Le 6 octobre 2009, Raymond Federman est décédé, de sorte que l’article qui suit se trouve en prise sur une bien triste actualité. Que la famille de Raymond Federman, ses proches, ses lecteurs considèrent donc ces quelques pages comme l’hommage hélas posthume que méritent infiniment à la fois l’homme et l’œuvre.

 

 

Raymond Federman le « surfictionnel »1
(L’exemple de Chut2 )

 

Pour Raymond Federman, qui a changé de temps.

 

Frank Wagner
Université de Haute Bretagne – Rennes 2

Soit, en guise d’entrée en matière, une brève citation, extraite de La Fourrure de ma tante Rachel de Raymond Federman, qui me paraît à la fois réjouissante et éclairante : « […] moi la réalité je m’en fous, j’y crois pas d’ailleurs, oui y a belle lurette que j’y crois plus à la réalité, ou si tu préfères, la réalité bon j’y vais de temps en temps en visite mais j’aimerais pas y vivre en permanence, ah ça non… »3 Pourtant, malgré cette apparente proclamation d’irréalisme ou d’anti-réalisme, qui peut passer, par-delà sa dimension comique, paradoxale et provocatrice, pour un embryon de poétique federmanienne (ou federmaniaque ?), je débuterai cette « introduction à la littérature selon Raymond Federman » par le rappel de quelques jalons bio-bibliographiques. Car, bon gré mal gré, notre auteur a bien dû vivre un peu plus que de temps à autre dans ce que faute de mieux l’on nomme « la réalité », et continue d’y vivre. Cet espace problématique est en effet, entre autres choses, celui où ses livres sont écrits (abondamment), publiés (difficilement), diffusés (parcimonieusement) et lus - trop peu, hélas. Pour autant, il n’est pas question de céder aux mirages de l’illusion biographique - ce qui, en l’occurrence, serait un comble -, ni d’expliquer l’œuvre par l’homme, selon l’adage on peut l’espérer aujourd’hui caduc : « tel arbre, tels fruits ». Simplement, ces repères sont indispensables pour tenter de comprendre la relative confidentialité dans laquelle est injustement maintenue l’une des œuvres les plus stimulantes de ces dernières décennies ; indispensables également dans la mesure où Federman fait de sa vie le matériau primordial de ses fictions - de ses « critifictions » ou « surfictions »4 .

Bio(-biblio)graphiques

Né en France, à Montrouge, en 1928, d’un père artiste peintre impécunieux et d’une mère femme de ménage, Raymond Federman y grandit jusqu’à la rafle du Vel d’Hiv’ du 16 juillet 1942. Caché par sa mère dans un cabinet de débarras, seul de sa famille il survit : ses parents et ses deux sœurs sont déportés et exterminés dans les camps de concentration de l’Allemagne nazie. Réfugié en zone libre dans une ferme du Lot-et-Garonne, il ne regagne Montrouge qu’à la Libération, puis émigre seul aux Etats-Unis en 1947. Il y exerce divers métiers (ouvrier dans les usines de Detroit, plongeur dans les Grease Joints du Bronx), avant de s’engager dans les parachutistes pendant la guerre de Corée. Obtient la nationalité américaine. A partir de 1957, étudie à l’université de Columbia ; puis prépare une thèse de doctorat à l’université de Californie à Los Angeles. Soutenue en 1963, sa thèse est la première consacrée à l’œuvre de Samuel Beckett, et sera publiée sous le titre de Journey to chaos. Federman dirigera également le numéro des Cahiers de l’Herne consacré à Samuel Beckett, dont il devient un éminent spécialiste. Enseigne - littérature comparée et « creative writing » - à l’université de Californie de 1959 à 1964, puis à l’université de Buffalo (état de New York) d’où il prendra sa retraite en 1999 avec le titre de « Distinguished  Professor ». Réside en Californie, à San Diego.

Réduire ainsi le flux et la complexité d’une existence à quelques dates et faits recensés sous la forme lapidaire d’une fiche d’état civil est certes profondément insatisfaisant, voire obscène en raison de la réduction et de la glaciation qui en résultent. Mais ces quelques bribes dérisoires permettent déjà de commencer à entrevoir les raisons du décalage existant entre l’originalité et la valeur de l’œuvre federmanienne et la faible reconnaissance institutionnelle dont elle jouit dans l’Hexagone. Sur ce point, le début de la présentation de l’auteur sur Wikipédia est significatif : « Raymond Federman est un écrivain et poète américain né en France […] »5 . « Froggy » ou « Frenchy » aux USA, « Ricain » de ce côté-ci de l’Atlantique, Raymond Federman semble pâtir d’un déficit d’image dû à cette forme d’hybridité identitaire. Dans un pays si fier de ses 200 vins et de ses 300 fromages, la double nationalité constituerait-elle un défaut rédhibitoire ? La question mérite d’être posée.

Mais, pour être honnête, force est de convenir que ce qui pourrait passer pour une marginalisation patriotarde de l’oeuvre federmanienne trouve bien plutôt sa source dans son bilinguisme - compliqué de nombreux avatars éditoriaux. En effet, Federman écrit aussi bien en anglais qu’en français, jusque dans un même livre, voire une même phrase. En atteste notamment La Voix dans le débarras / The Voice in the Closet6 . Recenser l’intégralité de sa bibliographie serait à la fois excessivement chronophage et fastidieux ; mais évoquer quelques exemples précis devrait permettre de comprendre à quel point l’itinéraire éditorial tortueux de ces publications a pu affecter leur réception, et l’image subséquente de l’écrivain7 .

Si le premier récit de Federman, Double or Nothing, paraît dès 1971, il ne sera disponible en français, sous le titre de Quitte ou double, qu’en… 2004 - soit un décalage de plus de trente ans. En fait, le premier de ses textes à paraître en français fut Amer Eldorado, en 1974 ; mais à la suite de l’abandon par les éditions Stock de la collection où il avait été publié, l’ouvrage fut hélas pilonné. Ce n’est que dans les années 90 que l’on retrouve la trace de Raymond Federman dans le paysage littéraire français, aux éditions Circé, qui publient en 1991 une traduction de The Twofold Vibration sous le titre de La Flèche du temps, puis en 1996 la première édition de La Fourrure de ma tante Rachel. C’est ensuite à l’éditeur franco-belge Les Impressions Nouvelles que l’on doit, en 2001, la publication de La Voix dans le débarras / The Voice in the Closet. Par après, Le Mot et le Reste publie à partir de 2003 plusieurs volumes de poèmes8 de Federman, ainsi qu’un recueil d’articles, Surfiction9 .  Simultanément, les éditions Al Dante / Léo Scheer s’attellent à la publication des récits de Federman, sans respecter l’ordre de parution des originaux américains - lorsqu’il s’agit de traductions. La Fourrure de ma tante Rachel et Amer Eldorado 2/001 en 2003, Quitte ou double et Moinous et Sucette en 2004, Retour au fumier en 2005, A qui de droit et Le Livre de Sam en 2006. Chut paraît chez Léo Scheer en 2008, série en cours10 , souhaitons-le.

Il ne s’agit évidemment pas de faire la fine bouche ; tout au contraire, le travail de ces courageux éditeurs indépendants doit être salué comme il le mérite. Mais la conséquence de cette situation éditoriale saute aux yeux : ceux qui, comme moi, ont eu un premier contact avec l’œuvre de Federman à partir de 2003, ont ainsi fait la découverte d’un « nouvel » auteur… âgé de 75 ans - dont les travaux ont été régulièrement publiés Outre-Atlantique depuis le début des années 70, et parfois primés, comme Smiles on Washington Square (1995), couronné par l’American Book Award. Raymond Federman n’est donc guère prophète en son pays ; même si, fort heureusement, ces derniers temps, sous l’influence notamment des médias spécialisés et de l’université, la situation semble s’améliorer.

Dans le cadre de ces préliminaires « éditoriaux », il peut à présent être utile de dire deux mots de la genèse tortueuse de La Voix dans le débarras / The Voice in the Closet, puisque ce texte, central dans l’œuvre de Federman, tiendra lieu ici de contrepoint à l’étude de Chut. Sans entrer dans les détails de l’élaboration, signalons qu’originellement The Voice in the Closet fut intégré par Federman au manuscrit de The Twofold Vibration, roman accepté pour publication par les Presses Universitaires de l’Indiana… à la condition expresse que soient supprimées ces 20 pages jugées illisibles. D’où une édition séparée du poème chez Coda Press, qui fit faillite après avoir vendu 200 exemplaires du livre - sans qu'il faille y voir un lien de cause à effet. S’ensuivirent une édition allemande puis, à l’initiative de Jan Baetens, l’édition bilingue déjà mentionnée. L’intérêt de ces observations « érudites » - si elles en ont un - est tout d’abord de confirmer ce qui précédait : ces vicissitudes éditoriales aboutissent in fine à la création d’un décalage de plus d’une vingtaine d’années entre la parution de l’original et sa découverte par les lecteurs francophones. Ensuite, ce rappel attire derechef l’attention sur le bilinguisme de Federman - ce qu’il nomme « [avoir]  une voix dans une voix »11 . Enfin, de façon sans doute plus décisive, est ainsi mise en lumière l’absence de solution de continuité entre ses pratiques poétique et narrative. D’une part, comme le signale Marc Avelot dans sa préface, parce qu’il y aurait dans La Voix… « de véritables bouffées de récit »12  ; d’autre part parce que ce texte, dans le projet de l’auteur, pouvait sans dommage être intégré au roman que nous connaissons en français sous le titre de La Flèche du temps.  Il s’agit d’ailleurs d’une constante de l’œuvre de Federman que cette interpolation (souvent ludique) de ses poèmes dans ses fictions narratives. Par exemple, dans Chut, « Humiliation en jaune »13 , « «La cuvette »14 , « La soupe populaire »15 , « Notre père »16 , etc. Cette idée que, dans l’écrit, tout fait ventre…, constitue l’un des principes de base de la « critifiction », notamment conçue comme un défi lancé aux cloisonnements génériques institués.

