« L’épisode émotionnel » en poésie lyrique
Toute progression affective n’est pas une narration
Antonio Rodriguez
Université de Lausanne
La question de la progression est source de malentendus aussi implicites que récurrents en critique littéraire. Traitée ici dans ses dimensions affectives – cette question dépasse cependant la seule vie affective –, la progression engage le passage d’un état x à un état y,une traversée temporelle (d’un tn à un tn+1) avec une transformation, voire une évolution des situations. L’objectif est de montrer que ces éléments souvent au fondement des narratologies ne sont pas spécifiquement de l’ordre du récit. La progression peut en effet se retrouver dans d’autres structurations discursives, comme le lyrique, sans forcément impliquer le régime de l’action ou de l’intrigue. Pour ce faire, nous partons de recherches récentes en sciences humaines. De multiples travaux ont été réalisés tant du côté de la phénoménologie que du côté de la psychologie cognitive ou des neurosciences1, avec des ouvertures sur des perspectives nouvelles pour la compréhension des expériences émotionnelles2, même si une certaine prudence, légitime, nous garde d’applications trop directes dans le domaine esthétique. Deux éléments plus particulièrement nous intéressent actuellement dans nos recherches : d’une part, le concept d’ « épisode émotionnel » pour comprendre les possibilités de progression dans l’évocation des émotions ; d’autre part, les modalités de « l’empathie » pour traiter des spécificités tensives du lyrique3. Dans la présente étude, nous nous concentrons sur la question de la progression affective en poésie lyrique, dans le but de montrer en quoi le corpus poétique, tout comme celui du théâtre, peut engager des apports pour la théorie littéraire et les analyses des discours, que le seul genre littéraire du roman ou la seule discursivité du récit, souvent au centre des poétiques littéraires, ne permettent pas.
Comment associer encore le lyrique et l’affectif ?
Petite histoire d’une recherche
Avant de traiter de la progression affective en poésie lyrique en tant que telle, j’explicite, à la demande de Raphaël Baroni qui dirige ce dossier, le fondement de mes recherches théoriques sur la discursivité lyrique, en les situant par rapport à certains travaux de narratologie. Cela permet de comprendre pourquoi j’associe encore, et malgré tout, lyrique et pâtir, tout comme en parallèle je pense qu’il est judicieux de lier encore récit, intrigue et agir, même s’il est entendu que nous trouvons des actions en poésie lyrique, voire dans le pâtir même, et des « passions » dans le récit, voire dans l’agir même. Face à une question de cette complexité, les nuances du « comment » associer lyrique et affectif, et non plus seulement le fait de les associer encore aujourd’hui, sont déterminantes, car une telle conjonction peut aussi bien renvoyer à la théorie d’un Batteux, d’un Hegel que d’un Jakobson, avec des conséquences tout à fait différentes.
Le point de départ de notre théorie du lyrique tient à l’observation des textes poétiques. Cela ne signifie pas que toute poésie soit lyrique ou que le lyrique ne soit que dans la poésie4, mais depuis le XIXe siècle c’est bien dans ce genre littéraire que nous trouvons de manière dominante une telle structuration discursive, au point de laisser croire que « poésie » et « poésie lyrique » seraient identiques. Or, l’étude des corpus poétiques français montre combien le genre poétique a eu des traits définitoires différents d’une époque à l’autre et combien diverses structurations discursives le déterminent. Que ce soit pour des séquences comme pour la trame intégrale d’un poème ou d’un recueil, les éléments qui permettent de dépasser la succession des propositions, la simple addition de phrases, pour parvenir à une progression et à une configuration, peuvent être de l’ordre de logiques distinctes : narrative (dans la poésie épique), argumentative (dans la poésie scientifique), lyrique (dans certaines élégies), voire ironique (dans les satires). L’étude historique de la poésie5 montre justement l’importante capacité du genre à se composer de structurations discursives diverses, parfois avec des dominantes, parfois de façon plus hétérogène, comme dans Une Saison en enfer de Rimbaud. Loin de fonctionner par exclusion dans les textes eux-mêmes6, les séquences discursives peuvent parfaitement s’enchaîner dans un ensemble dont l’indétermination entraînera des actes de lecture différents : d’aucuns liront Une Saison en enfer comme (ou plutôt comme) un récit autobiographique, d’autres comme une vaste parodie, certains comme un renouvellement lyrique. À partir d’un même texte poétique, sans dominante évidente, les mandats de lecture, les visées intentionnelles peuvent varier selon les interactions pragmatiques des lecteurs. Il n’y a guère de discursivité unique et homogène en poésie, de traits valables uniformément sur ces différents siècles, et il est dès lors difficile de comprendre la notion de « langage poétique » autrement que comme une fonction partielle du genre tant les variations historiques s’adaptent mal à cette perspective issue du formalisme7.
