Passion
et narration
Responsable : Raphaël
Baroni
raphael.baroni@bluemail.ch
Dans
ce dossier, nous proposons d’explorer un aspect de la narrativité qui
est resté longtemps un impensé des théories du récit ou, du moins,
qui a tardé à s’imposer comme une question centrale au sein de
la narratologie française. La marginalisation de cette question
tient au fait que sa portée, le plus souvent, a été restreinte
aux œuvres appartenant à la paralittérature (romans policiers,
romans noirs, romans d’aventures, etc.) ou au champ spécifique
des récits filmiques. Prenant le contre-pieds de cette tendance,
qui limitait d’emblée l’extension d’une investigation de ce type,
nous chercherons à clarifier les rapports, qui nous paraissent
fondamentaux, existant entre passion et narration. Nous voudrions souligner l’importance que peut avoir
la prise en compte de la dimension passionnelle du
récit dans de nombreux registres : dans la constitution de son « objet » (le
récit parle, avant tout, de ce qui fait événement dans la vie, de ce qui nous affecte d’une
manière ou d’une autre et qui contribue à « creuser » la
temporalité), dans sa structuration « séquentielle » ou « rythmique » (la tension
narrative permet d’insister sur la dynamique projective et/ou
rétrospective de la structuration du « discours »),
dans la configuration de l’interaction entre le producteur et
l’interprète (sur un plan dialogique, le récit passionnant est
un récit pertinent)
et dans l’émergence d’un style ou d’une identité narrative de
nature thymique.
Ce
dossier « passion
et narration » portera notamment sur la tension narrative (suspense, curiosité ou surprise), définie comme un
effet poétique « passionnant », mais il s’attachera également à mettre
en lumière le soubassement passionnel de l’action narrée. Il s’agira par conséquent de mener
en parallèle une réflexion portant sur les tensions
existentielles qui sont
au fondement des récits, que ces derniers soient factuels
- ils trouvent alors leur ancrage dans un événement vécu
dont la « saillance » affecte le sujet et trouve un prolongement dans la représentation
mimétique - ou qu’il s’agisse de fictions - les tensions
ordinairement vécues sont imitées, questionnées, voire façonnées
par la fiction, qui contribue à les domestiquer ou, au contraire, à les
mettre au service d’une dynamisation du discours social ou
politique. L’objectif le plus ambitieux de ce dossier sera,
par conséquent,
de repenser la fonction anthropologique des récits dans leurs
manifestations canoniques (c’est-à-dire les « récits à intrigue »),
ce qui rejoint les ambitions la poétique aristotélicienne,
qui soulignait déjà l’importance des effets « cathartiques » qui
s’attachent à la narrativité, la catharsis étant
une forme particulière de pathos, propre aux arts mimétiques, qui réalise une « épuration
des passions ».
Dans un premier
temps, le dossier « passion et narration » proposera
la mise en ligne d’une bibliographie sélective portant sur la
question et rendra rapidement accessible plusieurs articles,
inédits ou déjà publiés, recueillis auprès de chercheurs confirmés
ayant permis, par leurs travaux, de réactiver ces dernières années
une réflexion portant sur la dimension passionnelle du récit.
Le choix de ces textes privilégiera l’interdisciplinarité (propriété inhérente à la
narratologie depuis sa fondation) et mettra l’accent sur la complémentarité des
perspectives issues de la poétique de la littérature, de la linguistique,
de l’analyse des discours, des sciences cognitives, de la sémiotique
des passions (néo-greimasienne ou peircéenne), de la philosophie
analytique, herméneutique, éthique et phénoménologique, etc.
Le dossier « passion et narration », évolutif et totalement
libre d’accès, sera régulièrement remis à jour et chaque contribution
sera introduite par un commentaire portant sur l’auteur et sur
son texte.
Dossier
lancé le 10 novembre 2005