Ce qui incite à évoquer l’ambivalence de certaines des positions théoriques de Raymond Federman - terrain sur lequel les tensions ou couples de torsion précédemment recensés apparaissent comme exacerbés. En effet, au bilinguisme déjà évoqué s’ajoute une forme particulière de « biculturalisme », qui contribue dans une assez large mesure à l’impression de déphasage que ressent, à l’heure actuelle, un lecteur français confronté pour la première fois à l’œuvre de Federman  - comme si elle surgissait brusquement d’une faille spatio-temporelle. Que l’auteur mobilise à la fois des références anglo-saxonnes et françaises ne constitue que la partie la plus visible, et somme toute la moins problématique, de ce montage déconcertant. Après tout, de ce côté-ci de l’Atlantique comme de l’autre, n’importe quel « comparatiste » peut renvoyer à la fois à Lawrence Sterne et Denis Diderot, Ronald Sukenick et Christian Prigent, Thomas Pynchon et Alain Robbe-Grillet, John Barth et Michel Butor, etc. Ce qui surprend le lecteur français contemporain est bien plutôt l’ancrage insistant  des positions théoriques de Federman dans ce que nous percevons ici, à tort ou à raison, comme le modernisme ; mais que lui nomme postmodernisme. Force m’est donc de me hasarder (prudemment) sur ce pont aux ânes de la théorie « contemporanéiste ».

Pour tenter de mettre un peu d’ordre dans ce chaos, depuis le début des années 90 la plupart des théoriciens français opèrent une distinction - absente chez Federman, ce qui peut valoir indice - entre la postmodernité, définie comme une période historique, et le postmodernisme, conçu comme une esthétique (d’ailleurs plurielle)17 . Or la question de la périodisation révèle une différence notable entre les conceptions américaine et européenne de la notion : aux USA, il n’est pas rare de faire débuter la postmodernité au début des années 60, au lieu qu’en Europe (en particulier en France) on estime généralement que cette période commence au milieu des années 80. Aussi le lecteur francophone, accoutumé à ce découpage historique au point peut-être de l’avoir intégré, risque-t-il fort d’être décontenancé à la lecture de Surfiction - le seul recueil d’articles théoriques de Federman à ce jour traduit en français. Samuel Beckett, référence federmanienne majeure, y est ainsi présenté de façon récurrente comme un auteur postmoderne, quand de ce côté-ci de l’Atlantique il est unanimement perçu comme la figure de proue de l’esthétique moderniste. Chacun n’étant après tout que le produit du système culturel au sein duquel s’est accomplie sa formation intellectuelle, il n’est pas question d’arbitrer ici entre ces conceptions divergentes, simplement de constater que sur ce point - et en dépit de ses accointances avec les membres de TXT ou avec certains « nouveaux romanciers » - Federman témoigne clairement d’une vision de la littérature contemporaine façonnée par son ancrage américain. Au risque du paradoxe, cela apparaît tout aussi nettement dans certaines de ses références de prédilection : Barthes, Foucault et Derrida sont certes des penseurs français (au moins sur le plan de l’Etat Civil), mais on sait que leur récent regain de popularité provient curieusement de la bonne fortune qu’ont connue leurs travaux Outre-Atlantique, où on les regroupe sous la dénomination de « French Theory ». Or c’est bien de cette vulgate « déconstructionniste », fréquemment objet de soupçon en France, qu’est nourrie la conception federmanienne de la fiction, considérée dans ses rapports complexes au réel.

Bref, alors qu’il se réclame du postmoderne, Federman fait entendre un discours théorico-critique où, pour nous, résonnent sans ambiguïté les échos d’un modernisme militant. En attestent par exemple la revendication systématique du patronage de Mallarmé, la défense d’une littérature « expérimentale » en lutte contre les académismes marchands, ou encore l’insistance sur la nécessaire autoréflexivité de l’œuvre. Sans doute cette valorisation de la « self-reflexiveness » constitue-t-elle d’ailleurs le paramètre qui, au plus haut degré, confère à l’œuvre de Federman son apparence anachronique et, dans une légèrement moindre mesure, anatopique. Saturation autoreprésentative, ou si l’on préfère métatextuelle, dénudation du medium littéraire, progrès de l’intelligence lectorale sur l’illusionnisme du roman apparaissent comme les traits saillants d’une vulgate moderniste aujourd’hui non pas tant répudiée qu’objet d’un regard critique et distancié. Remember Alain Robbe-Grillet, Jean Ricardou, et la Julia Kristeva de Sêmeiôtikê, entre autres exemples.

Reste, comme le reconnaissaient les « nouveaux romanciers » eux-mêmes, que les déclarations théoriques restent brèves, face aux œuvres. Ce n’est donc pas l’hypothétique anachronisme des pétitions de principes federmaniennes qui doit prioritairement nous requérir. Il importe bien plutôt de se demander ce qu’il en est de l’œuvre : moderniste ? ou postmoderniste ? - au sens « français » de ces termes. L’examen de Chut devrait nous apporter quelques éléments de réponse ; mais avant même d’en arriver là, il est possible d’affirmer que la tension ou l’écart que nous avons rencontrés à chacune des étapes de ce parcours inaugural se manifeste ici une fois encore. De La Fourrure de ma tante Rachel à Chut, l’autoréflexivité est certes omniprésente, comme si Federman se posait livre après livre, de façon systématique, en héritier maniaque du Diderot de Jacques le fataliste et son maître. L’œuvre pourrait donc de prime abord passer pour un parangon des productions radicalement autotéliques du modernisme estampillé « seventies ». Mais, d’une part, si chacun de ces textes « parle » de lui-même, il semble que ce n’est pas tant à des fins de proclamation de la fictionalité de ce qui y est raconté qu’en vue d’engager une réflexion de portée plus générale sur l’activité scripturale dans ses rapports ambigus à la mimèsis. Même si la distinction peut à certains égards paraître spécieuse, il semble que l’usage - iconoclastie comprise - que fait Federman de la « self-reflexiveness » l’apparente davantage à la « métafiction »18 (John Hawkes, Donald Barthelme, John Barth, Thomas Pynchon, Robert Coover, voire Donald Antrim) qu’à la mouvance « néo-romanesque ». D’autre part, l’actualité de l’œuvre de Federman tient aussi au substrat qu’il façonne sans relâche dans ses « fictions » : son vécu biographique, revu et corrigé par l’auteur. Il ne s’agit pas de minorer l’indéniable originalité de l’œuvre, simplement de constater que, même s’il désavoue généralement cette dénomination, Federman s’adonne à un flirt souvent très poussé avec l’autofiction - parfois avec le récit transpersonnel (A qui de droit). Or on sait à quel point, de Guyotat à Ernaux en passant par le des Forêts d’Ostinato, le champ des écritures intimes œuvre en France au renouvellement de la littérature narrative contemporaine. L’un des attraits majeurs de l’œuvre de Federman tient à la façon si singulière dont il tient sa partie dans ce concert, en appliquant au récit de soi des techniques narratives d’ordinaire associées à la fiction - au sens courant du terme.

Alors, Federman : moderne, ou postmoderne ? Ni l’un ni l’autre, ou les deux à la fois ; ce qui pourrait révéler un dépassement de cette opposition. Comme il le suggère avec humour, peut-être sommes-nous déjà entrés dans l’ère du « POST-POMO »19 , dont son œuvre serait emblématique. Mais ce qui ressort surtout de ces observations préliminaires est que, dès que l’on tente de les appréhender, Federman et son œuvre ne se trouvent jamais là où on les attendrait. Sur tous les plans (biographique, géographique, culturel, linguistique, théorique, esthétique, historique) s’impose l’adjectif « déplacé » - au sens où Federman se qualifie lui-même ici ou là de « raconteur déplacé »20 . Et certes, hybridité et déplacement permanents contribuent à brouiller et à opacifier l’image de l’auteur et de l’œuvre, ce qui explique que cette dernière ne jouisse pas du crédit dont on rêverait pour elle. Mais elle n’en retire pas moins une aura d’étrangeté ou d’« étrangéité », qui la singularise de façon notable dans le paysage littéraire français contemporain, et peut constituer - au moins en droit -, à proportion même de ce décalage, un facteur de séduction. Selon ses propres termes, Federman apparaît donc bien comme « un drôle de phénomène »21 , aussi attachant que déconcertant.

Ecrire « l’Impardonnable Enormité »22

Cela posé, qui visait simplement à mettre auteur et œuvre en perspective, quel cadre de réflexion adopter pour rendre compte de la singularité de ces écrits - plus particulièrement de Chut ? Je proposerai un parcours en deux étapes : partir de la dimension « lazaréenne » de cette écriture fondée sur une expérience intime de ce que Federman nomme « l’Impardonnable Enormité »23 , puis donner un aperçu de sa poétique surfictionnelle, centrée sur les notions de « playgiarism »(« plajeu ») et de « laughterature »(« littérarire », ou « littérature en fourire »)24 , sans pour autant négliger l’impact de ces textes intensément dialogiques sur leur(s) lecteur(s).

Pour ce qui est du premier point, l’évocation hâtive de la biographie de Federman a déjà permis de l’établir : en tant que survivant de l’Holocauste, il crée une œuvre entée sur autant que hantée par la mémoire de ses disparus. Mais avec une différence notable par rapport à ces récits de rescapés des camps que sont par exemple L’Espèce humaine de Robert Antelme, Si c’est un homme de Primo Levi, ou encore Le Mort qu’il faut de Jorge Semprun. Contrairement à ces écrivains, Raymond Federman ne peut s’appuyer sur une expérience directe de la survie en milieu concentrationnaire - dont la ferme de Retour au fumier ne constitue à tout prendre, et toutes proportions gardées, qu’une forme d’équivalent symbolique. Or le caractère intolérable de sa situation provient de l’extermination des siens, à laquelle il était lui-même promis, et n’a échappé in extremis qu’en raison du geste de sa mère, le dissimulant dans un cabinet de débarras. D’où une perception de sa survie comme énigme scandaleuse, qu’il n’a de cesse, livre après livre, de tenter d’élucider. En vain : à la question « pourquoi moi ? », il n’est pas de réponse, puisque celle qui la détenait a tragiquement disparu. Mais, vain, ce questionnement sans espoir ne l’est que sur le plan cognitif ; à l’inverse, sur le plan affectif et psychique, l’inlassable enquête possède à l’évidence des vertus cathartiques. Ici, au risque assumé du ressassement obsessionnel, l’écriture c’est la vie.

