point de vue plutôt que simplement « lues » ; et elles ne seront pas subjectives parce que ce point de vue sera toujours social ou institutionnel. Selon le même raisonnement, on pourrait dire aussi  qu’elles sont à la fois subjectives et objectives : elles sont subjectives parce qu’inhérentes à un point de vue particulier et donc non universelles ; et elles sont objectives parce que le point de vue qui les délivre est public et conventionnel plutôt qu’individuel ou singulier.

En posant le problème de ces deux manières, on voit à quel point les termes « subjectif » et « objectif » sont finalement improductifs. Au lieu de faciliter l’investigation, ils la verrouillent, en décidant par avance la forme qu’elle peut prendre. En l’occurrence, ils supposent, sans avoir conscience qu’il s’agit d’un présupposé, susceptible donc, d’être contesté, la distinction que je n’ai cessé de remettre en question, la distinction ente les interprètes et les objets qu’ils interprètent. Cette distinction, à son tour, suppose que les interprètes et leurs objets sont deux types d’entités a-contextuelles différents, et à l’intérieur de ce double présupposé, le problème devient forcément un problème de contrôle : permettra-t-on aux textes de contraindre leur propre interprétation ou permettra-t-on aux interprètes irresponsables d’obscurcir et d’engloutir les textes ? Dans le spectacle qui en procède, le spectacle de la controverse critique anglo-américaine, les textes et les ego se livrent une bataille acharnée par l’intermédiaire de leurs champions respectifs, Abrams, Hirsch, Reichert, Graff d’un côté, Holland, Bleich, Slatoff, et (sous certains aspects) Barthes de l’autre. Mais si les egos sont constitués par les manières de penser et de voir inhérentes aux organisations sociales, et si, à leur tour, ces egos constitués constituent des textes selon ces mêmes manières, il ne peut donc pas y avoir de rapport d’antagonisme entre le texte et l’ego puisqu’ils sont les produits nécessairement liés des mêmes possibilités cognitives. Un texte ne peut pas être englouti par un lecteur irresponsable et on n’a pas à se soucier de protéger la pureté d’un texte des idiosyncrasies d’un lecteur. C’est la distinction entre sujet et objet qui suscite ces urgences, et dès qu’elle est brouillée, elles s’évanouissent d’elles-mêmes. On peut répondre d’un oui jovial à la question « Les lecteurs font-ils les significations ? » sans s’engager à grand-chose, puisqu’il serait tout aussi vrai de dire que les significations, sous la forme de catégories interprétatives issues de la culture, font les lecteurs.

De fait, beaucoup de choses changent d’aspect lorsque la dichotomie sujet-objet n’est plus posée comme le cadre à l’intérieur duquel le débat doit avoir lieu. Des problèmes disparaissent, non parce qu’ils ont été résolus mais parce qu’on découvre qu’ils n’en ont jamais été. Ainsi, Abrams se demande comment, en l’absence de système normatif de significations stables, deux personnes peuvent tomber d’accord sur l’interprétation d’une œuvre ou même d’une phrase ; mais la difficulté n’en est une que si les deux personnes (ou plus) sont conçues comme des individus isolés dont l’accord doit être imposé par quelque chose qui leur est extérieur. (Il y a quelque chose d’état policier dans la vision d’Abrams, avec ses règlements et ses frontières, ses chiens de garde pour les faire respecter, ses procédures pour identifier les contrevenants comme des criminels.) Mais si la compréhension de chacune des personnes en question est informée par les mêmes notions sur ce qui vaut comme fait, sur ce qui est central, périphérique, et sur ce qui mérite d’être remarqué – en bref, par les mêmes principes interprétatifs – alors, l’accord entre eux est assuré, et sa source n’est pas un texte qui dicte et fait respecter sa propre interprétation, mais une manière de percevoir qui conduit, pour ceux qui la partagent (ou qu’elle réunit), à l’émergence du même texte. Ce texte peut être un poème, comme ce fut le cas pour ceux qui furent les premiers à « voir » « Jacobs-Rosenbaum Levin Hayes Thhorne Ohman (?) », ou une main, comme c’est le cas tous les jours dans des milliers de salles de cours ; mais quel que soit ce texte, la forme et la signification sous lesquelles il apparaît immédiatement seront l’ « accomplissement continu4  » de ceux qui s’accordent à le produire.

 

 

 

 

1 Le présent article de Stanley Fish est extrait de son ouvrage Quand lire c'est faire. L'autorité des communautés interprétatives, publié, en France, aux Éditions Les Prairies ordinaires (traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque ; préface de Yves Citton). Il est reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

Le site des Prairies ordinaires : http://www.lesprairiesordinaires.fr/

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2 NdT : « The sky is falling… the sky is falling… », répète Little Shicken à qui veut l’entendre après qu’un gland lui soit tombé sur la tête. Le conte, d’origine indienne, est très célèbre dans le monde anglophone.

3 « On the Analysability of Stories by Children », in Roy Turner (éd.), Ethnomethodolgy, Baltimore, Penguin, 1974, p. 218.

4 (ongoing accomplishment) – L’expression est utilisé par les ethnométhodologues pour décrire les activités interprétatives qui créent et perpétuent les caractéristiques de la vie quotidienne. Voir, par exemple, Don H. Zimmerman, « Facts as a Practical Accomplishement », in Roy Turner (éd.) Ethnomethodology, op. cit., pp. 128-143

 

 

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