Raymond Federman, apôtre de la « self-reflexiveness », est bien sûr non seulement conscient des tenants et aboutissants de sa condition particulière, mais aussi enclin à les commenter de façon récurrente, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur de ses récits. Aussi le commentateur de son œuvre se trouve-t-il, bon gré mal gré, réduit au rôle de glossateur de ses gloses.

Ainsi de la question centrale de la légitimité de cette parole. Dans un entretien publié dans Le Matricule des Anges25 , à la question « Quelqu’un qui n’a pas été déporté peut-il écrire sur l’holocauste ? », Federman répond :

« C’est une question intéressante parce qu’il y a un certain nombre d’écrivains, surtout en Amérique, qui n’ont jamais vécu ça et qui se sont appropriés cette histoire.
Est-ce que moi aussi ? Dans une certaine mesure oui… Quand j’étais à la ferme à 14 ans, je pensais plus à baiser qu’à mes parents. Il y a donc un côté faux dans ce travail.
D’autre ont plus le droit que moi de raconter ces histoires : Primo Levi, Jean Améry, Paul Celan… Mais regarde ce qui leur arrive : ils se suicident tous.
Je suis parmi ceux qu’on appelle les enfants de l’holocauste.
A-t-on le droit de parler de ça ? on est les derniers, ceux de ma génération, à pouvoir le faire. Après nous, il ne restera plus rien. »26

Humble et nuancé, le propos n’en aboutit pas moins à une revendication de légitimité, qu’éclaire également cette autre affirmation : « Je ne suis pas une véritable victime. Et pourtant, oui, j’ai souffert de tout ça. »27 Quand bien même il n’a pas connu les camps, les particularités biographiques de Federman le fondent donc à raconter ; en même temps qu’elles lui en font en quelque sorte obligation. Impossible, pour lui, de se détacher de cette absence fondatrice sur laquelle « repose » toute son œuvre - dès lors vouée à un équilibre précaire. Tout entière elle s’édifie sur le manque : absence des parents et des sœurs, représentée de façon récurrente par le signe de l’inconnue mathématique : « XXXX »28  ; mais aussi béance du cabinet de débarras, matrice du sujet et de l’œuvre - dont, dans le même entretien, Federman décrypte les connotations :

« C’est le trou. C’est l’absence qu’on a en soi. En anglais, on a le mot « womb » qui signifie le ventre, le sein de la mère, dans l’expression porter un enfant en son sein. Et puis il y a le mot « tomb » qui est la tombe. Je joue sur ces deux sonorités, ces deux mots pour évoquer le débarras dans lequel ma mère m’a caché : à la fois le ventre d’où je suis sorti et la tombe où je suis entré. C’est un trou noir et je tourne autour. »29

Où l’on remarque que ce trou ne demande qu’à se faire réservoir d’intertextualité : le « ventre-tombe » ou « berceau-tombeau » est une métaphore fréquemment employée par les psychanalystes qui s’intéressent à l’œuvre de Beckett30  ; quant à la partie de cache-cache mortelle qui se joue autour du débarras, elle évoque fortement l’indécision entre « rester caché, être découvert »31 qu’exprime, dans le lacunaire W ou le souvenir d’enfance, Georges Perec, autre enfant de l’Holocauste.

Le « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance »32 de W n’est d’ailleurs pas sans échos dans ce passage de Chut :

« Cette enfance perdue, cette enfance malheureuse qui a été bloquée en moi, mis à part quelques vagues souvenirs, comment la raconter ? Comment la retrouver ? Comment la reconstruire ? Par où commencer ?
Comme je viens de le faire dans les pages précédentes, il fallait revenir dans le cabinet de débarras. C’est de là, de ce trou noir que tout pourra être raconté à rebours. »33

On constate déjà que, pour Federman, vie et écriture ne peuvent être saisies à travers le prisme de l’ancienne distinction du fond et de la forme, mais sont au contraire prises dans un procès d’échanges mutuels. Sur ces deux plans intriqués, au commencement était le trou : l’absence, la faille, la lacune, la béance. Aussi comprend-on que Chut, comme les autres récits d’ailleurs, a tout à gagner à être lu à la lumière du long poème dont a déjà été évoqué l’itinéraire éditorial tortueux. Comme l’affirme Federman lui-même : « Toute mon œuvre est contenue dans La Voix dans le débarras. »34 Pour s’en convaincre, il n’est que de parcourir l’œuvre en question : toujours, à un moment ou à un autre, l’épisode traumatique du cabinet de débarras y est rejoué, avec des variantes plus ou moins accusées - à l’exception de l’ellipse de La Fourrure de ma tante Rachel :

« Comment j’ai réussi à m’échapper, ah ça c’est une toute autre histoire que j’ai d’ailleurs racontée plusieurs fois, c’est dommage que t’étais pas encore là pour l’entendre, je vais quand même pas me répéter juste pour toi, c’est pas de ma faute si tu es arrivé trop tard dans mes histoires, et puis j’en ai marre de raconter toujours la même chose, toi ce que je te dis maintenant c’est du nouveau, du pas encore raconté, du tout neuf… […]
Non, insiste pas, mon vieux, je vais pas te raconter ce qui s’est passé avant que j’atterrisse dans cette ferme après avoir sauté d’un train de marchandises qui m’emmenait sans doute vers ma solution finale…
Cette histoire là, si tu veux bien, on l’oublie, et allons plutôt voir ce que je faisais dans cette ferme… »35

On dit que le déni vaut aveu, a fortiori lorsqu’il se fait aussi insistant… Mais d’ordinaire, la place centrale de l’épisode est assumée sans détours : Federman a coutume d’affirmer qu’en le dissimulant dans le cabinet de débarras et en lui enjoignant le silence, sa mère lui a offert un supplément de vie, un excès de vie. D’abord perçu comme un douloureux fardeau, le don maternel s’est commué au fil du temps en un encouragement à raconter : « Si tu dis rien. Si tu restes tranquille et silencieux, tu survivras et un jour tu raconteras ce qui s’est passé ici. Je crois que c’est cela que voulait dire le chut de ma mère. »36 Le silence originel est donc la condition de la parole à venir ; l’excès de vie qui en découle implique un devoir de récit : il s’agit, livre après livre, de raconter « l’Impardonnable Enormité », et de rendre ainsi un peu de dignité à ceux qui en ont été si cruellement dépouillés, en même temps que de l’existence.

On mesure donc toute la gravité des enjeux qui président à l’écriture de cette œuvre, de sorte que la question de la légitimité de la parole federmanienne ne se laisse peut-être pas évacuer aussi aisément que j’ai paru l’affirmer il y a quelques instants. En atteste une anecdote, à la fois déconcertante et cruelle, que Federman rapporte dans un important article intitulé « Federman sur Federman : mentir ou mourir », repris dans Surfiction37 .A l’occasion d’un colloque littéraire où Raymond Federman était intervenu et avait lu des extraits de son œuvre, un critique en apparence hostile prit la parole pour mettre en doute l’authenticité de l’épisode du débarras. Selon lui, l’histoire avait été intégralement inventée par l’auteur, afin de donner à son œuvre une coloration dramatique. On mesure aisément le choc qu’a dû constituer pour Federman cette attitude « négationniste », d’autant plus que ce qui était ainsi publiquement remis en cause constitue, selon ses propres termes, le « moment le plus important et le plus traumatique de [s]on existence »38 . Et son contradicteur ne s’arrêtait pas en si bon chemin, contestant également la véridicité de la déportation et de l’extermination des parents et des sœurs de Raymond Federman dans les camps de concentration de l’Allemagne nazie. Compte tenu de la matière que brasse Federman dans son œuvre, la question posée par l’intervention de son détracteur apparaît fondamentale, puisque c’est, du moins implicitement, celle du droit à raconter cela. On pense immédiatement à « l’affaire Binjamin Wilkomirski », qu’Elena Lappin a analysée dans un ouvrage intitulé L’Homme qui avait deux têtes39 . Pour mémoire, Wilkomirski a publié un récit de « son » expérience dans les camps de la mort40 , qui devint un best-seller jusqu’à ce que l’on s’avise qu’il s’agissait en fait de l’œuvre d’un mythomane, donc d’une pure affabulation. D’où le scandale que l’on imagine, puisque le locuteur s’était artificiellement et frauduleusement doté d’un ethos que d’autres avaient payé de souffrances indicibles.

Traité comme un autre Wilkomirski, Federman a dû dans un premier temps se sentir terriblement désemparé. Certes, une partie des allégations de son détracteur pouvaient être réfutées : ainsi de la déportation de ses proches, attestée par des documents officiels. Mais pour ce qui est de l’épisode du débarras, dont on a vu à quel point il était fondateur, rien de similaire à une « preuve » ne peut exister, puisque la survie même de Federman dépendait de son isolement - j’allais dire de sa « mise au secret » -, donc de l’absence totale de témoins. Ce dont convient l’auteur : « Du poème intitulé Evasion et publié en 1958 jusqu’à mon tout dernier roman, je tournoie autour de cette expérience du débarras, je creuse et je recreuse dans cette obsession, racontant la même histoire et pourtant il n’y a pas moyen de savoir si cela est vraiment arrivé. »41

Ce qui est en effet particulièrement saisissant dans le récit qu’il fait de cette anecdote est le trouble qui s’empare de Federman : « Oui, il répétait avec véhémence que j’avais inventé toute cette histoire, et, qui sait, il avait sans doute réussi à convaincre certains des participants. Moi-même en l’écoutant, je commençais à douter de l’expérience sur laquelle la presque totalité de ma fiction est construite. »42 Et de se demander s’il n’a pas forgé un épisode qui lui permette d’écrire, voire emprunté cette histoire à un tiers avant de se l’approprier, ou encore, à force de redites, fini par croire sincèrement à un pur produit de son imagination. C’est que, nous le verrons, pour Federman, l’hypothèse antilogocentriste d’une vérité antérieure et extérieure au langage est à plus d’un titre problématique.

Toutefois, cette anecdote douloureuse et inquiétante « finit bien », si l’on peut dire ; car après avoir publiquement dénoncé l’hypothétique imposture de Federman, le critique conclut sur ces mots : « Monsieur Federman, j’ai peut-être des doutes à l’endroit des faits de votre vie, il se peut que je n’aie pas confiance dans votre biographie, mais je dois admettre que je suis totalement convaincu par les histoires que vous racontez dans vos romans. Non seulement convaincu, mais profondément ému. J’ai foi en vos histoires. »43 - ce qui constitue sans doute le plus beau des compliments que l’on puisse adresser à un écrivain.

Ici se fait en outre de nouveau entendre l’écho de « l’affaire Wilkomirski » : dans ce cas, et en dépit de la supercherie avérée, certains rescapés des camps avaient fait part du profond soulagement qu’ils avaient éprouvé à la lecture de son livre. Comme si en la matière, et aussi scandaleux cela puisse-t-il paraître, la caution empirico-biographique n’était pas nécessairement l’essentiel. Entendons-nous : pour ma part, je n’entends nullement remettre en cause l’authenticité des faits narrés par Federman ; mais l’anecdote me paraît révélatrice et instructive, dans la mesure où elle permet de poser « la question cruciale de la relation équivoque existant entre les faits et la fiction, entre biographie et fiction, entre mémoire et imagination »44 . Question que nous devrons aborder pour cerner la poétique de l’œuvre.

Mais, avant d’en arriver là, reste à dire deux mots du traitement spécifique que Federman réserve à ce « matériau » biographique douloureux. - à commencer par La Voix dans le débarras / The Voice in the Closet. Comme le signale justement Marc Avelot dans sa préface :

« Le paradoxe […] que ne laisse pas de susciter le thème récurrent de l’indescriptible, c’est qu’il se formule presque systématiquement dans une langue pacifiée. […] qu’il s’agisse de Robert Antelme ou de Primo Levi […], l’indicible ne mine pas une écriture qui, pour dire qu’on ne peut dire, s’applique à la plus stricte normativité, à la plus grande transparence. Si l’on omet la splendide exception d’un Celan, l’abominable s’écrit classique. »45

A partir de ce constat, il est aisé de dégager la profonde singularité et la radicale nouveauté du poème de Federman - dont Avelot fait, pour cette raison, « un des textes majeurs du XXème siècle »46 . Citer des extraits de ce texte constitue une gageure, puisqu’il s’agit d’un flux verbal ininterrompu, non ponctué, sans réel début ni fin. A titre d’exemple, voici toutefois les premières lignes de la version française, que je suis contraint de tronquer arbitrairement :

« ici encore maintenant étalon sélectrique me fait être devenir avec ses boules orgueils foutaise dit sam dans son cabinet de débarras toutes boules mais cette fois-ci là-haut ça va être sérieux plus de branlades fuites dans les arbres au troisième non on les a coupés les arbres menteur c’est l’hiver sursis maintenant plus de faux départs hier un caillou a brisé la vitre petit vicieux à plein souffle je le vois du coin de l’œil pouce je joue plus […] »47

Ce trop bref fragment suffit néanmoins à démontrer que la langue de Federman, contrairement aux « habitudes », est profondément minée par l’indicible à quoi elle s’affronte, au risque de l’asémantisme et de l’illisibilité. Ici, plus de distinction entre le dire et le dit, car « l’écriture de La voix redouble matériellement ce qu’elle cherche à évoquer idéellement »48 . « Hyperréalisme traumatique »49 aboutissant in fine, via la manifestation du « pouvoir poétique de la langue »50 , à une forme de « dépassement littéraire du trauma »51 , je me contenterai de renvoyer ici aux analyses du préfacier, qui me paraissent des plus pertinentes. En particulier cette idée qu’au « devoir de dire » s’ajoute l’épreuve d’un « pouvoir du dire »52 - cette écriture de la décharge, aussi sauvage que l’Histoire (avec sa grande Hache) qui l’a provoquée, se résolvant en une libération.

Où se repose la question de la légitimité - du « dire » poétique, cette fois. On se souvient en effet de la question d’Adorno : « Peut-on écrire des poèmes après Auschwitz ? »53  ; ou encore de celle d’Yves Bonnefoy, élargissant ainsi la perspective : « Comment, après la révélation de ses gouffres, la parole en général peut-elle se sentir autorisée à poursuivre sans de profondes réformes de son discours conceptuel, de ce qu’on peut dire sa rhétorique ? »54 Il me semble que, par la déstructuration du langage qui s’y donne à lire, et plus encore à entendre, La Voix dans le débarras répond en quelque sorte en actes à ces questions, car la parole poétique s’y prend violemment elle-même à bras-le-corps, et s’y refonde au risque du chaos.

D’aucuns estimeront peut-être que la démonstration risque d’achopper sur la singularité de l’exemple choisi, comme si ce qui vient d’être affirmé à propos de La Voix dans le débarras ne pouvait l’être à propos du reste de l’œuvre. Sans doute importe-t-il en effet de se montrer prudent à l’occasion de ce changement d’échelle, mais j’ai déjà affirmé que, selon moi, il n’y avait pas de solution de continuité entre les productions « poétiques » et « narratives » de Federman. J’en veux notamment pour preuve complémentaire le traitement iconoclaste de la typographie, qui joue par exemple un rôle majeur dans des récits comme Quitte ou double ou Amer Eldorado 2/001, où la matérialité du signifiant est également offerte en spectacle, au risque de compromettre la lisibilité - du moins au sens où on l’entend d’ordinaire, qui présupposerait le respect d’une forme de linéarité. De façon beaucoup plus générale, dans les récits, le facteur majeur de ce que Bonnefoy nomme une « profonde réforme de la rhétorique » tient à la déstructuration systématique de la narration. Sans doute l’ampleur du phénomène varie-t-elle de façon notable d’un texte à l’autre, mais même un récit de facture en apparence plus académique comme Smiles on Washington Square / Moinous et Sucette narre a posteriori une histoire (d’amour) donnée comme encore virtuelle - de sorte que toute évidence représentative s’y trouve sapée. En conséquence, par son traitement du langage et/ou de la matérialité de l’écrit et/ou de la narration, Federman « incorpore » dans son œuvre le chaos d’où elle est sortie, et où elle menace sans cesse de s’abîmer de nouveau. Ici, plus d’écart entre le fond et la forme, le message et le medium, mais une forme-sens qui parvient paradoxalement à dire ce que l’ancienne rhétorique n’a plus le pouvoir, ni peut-être le droit de dire.

Reste que ce que j’affirme ici peut malgré tout paraître sujet à caution, par exemple pour un Jankélévitch, qui estime que rapporter le moindre propos d’antisémitisme, ou en tirer le rire, la caricature, ou quelque exploitation esthétique, est déjà, en soi, une entreprise intolérable55 . On voit bien que c’est l’ensemble de l’œuvre de Federman qui tombe sous le coup d’une telle accusation. Mais à tout prendre, la parole peut paraître infiniment préférable au silence, tout aussi ambigu qu’elle, et peut-être plus pernicieux encore. Quoi qu’il en soit, force est de constater qu’entre obligation de silence et devoir de parole, Federman, pour sa part, a choisi son camp.

Quant à l’humour avec lequel il évoque effectivement souvent « l’Impardonnable Enormité » et ses conséquences générales et privées, s’il est en droit choquant, on peut me semble-t-il le comprendre. J’y vois cette même économie de la décharge (connotations sexuelles incluses) à l’œuvre dans La Voix dans le débarras, c’est-à-dire un mécanisme libérateur, pour son émetteur comme pour ses récepteurs. En outre, j’ajouterais, via un emprunt à Antoine Volodine, qu’il s’agit là d’un « humour du désastre »56 , dispensateur d’un rire foncièrement intranquille. Et n’oublions pas qu’il est possible, à partir de la matière la plus noire et la plus désespérante, d’édifier des constructions lumineuses et belles, qui aident à vivre non seulement leur architecte mais aussi leurs visiteurs57. Si besoin était, voilà qui me semble tenir lieu de justification suffisante à l’œuvre de Raymond Federman - dont il est temps, à présent, d’évoquer la poétique.

Pour une poétique « surfictionnelle »

Prétendre mettre au jour la poétique d’une œuvre implique d’y identifier des tendances générales récurrentes, au risque d’occulter la singularité de chacun des textes qui la constituent. Afin de pallier cet inconvénient, autant que faire se peut, il importe d’établir en préambule que, d’un récit federmanien à l’autre, les différences sont tout de même sensibles. Ainsi de la place variable dévolue aux expérimentations typographiques : centrale dans Quitte ou double, insistante dans Amer Eldorado 2/001, elle ne persiste plus guère dans Chut que sous la forme de variations de polices de caractères (romains vs italiques), qui déterminent deux espaces textuels, aux frontières d’ailleurs poreuses. Sur ce plan, le lecteur peut avoir l’impression d’un progressif apaisement ou assagissement de l’écriture de Federman - ce que l’auteur confirme pour partie, en reconnaissant qu’il est « en train de finir [s]on œuvre dans une espèce de grande tranquillité »58 .

La singularité de chaque texte tient aussi à l’importance des variations tonales qui y sont à l’œuvre. La parlure populaire voire argotique de La Fourrure de ma tante Rachel et de Retour au fumier génère une tonalité ludique, volontiers empreinte de provocation - où s’affirme la relation ambivalente (et pour cause !…) de Federman à la figure de Louis-Ferdinand Céline59 . En revanche, dans des récits comme Moinous et Sucette, A qui de droit, voire Chut, le registre plus soutenu (toutes proportions gardées) s’accompagne d’une tonalité qui verse parfois dans la nostalgie, voire dans la gravité. Reste qu’il ne s’agit là que de tonalités dominantes, renvoyant peut-être davantage à la subjectivité du lecteur qu’à la texture de l’écrit ; et qu’au sein même des textes se font jour diverses variations tonales - dont l’origine est éclairée par l’un des nombreux commentaires autoréflexifs de La Fourrure de ma tante Rachel :

« Tu trouves que j’ai changé de ton en te racontant ce qui s’est passé dans la ferme, tu dis que tout à coup j’ai pris un ton plus calme, plus doux, mais ça mon vieux ça se comprend, parce que ces souvenirs, même s’ils sont tristes, me rendent un peu sentimental quand je les retravaille, et puis tu sais quand tu racontes des histoires tu es pas toujours de la même humeur, parfois quand tu racontes tu es en colère, et d’autres fois tu te sens plein de plaisanteries, et un autre jour tu deviens nostalgique, alors tu deviens plus discret, tu te retires dans la tendresse et même le silence, c’est toujours comme ça quand tu racontes, c’es ça la beauté du radotage romanesque...»60

Une fois encore, un extrait d’un des textes éclaire les tenants et les aboutissants de l’œuvre à laquelle il s’agrège : en matière d’art poétique également, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Tantôt radicalement expérimental  (Quitte ou double), tantôt plus « académique » (Moinous et Sucette), tantôt bouffon (La Fourrure de ma tante Rachel), tantôt grave (A qui de droit), chacun des récits de Federman possède donc une forme de singularité. Mais, cela posé, le lecteur a de fortes chances d’être surtout sensible à ce qui se répète dans ce qui varie, autrement dit aux nombreux éléments communs et récurrents qui confèrent à l’œuvre sa cohérence, et finissent par valoir signature.

Nous venons de le constater : pour recenser ces « invariants », qui composent la poétique de l’œuvre, nous pouvons compter sur le précieux concours de Federman lui-même, qui ne cesse de gloser son projet d’écriture, origines et implications comprises, que ce soit de l’intérieur même des récits, ou à leur périphérie (interviews, essais, etc.). Tentons donc, à partir de ce métadiscours pluriel, de donner une idée de ce que peut être une poétique surfictionnelle, avant d’examiner comment et à quel degré elle se manifeste dans Chut - sans pour autant en perdre de vue les enjeux, pour l’auteur comme pour ses lecteurs.

Les deux notions centrales sont ici celles de « surfiction » et de « critifiction », créées par Federman lui-même, pour rendre compte non seulement des spécificités de son œuvre, mais plus généralement des propriétés de la littérature contemporaine. A première vue, et compte tenu de la part de jeu qui préside à l’invention de ces néologismes, on pourrait être tenté d’estimer que les deux notions sont interchangeables. D’autant que le passage d’une langue à l’autre vient compliquer la donne : l’essai auquel j’ai plusieurs fois fait référence, s’il porte le titre français de Surfiction, était originellement intitulé Critifiction dans sa version anglaise…

Pour tenter d’y voir un peu clair, on peut se reporter à ce qu’en dit Federman lui-même dans le cadre de l’entretien accordé au Matricule des Anges. A la demande du journaliste qui l’interroge, il définit la surfiction dans les termes suivants : « C’est écrire une fiction sur une autre fiction. Quelle est cette fiction sur quoi on écrit ? C’est la vie. La vie, pour moi, est une fiction. Quand l’histoire d’une vie passe dans le langage, ça devient une fiction. »61 Quant à la critifiction : « […] on peut aussi faire une critique de son propre travail en avançant dans la fiction. La critifiction, c’est se permettre de mettre n’importe quoi, de la critique, de la poésie, etc. C’est démolir l’idée que c’est un roman qu’on lit, c’est du non-genre. »62 A première vue apparaît donc une double différence, d’échelle et d’objet : la surfiction renverrait à la généralité d’un projet, au lieu que la critifiction concernerait des modalités particulières de textualisation. Mais il est possible que le caractère oral, informel et « grand public » de l’entretien nuise à la rigueur et à la précision des définitions. Aussi semble-t-il préférable de les compléter en consultant l’essai intitulé Surfiction, où Federman écrit ce qui suit :

« Je donne à cette forme d’écriture le nom de SURFICTION, non pas parce qu’elle imite la réalité mais parce qu’elle étale au grand jour l’aspect fictif de la réalité. Tout comme les surréalistes appelaient SURREALITE l’expérience humaine qui fonctionne au niveau de l’inconscient, j’appelle SURFICTION l’activité créatrice qui révèle le côté fictif de la vie. […] Vivre, c’est comprendre qu’on vit et la fiction est avant tout un effort pour appréhender et comprendre l’existence humaine jouée au niveau des mots, uniquement au niveau des mots. »63

Ce manifeste confirme le haut degré de généralité du projet surfictionnel, qui porte sur les liens complexes de la fiction, du langage et de la réalité. Quant à la critifiction, dans un autre article du même recueil, elle est définie comme « une forme de récit qui renferme sa propre théorie et même sa propre critique »64 , ou encore comme « un discours qui relève à la fois de la critique et de la fiction »65, c’est-à-dire un récit fondamentalement autoréflexif. Malgré quelques ajustements ponctuels, la distinction opérée dans l’entretien se répète donc dans l’essai : la critifiction serait une technique mise au service de la surfiction - de la plus vaste entreprise surfictionnelle.

Mais si surfiction et critifiction constituent les notions centrales de la poétique federmanienne, elles n’en sont pas moins complétées par diverses notions annexes. A commencer par l’intraduisible « laughterature »66 , dont « littérarire » ou « littérature en fourire » ne sont que de pâles approximations : y est affirmée l’idée d’un rire littéraire qui se rature, et dont le processus d’auto-effacement ludique a partie liée avec la notion complémentaire de « playgiarism » (traduit par « plajeu »67 ), comme l’atteste ce fragment de La Fourrure de ma tante Rachel : « […] si tu as pas le sens de l’humour alors là mon petit gars tu comprendras jamais ce que c’est la littérature-plajeu-en-fourire, la littérature qui te fait pisser de rire dans ton pantalon quand tu la lis. » 68 Essayons tout de même, car la notion de playgiarism est révélatrice d’une conception particulière de la littérature. Pour le dire simplement, le playgiarism / plagiat-jeu / plajeu consiste à effectuer un montage/collage de fragments de discours de nature et d’origine variées, démontrant ainsi que l’imagination ne crée rien de strictement nouveau mais, pour l’essentiel, répète ou plutôt recycle - sans égards pour une quelconque propriété intellectuelle ou même langagière. Quelle est la morale (amorale) de l’histoire ? La parole à Federman :

« Non l’imagination n’est pas morte. Ce qui est mort, c’est la vieille notion que pour exister la littérature a besoin d’un créateur et doit être originale. Sur le mode de l’autoréflexion et du plagiat, la littérature d’avant-garde de la deuxième moitié du XXème siècle se dirige vers la non-représentation et la non-expression dans l’effort de se débarrasser de l’autorité du créateur et du fardeau de l’originalité. Elle y parvient en vidant le langage apparemment de tout sens et de toute expression, mais aussi en déplaçant la propriété de la création de l’auteur vers le lecteur.

En tant que telle, l’imagination imagine comment elle peut continuer, tout en se disant qu’elle ne peut y arriver qu’en se répétant, en se plagiant de façon ludique […] »69

De nouveau, pour des oreilles françaises, dans ce manifeste résonne l’écho d’une vulgate moderniste aujourd’hui quelque peu datée. Aussi conviendrait-il de se demander si, dans Chut, l’auto-plagiat ou -plajeu, entre autres ressources, ne suscite pas une forme de résurrection paradoxale du créateur et de l’originalité.

On pourrait prolonger à l’envi cette présentation de l’art poétique federmanien, par exemple en y ajoutant la notion de « leap-frog technique », en français « technique [de la narration] saute-mouton »70 , parfois exprimée par le néologisme « saute-moutonner »71  : il s’agit d’une pratique de la digression généralisée et systématisée, incluant des digressions « au carré », c’est-à-dire des digressions de second niveau, au sein même des digressions de premier niveau qui rompent la continuité de l’histoire racontée - pour peu qu’une ligne d’histoire principale puisse être repérée chez Federman, ce qui ne va pas de soi. De la sorte se déploie une narration chaotique, fidèle au désordre qui préside aux opérations d’anamnèse. N’oublions pas non plus le savoureux « noddling-doodling », mixte d’improvisation jazzy et de gribouillage ou griffonnage. Sur ce point, voir La Fourrure de ma tante Rachel72 , où Federman se définit avec humour comme « noodlard » et « doodlard ».

Ce dernier exemple suffit à l’indiquer : en raison notamment de la part de jeu qui y préside, cet art poétique ne doit pas être considéré comme une stricte « grille de lecture », derrière laquelle cadenasser le texte. D’autant que ces catégories souvent ludiques, si elles sont présentes dans les entretiens et les essais, le sont également au sein même des fictions - ce qui ne va pas sans les altérer quelque peu, puisqu’elles constituent ainsi une frange du texte, soumise à l’interprétation du lecteur. En effet, l’une des particularités majeures de l’œuvre de Federman réside dans le fait que son art poétique peut être dégagé par induction à la lecture de n’importe laquelle de ses fictions - y compris Chut, où sont  évoqués « technique saute-mouton »73 , « laughterature »74 , « self-playgiarism »75 , « gimmicks surfictionnels »76 , etc. Comme les autres récits de Federman, celui-là dit ce qu’il fait en même temps qu’il fait ce qu’il dit.

« Histoire d’une enfance », annonce le sous-titre. Oui, dans la mesure où il y a bien ici évocation des 12 années qui précèdent l’épisode du cabinet de débarras : tissu de souvenirs d’enfance, tantôt douloureux, tantôt cocasses, sur fond de banlieue populaire. Une fois encore, malgré un décalage de plusieurs décennies, l’écho de Mort à crédit se fait entendre. Mais Chut est aussi et peut-être surtout l’histoire de l’histoire d’une enfance, c’est-à-dire un récit qui ne cesse d’interroger sa progression, et qui par là même, au-delà de son cas singulier, se demande ce que signifie et ce qu’implique le projet de raconter l’histoire de son enfance. Comme toujours chez Federman, fond et forme se révèlent indissociables, et oeuvrent de conserve à la mise en crise des idées reçues sur la littérature dans son rapport au monde et à l’existence.
Dans un souci d’économie, je ne peux donner ici qu’un aperçu superficiel du phénomène, en mettant l’accent sur deux stratégies, d’ailleurs connexes : la rupture systématique de la linéarité, et l’insistante autoréflexivité. Le premier point vient d’être évoqué sous l’appellation de « technique saute-mouton », et force est de constater que tel est bien le mode majeur de progression de la narration dans Chut : sans cesse, une bribe de souvenir en appelle une autre, de sorte que le récit multiplie les incises et les bifurcations. L’évocation d’un épisode ancien n’a pas plutôt débuté qu’elle s’interrompt pour céder la place à la relation d’un épisode concurrent, que les caprices de la mémoire, couplés à l’activité narrative, viennent de convoquer. Ainsi le récit d’enfance à la Federman repose-t-il sur une logique associationniste, pleinement assumée. Certes, nous nous trouvons dès lors aux antipodes de la mise en ordre rétrospective du passé qu’un Sartre a pu opérer dans Les Mots, mais sous ses apparences incohérentes, le récit implexe et vagabond témoigne paradoxalement de la cohérence d’un projet : c’est parce que notre psyché ne peut convoquer le passé qu’à l’état de traces mnésiques incertaines, fuyantes et enchevêtrées, que la narration de Chut adoptera une allure similaire - progression « à sauts et à gambades », où se donne à lire le refus d’imposer une architecture mortifère au flux anarchique, c’est-à-dire vivant, des souvenirs.

Si besoin était, l’une des premières séquences autoréflexives du texte affirme et motive ce souci d’homologie :

« Federman, arrête de répéter que tu vas nous raconter ton enfance, et raconte. Tu ne vas pas encore nous faire du récit saute-mouton plein de digressions dans les digressions.

Qu’est-ce que vous croyez, que je vais raconter mon enfance chronologiquement ? Ca serait beau . Je l’ai dit et répété bien souvent, moi la chronologie me ralentit. Et la logique, j’y pige rien.

D’ailleurs, ce qu’il me reste de mon enfance dans ma tête, ce ne sont que des fragments, des débris de souvenirs auxquels il va falloir improviser une forme.

Bon, j’essaie de continuer quand même. » 77

A désordre mémoriel, désordre narratif : la séquence vaut programme, et Chut sera bien, offert au lecteur, le spectacle saisi sur le vif de l’« improvisation d’une forme ». Au point, comme dans Retour au fumier, que le texte se présentera avec insistance comme brouillon, en tant que tel passible d’amendements ultérieurs, dont la responsabilité est abandonnée à l’éditrice. Nouveau « gimmick surfictionnel » paradoxal, bien sûr, puisque cette hypothétique remise aux calendes du toilettage final s’effectue depuis un texte déjà publié.

On retrouve ici l’écartèlement de Federman, en prise à la « double vibration » de la flèche du temps. De fait, dans Chut, l’absence de repères chronologiques précis et stables participe d’une sensation contagieuse de « détemporalisation ». C’est que, comme nombre d’autres écrivains contemporains, récusant l’idée d’un « passé en soi » comme profondément illusoire, Federman valorise a contrario la recréation du passé au présent de l’écriture. S’il s’agissait d’autobiographie, il faudrait parler ici d’autobiographie discursive et critique par opposition à l’autobiographie historique. Textuellement, cette situation se traduit par l’omniprésence du je de l’énonciation, qui s’articule avec un je de l’énoncé dédoublé : Federman enfant, bien sûr, mais aussi Federman trentenaire, de passage à Montrouge après les premières années de son exil américain. D’où l’impression d’un éclatement temporel du sujet, mais qui ne menace pas la lisibilité du récit, car les multiples commentaires autoréflexifs viennent régulièrement désambiguïser les rapports de ces diverses strates superposées.

En outre, comprendre que Federman entreprend de revisiter son passé au présent de l’écriture permet de mieux saisir les raisons de la rupture systématique de la linéarité. En effet, il ne s’agit nullement d’un parti pris arbitraire ; tout au contraire, l’activité scripturale agit ici comme un stimulant de la mémoire, jusque-là assoupie. Pour Federman, littéralement « homme de plume », écrire revient à ouvrir les vannes de la mémoire, au risque d’une crue difficilement contrôlable, puisque cette ouverture génère un afflux désordonné de souvenirs. En attestent des formules récurrentes comme « Voilà encore quelque chose qu’il faut que je raconte. »78 , ou encore les interjections qui accompagnent certaines réminiscences : « Tiens, je vais raconter ce seau puisqu’il a tellement fait partie de mon enfance. »79 Sous les yeux du lecteur, la brusque résurgence du souvenir est aussitôt commuée en développement narratif.

Courir plusieurs lièvres à la fois, dans un « work-in-progress » incessant, risquerait d’aboutir à l’atomisation du récit. Aussi, entre respect du trop-plein mémoriel et souci du confort lectoral, Federman est-il voué à l’invention d’un étonnant expédient : l’interpolation dans le corps du texte d’une « Liste de scènes de [s]on enfance à raconter »80, annoncée par cet intertitre, et faisant l’objet d’une numérotation de 1 à 31. Si la fonction de la liste oscille entre aide-mémoire (ne rien oublier) et garde-fou (ne pas se disperser), le procédé apparaît pour partie illusoire et ludique : certaines de ces scènes ne seront évoquées qu’au moment de leur recensement dans la liste, d’autres le seront de façon récurrente et fragmentée. Aussi cette technique apparaît-elle également comme un nouveau moyen de constituer le texte en un « journal de fouilles », renforçant ainsi la dimension archéologique de Chut, qui se veut exploration simultanée des sédiments du passé et des arcanes de l’écriture.

Preuve de cette ambivalence ? Le n° 14 de la liste, « Discuter comment parfois le vraisemblable devient invraisemblable quand on raconte une histoire. »81, qui confirme amplement que, pour Federman, écrire l’histoire de son enfance implique une attention égale à l’enfance et à l’écriture. C’est notamment pourquoi la rupture continuelle de la linéarité narrative est en l’occurrence indissociable d’une dimension autoréflexive, ou si l’on préfère métatextuelle. Pour mémoire, Bernard Magné, éminent perecologue, définit le métatextuel comme « l’ensemble des moyens dont dispose un texte pour assurer dans son corps même la désignation de tout ou partie de ses mécanismes constitutifs »82 . Difficile, pour illustrer la notion, de trouver meilleur exemple que l’œuvre de Federman, qui n’a de cesse de s’autocommenter. Ainsi, dans Chut, on ne compte plus les passages qui glosent l’écriture ou la lecture du récit. Puisqu’il est impossible et stérile de tous les citer, mieux vaut se demander : tout d’abord comment ils fonctionnent, ensuite pourquoi ils émaillent le texte avec une telle insistance.
Si ces commentaires dits métatextuels investissent l’intégralité du récit, sous forme de notations ponctuelles, il convient tout de même de signaler qu’ils disposent d’emplacements spécifiques, que l’on pourrait appeler la « zone des commentaires », par opposition à la « zone des histoires »83 . Il s’agit donc, du moins en apparence, d’enclaves autocommentatives, sortes de marges théoriques intégrées, et démarquées par l’emploi d’une police de caractères spécifique : aux romains du récit s’opposent les italiques du métarécit. En conséquence, la progression du texte est rythmée par cette alternance, plus ou moins régulière.

En outre, ces incises sont le lieu d’un curieux phénomène énonciatif, qui s’apparente à un nouveau dédoublement :

« Federman, fais attention. Contrôle tes émotions et tes tournures de phrases. Tu vas quand même pas sombrer dans le lyrisme décadent. Tu vas quand même pas te mettre à faire des métaphores.

J’essaye. J’essaye de contrôler, mais c’est pas facile quand on raconte quelque chose de traumatique. […] »84

Cet exemple, retenu pour sa brièveté, illustre bien ce dédoublement du sujet de l’énonciation : tout au long de ces autocommentaires, dans une logique qui confine à la schizophrénie, Federman s’interpelle, se prend à parti, fait les questions et les réponses, bref dialogue avec lui-même. Cette dimension « dialogique » constitue d’ailleurs une constante de l’œuvre, que l’auteur décrit comme relevant d’une forme de nécessité :

« J’ai besoin de quelqu’un qui m’écoute, dans ma vie mais aussi quand j’écris. Je veux qu’on m’entende. […] J’ai ce besoin de parler à quelqu’un. J’ai besoin qu’on m’entende, alors je m’invente des écouteurs professionnels comme dans La Fourrure…, et ça permet à mon langage de se développer. Je ne peux pas parler dans le vide. Je ne peux pas écrire si je ne suis pas en train de me regarder écrire, de m’écouter écrire. C’est peut-être plus profond que ça. Je ne peux pas séparer la parole de l’écriture. Donc j’invente une espèce de dialogue. »85

Nécessaire pour l’auteur, quel impact ce procédé a-t-il sur le lecteur ? A première vue, ces échanges dialogués « en circuit fermé » pourraient donner l’impression d’une relation autotélique dont le lecteur serait exclu. Comme dans La Fourrure de ma tante Rachel, où Federman (sans accent) est régulièrement apostrophé par son « écouteur professionnel », Féderman (avec accent), par-delà l’Atlantique et « l’océan des pages »86 . Comme dans Retour au fumier, également, où le dialogue met nommément aux prises Federman et l’un des ses amis américains, Ace. Quant à la situation énonciative de Chut, même si l’instance dont les intrusions morcellent le récit demeure anonyme, elle n’en apparaît pas moins clairement comme un double ou une partie de l’auteur, ce qui lui permet de donner à son « soliloque » toutes les apparences du dialogue, en particulier sa vivacité.

Or ce point est d’une importance cruciale, car il incite fortement à relativiser l’hypothèse de l’exclusion du lecteur. Au risque du paradoxe, on pourrait même soutenir que l’exhibition de ce dialogue « intime » constitue un très efficace facteur d’implication du récepteur. Tout d’abord en raison de la dynamisation de la parole qui en résulte : ces échanges à bâtons rompus, fortement empreints de familiarité (et pour cause), contribuent de façon notable à oraliser le texte. Le lecteur est ainsi convié à partager, sur le mode de la connivence, les échanges décomplexés que Federman entretient avec ses alter ego fictifs, Namredef, Moinous, Hombre della Pluma, etc. Loin d’être tenu à l’écart, le lecteur devient bien plutôt témoin privilégié en même temps que complice de ce dédoublement ludique, qui ne demande pas à être pris au pied de la lettre. Le vif plaisir que dispensent les fictions de Federman tient selon moi pour beaucoup à ce rôle gratifiant qui nous y est dévolu.

Mais si le procédé favorise l’implication du lecteur, c’est aussi et surtout en raison de la fonction de vicariance, ou si l’on préfère de relais, que joue l’instance intruse qui sans cesse interrompt Federman - « l’interrupteur », si j’ose dire. En effet, son rôle est bien souvent de devancer les réactions du lecteur réel, et de les désamorcer s’il y a lieu - comme dans cet extrait de Chut : « Merde, Federman, qu’est-ce que c’est sérieux ce que t’es en train d’écrire ! Tes lecteurs vont trouver ça chiant. Ils vont se demander ce qu’il t’arrive. Si tu n’es pas en train de devenir sénile. »87 L’apostrophe fait coup double, puisqu’elle témoigne à la fois d’un retour critique de l’auteur sur son activité d’écriture, et d’une prise en compte des réactions éventuelles de son lectorat. Certes, face à un même texte, les questions que se posent les lecteurs réels dans leur multiplicité varient grandement d’un individu à l’autre, mais par-delà ces différences incompressibles, dans Chut, les observations de « l’interrupteur » s’efforcent de prendre en considération les perplexités d’un hypothétique « lecteur moyen » - comme dans ce nouvel exemple :

« Federman, pourquoi tu dis jamais quel âge tu avais quand tu racontes une de tes histoires d’enfance ? Tu dis : J’étais encore petit ou j’étais plus grand, mais tu donnes pas l’âge. C’est déroutant.

Les raisons pour lesquelles je ne donne pas l’âge, c’est parce qu’il m’est impossible de me rappeler exactement quel âge j’avais à chaque moment de mon enfance. »88

On le voit, en dépit des apparences, loin d’être égoïstes, de tels échanges sont profondément altruistes, c’est-à-dire en définitive tournés vers le lecteur, voire produits à son intention. Car ces séquences sont pour la plupart intensément métatextuelles, et intègrent au récit ce qu’on peut considérer comme son « mode d’emploi ». Elles favorisent donc la mise en place d’une manière de « lecture accompagnée », notamment en aidant à l’élucidation des zones d’ombre que peut comporter le projet surfictionnel pour qui découvre cette œuvre.

Ici, nous touchons au pourquoi de ces fréquents autocommentaires : motivés par la nécessité que ressent l’écrivain d’intégrer à son travail le regard critique qu’il porte sur lui, ils le sont également par un permanent souci d’accessibilité. Aussi jusqu’au-boutiste puisse-t-elle paraître à certains égards, l’œuvre de Federman parvient ainsi à contourner l’écueil  de l’hermétisme, et reste potentiellement en phase avec le public. Le meilleur exemple de cette prise en considération du destinataire réside dans l’interpolation au sein du récit d’une lettre adressée par Federman à une étudiante italienne consacrant une thèse de doctorat à ses écrits bilingues :

« Chère Rossitza,
Je suis à la page 193 d’un roman que j’écris en français qui s’intitule :
CHUT : HISTOIRE D’UNE ENFANCE
Je dis roman, mais est-ce vraiment un roman que j’écris ? Disons, je raconte des histoires. J’écris de la fiction.
Je suis en train de raconter, à ma manière, bien sûr, mon enfance. Les treize années qui ont précédé l’aventure du cabinet de débarras.
Je dis raconter, je devrais plutôt dire, je reconstruis avec des mots ce que je crois avoir été mon enfance.
Je la réinvente. Je le fais, sans me soucier de chronologie, avec des débris de souvenirs, avec des fragments d’histoires que j’ai racontés ailleurs. Je le fais aussi avec des poèmes, des anecdotes, des citations, des digressions.
Je raconte cette enfance à la première personne, dans un ton peut-être un peu trop sérieux pour moi. C’est dangereux, car avec un tel ton on peut facilement faire du sentimentalisme.
Heureusement, des voix viennent interrompre constamment ce qui est en train d’être raconté et interpellent Federman - c’est le nom de celui qui raconte cette enfance – en lui disant de faire attention de ne pas basculer dans le réalisme agonisant ou dans le lyrisme décadent, et surtout de ne pas trop exagérer.
Ces interruptions, ces commentaires, arguments, critiques, etc., sont en italiques, à part.
Difficile de dire maintenant où tout cela va m’entraîner, mais j’avance quand même, malgré les trous de mémoire, dans cette reconstruction d’une enfance, et malgré les interruptions. J’aimerais pouvoir arriver à 200 pages. Après on verra.
Bien à vous.
Raymond. »89

Heureuse initiative, à propos de laquelle, par la voix de son double, l’auteur se décerne un satisfecit mérité : « Federman, c’est pas mal ce que tu viens de dire à Rossitza. Ca explique un peu ce que tu es en train de faire, et comment tu le fais. »90 En effet, le courrier interpolé, dont à la rigueur l’authenticité importe peu, éclaire de façon synthétique les aspects majeurs de Chut, mais aussi, plus généralement, de la critifiction et de la surfiction, sur lesquels on peut revenir brièvement afin de mettre un terme à ce parcours.

Par exemple, l’ambiguïté générique du texte (fiction, ou non ?) est au fondement du projet surfictionnel. Autant voire davantage qu’à Mallarmé (« Tout ce qui s’écrit est fictif »), on peut penser à Lacan, affirmant que « Le moi, dès l’origine, serait pris dans une ligne de fiction »91 , ou à Roland Barthes, avertissant ses lecteurs en ouverture de Roland Barthes par Roland Barthes : « Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman. »92 Federman s’inscrit ainsi dans la lignée de ces conceptions renouvelées du sujet, qui ne souscrivent plus à l’hypothèse d’un « moi » préconstitué et pérenne, qu’il ne resterait plus qu’à exprimer ou à re-présenter au moyen de l’écriture. A l’inverse, le sujet se découvre ou plutôt s’invente désormais du sein même de l’activité d’autofiguration, ou mieux d’autoscription93. Pour rendre compte de cette révolution, on pourrait renverser le célèbre titre de Raymond Roussel : non plus  comment j’ai écrit certains  de mes livres, mais comment certains de mes livres m’ont écrit. Il y a donc ici refiguration narrative du matériau de sa propre vie, ce qu’après Freud, Paul Ricoeur nomme un travail de « perlaboration »94. Cette conscience de soi menacée d’atomisation par le flux temporel est ainsi reconquise de haute lutte, via son inscription dans un réseau d’histoires sans cesse reprises et retravaillées.

A la lumière de ces conceptions modernes du sujet, la question de l’authenticité du vécu biographique ne se pose plus dans les mêmes termes : c’est ce qui explique l’insistance avec laquelle Federman présente vie et fiction comme interchangeables95 . D’autant qu’il se situe dans une perspective « logocentriste », « où la réalité en tant que telle n’existe pas, ou plus exactement existe dans sa version textuelle, c’est-à-dire dans le langage qui la décrit. »96 Voilà qui permet de comprendre les variantes qui, d’un récit à l’autre, peuvent affecter la narration d’un « même » épisode. Car la redite modulée est l’une des caractéristiques principales de cette œuvre, qui culmine dans Chut. Comme le précise Federman dans la lettre à Rossitza, le livre est fait pour partie de fragments d’histoires qu’il a racontées ailleurs. Pour le connaisseur, Chut apparaît en effet comme un monument de self-playgiarism ou d’auto-plajeu : bien plus que ne le laissent à penser les renvois semi-ironiques aux autres volumes déjà publiés, il s’agit, pour une large part, d’un montage d’extraits de La Fourrure de ma tante Rachel et de Retour au fumier, en particulier - ce qui confirme la dimension « mythographique » de l’entreprise.

Par ses choix esthétiques, comme par les incises théoriques dont il parsème ses récits, Federman réfute donc un certain nombre de convictions « prémodernistes » : positivisme et essentialisme ; fondées, lorsqu’il est question de littérature, sur le dogme de l’« expression-représentation » - car ce qui vaut pour le moi vaut aussi pour le monde. En lieu et place de ces coquilles vides, il promeut la notion de fiction, Alpha et Omega de l’entreprise surfictionnelle :

« Réduit au non-sens, à la non-connaissance, le monde n’est plus à connaître ou à expliquer. Il est là pour qu’on en fasse l’expérience tel que le Nouveau roman le recrée, non plus comme une image (une représentation réaliste illusoire) ou comme une expression (un sentiment vague) de ce que nous pensions qu’il était, mais comme une réalité nouvellement inventée, nouvellement découverte – UNE VRAIE REALITE FICTIVE. »97

Loin de tout formalisme gratuit (pour peu que cela existe…), l’œuvre de Federman apparaît donc riche d’implications phénoménologiques et métaphysiques, indissociables de sa dimension esthétique. Pour paraphraser Alain Robbe-Grillet,98 s’il arrive que le lecteur se perde dans les structures de l’œuvre de Raymond Federman, c’est de la même façon qu’il lui arrive de se perdre dans les structures du monde contemporain - ni plus, ni moins. Mais, nous l’avons vu, ce risque d’égarement est somme toute minime, tant le lecteur est, avec prévenance, guidé au long des tours et des détours de ces critifictions. Sans pour autant que l’auteur pèche par excès de pédagogie, défaut auquel l’humour tient lieu d’antidote idéal.

Au bout du compte, et par quelque biais qu’on l’aborde, l’œuvre de Federman n’en finit pas de déconcerter : à la fois drôle et grave, close sur elle-même et ouverte à des interprétations plurielles, d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui, symptomatique de la littérature de l’extrême contemporain et irréductiblement singulière, elle n’est qu’entre-deux, ou permanent déplacement - à l’image du « raconteur déplacé » qui lui donne vie. Et puisque ici, entre le créateur et la création, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette, en guise de mot de la fin, je rapporterais volontiers, avec admiration et surprise persistante, pour l’appliquer aux textes, ce que l’auteur dit de lui-même : « Federman, c’est [vraiment] un drôle de phénomène ! »99

 

 

 

 

 

1 Cet article, pour l’heure inédit, consiste en une retranscription, complétée et légèrement remaniée, d’une conférence présentée au Lieu Unique de Nantes le 22 avril 2009. Que Thérèse Jolly, qui m’avait invité à présenter cet exposé, et autorisé à disposer de mon texte, lise ici l’expression de mes sincères remerciements.

2 Raymond Federman, Chut. Histoire d’une enfance, Léo Scheer, 2008, coll. « LAURELI ».

3 Raymond Federman, La Fourrure de ma tante Rachel, roman improvisé en triste fourire, Al Dante, 2003, p. 17. Toutes les références à cet ouvrage renverront à l’édition citée.

4 Néologismes forgés par Raymond Federman, et qui seront explicités par la suite de cet article.

5 http://fr.wikipedia.org/
Date de consultation du site : le 20 septembre 2009.

6 Les Impressions Nouvelles, 2001, puis 2008 (préface de Marc Avelot) pour l’édition utilisée.

7 J’emprunte la plupart des informations qui suivent à Lisa Guenen, Les Critifictions de Raymond Federman, mémoire de Master 2ème année, dirigé par Bruno Blanckeman et soutenu à l’Université de Haute Bretagne - Rennes 2 en septembre 2007. Lisa Guenen poursuit actuellement ses recherches dans le cadre d’un doctorat de littérature française, intitulé L’Ecriture de l’errance dans l’œuvre de Raymond Federman, toujours sous la direction de Bruno Blanckeman.

8 Future Concentration (bilingue, 2003), Ici et Ailleurs (bilingue, 2003), Le Crépuscule des clochards (avec George Chambers, 2004), L’Extatique de Jule & Juliette (2005), Coups de pompe (2007).

9 Le Mot et le Reste, 2006 pour la traduction française de cet ouvrage, à laquelle seront faits de nombreux renvois.

10 Dans la collection « LAURELI », dirigée par Laure Limongi , viennent en effet de paraître en 2009 une réédition de La Fourrure de ma tante Rachel ainsi qu’un inédit, Les Carcasses.

11 Surfiction, op. cit., p. 107-118.

12 Préface à La Voix dans le débarras / The Voice in the Closet, op. cit., p. 16.

13 Op. cit., p. 19.

14 Ibidem, p. 50.

15 Idem, p. 74.

16 Idem, p. 75.

17 Sur ce point, voir notamment Marc Gontard, « Postmodernisme et littérature », dans Œuvres & Critiques, Tübingen, XXIII, 1, 1998 (Le postmodernisme en France), p. 28-48.

18 Au sens où l’entend Marc Chénetier, Au-delà du soupçon, Seuil, 1989, coll. « Le don des langues ».

19 Surfiction, op. cit., p. 178.

20 Par exemple dans Retour au fumier, Al Dante, 2005, p. 24 et passim. Mais l’expression revient régulièrement dans l’œuvre de Federman.

21 Surfiction, op. cit., p. 108.

22 L’expression, récurrente dans les textes aussi bien que dans les épitextes de Raymond Federman, désigne l’extermination du peuple juif par les nazis durant la seconde guerre mondiale.

23 Entre autres multiples occurrences, voir par exemple Chut, op. cit., p. 55 - où la formule est pour une fois orthographiée avec des minuscules initiales.

24 Ces notions seront elles aussi définies ultérieurement.

25 Le Matricule des anges (Raymond Federman, l’épopée d’un déplacé), n° 68, novembre-décembre 2005.

26 Op. cit., p. 14, je souligne.

27 Ibidem.

28 Par exemple dans Chut, op. cit., p. 24.

29 Idem, p. 19.

30 Voir par exemple Angela Moorjani, « Beckett et le moi-peau : Au-delà du fétichisme matriciel », Samuel Beckett Today / Aujourd’hui, n° 10, Rodopi, Amsterdam/Atlanta, 2000, p. 63-70.

31 Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, Denoël, 1975, p. 14 : « Une fois de plus, je fus comme un enfant qui joue à cache-cache et qui ne sait pas ce qu’il craint ou désire le plus : rester caché, être découvert. » L’expression est reprise avec une légère variante à la p. 15 de Chut, op. cit. : « C’était comme si je jouais à cache-cache sans savoir  si je devais rester caché ou être découvert. »

32 W ou le souvenir d’enfance, op. cit., p. 13.

33 Chut, op. cit., p. 27, je souligne.

34 Le Matricule des anges, op. cit., p. 22.

35 Op.  cit., p. 143-144, je souligne.

36 Chut, op. cit., p. 11.

37 Op. cit., p. 119-143.

38 Ibidem, p. 132.

39 Elena Lappin, L’homme qui avait deux têtes, Editions de L’Olivier, 2000, coll. « Littérature étrangère » pour la tr. fr. utilisée.

40 Bruno Grosjean/Dössekker alias Binjamin Wilkomirski, Fragments : une enfance 1939-1948 (édition allemande en 1995), Calmann-Lévy, 1996 pour la tr. fr. utilisée.

41 Le Matricule des anges, op. cit., p. 134, je souligne.

42 Ibidem, p. 133, je souligne.

43 Idem, p. 137.

44 Idem.

45 Op. cit., p. 12.

46 Ibidem.

47 Idem, p. 22.

48 Idem, p. 12.

49 Idem, p. 13.

50 Idem, p. 14.

51 Idem, p. 16.

52 Idem, p. 17.

53 Voir notamment Prismes (1955), Payot, 1986 pour la tr. fr. utilisée ; et Dialectique négative (1966), Payot, 1978 pour la tr. fr., puis 2003 pour sa réédition en collection de poche.

54 Yves Bonnefoy, Entretiens sur la poésie, Mercure de France, 1990, p. 274.

55 Vladimir Jankélévitch, L’Imprescriptible : Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité, Seuil, 1986 (posthume). Voir également le résumé de la position de Jankélévitch par Jacques Chessex, Un Juif pour l’exemple, Grasset, p. 87-88.

56 « Entretien avec Antoine Volodine » (propos recueillis par Jean-Christophe Millois), Prétexte, n° 16, hiver 1998, p. 2/5 de la version disponible sur http://pretexte.club.fr/revue/entretiens_fr/entretiens/antoine-volodine.htm. Date de consultation : le 20 septembre 2009.

57 Idem.

58 Le Matricule des anges, op. cit., p. 23.

59 Sur ce point, voir La Fourrure de ma tante Rachel, op. cit., p. 33-34.

60 Op. cit., p. 169.

61 Op. cit., p. 22.

62 Ibidem, p. 23.

63 Op. cit., p. 10-11.

64 Ibidem, p. 66.

65 Idem, p. 86.

66 Voir par exemple La Fourrure de ma tante Rachel, op. cit., p. 36.

67 Pour plus de détails, on se reportera à l’article de Federman intitulé « Critifiction : l’imagination comme jeu de plagiat », repris dans Surfiction, op. cit ., p. 85-105.

68 Op. cit., p. 36.

69 Surfiction, op. cit., p. 104-105.

70 La Fourrure de ma tante Rachel, op. cit., p. 14.

71 Ibidem, p. 24.

72 Op. cit., p. 145-146.

73 Ibidem, p. 170.

74 Idem.

75 Idem, p. 29.

76 Idem, p. 219.

77 Chut, op. cit., p. 26.

78 Ibidem, p. 46.

79 Idem, p. 37, je souligne.

80 Idem, p. 64.

81 Idem, p. 66.

82 « Métatextuel et lisibilité », Protée, vol. 14, n° 1-2, printemps-été 1986, p. 77.

83 Chut, op. cit., p. 192.

84 Ibidem., p. 16.

85 Le Matricule des anges, op. cit., p. 18.

86 Retour au fumier, op. cit., p. 13.

87 Op. cit., p. 14.

88 Ibidem, p. 90.

89 Idem, p. 193-194.

90 Idem, p. 195.

91 Ecrits, Seuil, 1996, p. 94.

92 Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil, 1975, coll. « Ecrivains de toujours ».

93 Voir Bruno Blanckeman, « L’épreuve du récit, ou le gain de soi », dans Formes littéraires et médiatiques de la biographie et de l’autobiographie (éds : Robert Dion, Frances Fortier et Barbara Havercroft), Nota Bene, Québec, 2007.

94 Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1989.

95 Voir notamment Surfiction, op. cit., p. 20 et passim.

96 Ibidem, p. 11.

97 Idem, p. 45.

98 Pour un nouveau roman, Minuit, 1963, p. 116.

99 Surfiction, op. cit., p. 108.

 

 

 

 

 

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