Afin de montrer comment la poésie peut accueillir des structurations discursives différentes, je propose de partir d’exemples concrets et de prendre en considération deux textes poétiques. Le premier est de Georges Perros :
[…]
Un soir que chez d’autres amis
nous étions allés tous les deux
à l’arrière d’une voiture
qui nous ramenait à Meudon
elle reposa son visage
sur mon épaule, fatiguée
Geste étrange jamais permis
que je laissai faire Sa tempe
était à deux doigts de mes lèvres
et je la baisai comme celle
d’un enfant qui va s’endormir
C’était réveiller le tonnerre
car nous n’étions plus des enfants
Et dès lors je l’encourageai
à rompre et à donner un sens
qu’il nous faudrait alimenter
à ce geste tendre Voilà
ce qui après cent aventures
fait raison de notre aujourd’hui
et de ces enfants que nous eûmes […].8
Ces vers font partie du recueil poétique Une Vie ordinaire, aujourd’hui disponible en collection « Poésie » chez Gallimard. La versification en octosyllabes, le sous-titre « roman poème »9, certaines perturbations syntaxiques ainsi que quelques indices de la « fonction poétique » associent ce texte à des attentes de poésie. Nous avons en effet une intrigue, des actions et des états qui se regroupent dans un « plan » de l’agir (« initier une relation amoureuse »), une narration rétrospective fondée sur le passé simple et l’imparfait. En somme, la définition classique du récit10, reformulée par Paul Ricœur11, comme « une mise en intrigue de l’agir » serait ici observable, alors que le genre littéraire est celui de la poésie. Il en va pourtant autrement dans le poème suivant d’Henri Michaux :
Contre !
Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas,
Et qu’une espère d’évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de tous vos Parthénon, vos arts arabes, et de vos Mings. […]
Glas ! Glas ! Glas sur vous tous, néant sur les vivants !
Oui, je crois en Dieu ! Certes il n’en sait rien !
Foi, semelle inusable pour qui n’avance pas.
Oh monde, monde étranglé, ventre froid !
Même pas symbole mais néant, je contre, je contre,
Je contre et te gave de chiens crevés. […]
Dans le noir nous verrons clair, mes frères.
Dans le labyrinthe nous trouverons la voie droite.
Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes !
Comme je vais t’écarteler !12
Ce texte ne peut être configuré selon les déterminations du récit (nulle intrigue, nulle histoire) ni selon celles de l’argumentation. En revanche, une trame spécifique se développe, qui permet le passage du phrastique au transphrastique, en donnant sens à ces propositions selon un mouvement métaphorique et affectif général. Le texte ne raconte pas une colère, il ne l’explique pas selon un plan argumentatif, mais il la donne à sentir à travers la textualité (rythme, anaphores, références métaphoriques). Les dimensions de la rage, de la colère ou de la haine se rassemblent autour du titre, qui fournit le topique, « Contre ! ». Or, c’est bien cette opposition générale aux autres, comme un fondement affectif, qui rassemble le texte en unité, en le faisant éprouver par la matière même du texte. Ce phénomène de configuration et de progression se rattache à l’organisation d’une trame lyrique. Le fait que la logique structurante, avec son incidence sur l’ensemble des plans du discours, soit modifiée dans ses principes montre bien que le lyrique fonctionne ici comme une discursivité du même ordre que celle du récit dans le cadre de la poésie narrative (Rodriguez, 2003).
Cela signifie que l’adjectif « lyrique » dans l’expression « poésie lyrique » engage pour nous aujourd’hui, d’un point de vue terminologique, deux acceptions différentes : d’une part, celle d’une structuration discursive fréquente en littérature, dans les arts ou d’autres pratiques symboliques13 ; d’autre part, celle du « lyrisme », terme créé vers 1830, qui renvoie à un êthos romantique, visant le sublime dans l’esthétique comme dans l’existence. L’adjectif « lyrique » correspond à l’ambivalence du terme « romanesque », qui se rattache tant à un genre littéraire qu’à un êthos14. Dès les années quarante du XIXe siècle, l’êthos du « lyrisme » est critiqué d’abord dans le domaine politique15 puis dans l’esthétique, car la visée du sublime et les excès provoqués sont sujets à ironie16. Je ne m’arrête pas sur ce point que j’ai développé en profondeur dans d’autres études17, pour me concentrer sur la structuration discursive du « lyrique ». Comment définir cette dernière précisément ?
Du même ordre (archi-)générique que le récit, la structuration lyrique nécessite pour être identifiée précisément des descriptions comparables à celles de la narratologie. Si, d’un côté, nous avons la nécessité de lier « mise en intrigue » (avec la narratologie formelle) et logique de l’agir (avec la narratologie thématique)18, par la définition néo-aristotélicienne de la « mise en intrigue de l’agir », nous pouvons retrouver des parallèles dans le lyrique, avec une logique compositionnelle et une logique de l’expérience qui s’associent « par excellence »19. Or, pour le lyrique, comme nous l’avons déjà montré dans nos essais, la logique de l’expérience semble relever du filtre radical du « pâtir », qui rassemble le champ pratique, alors que la logique compositionnelle se fonde sur une « forme affective »20 qui permet une incarnation langagière (par le rythme, le débit dans l’oralité, les jeux phoniques, les prédications métaphoriques, les situations énonciatives dominées par le sentir) comme autant d’exemplifications du pâtir dans la matérialité même de l’énoncé21. C’est pourquoi j’ai défini le lyrique en tant que « mise en forme affective du pâtir ». En outre, si l’intentionnalité dans le récit est de « parcourir une histoire », soit en la racontant soit en la suivant, celle liée à la structuration lyrique est de « sentir et ressentir la vie affective » (Rodriguez, 2003). Cela signifie que non seulement pour avoir un récit il faut une intrigue, une logique globale de l’agir, mais également une intentionnalité du lecteur en partie concordante avec les visées du texte22. De même, pour le lyrique, il convient non seulement de posséder une compréhension paradigmatique du pâtir, une forme affective compositionnelle, mais d’impliquer également la visée intentionnelle du « sentir et ressentir la vie affective ».
Mon approche du « pacte lyrique » se fondait sur deux éléments, donnés dans le sous-titre de l’essai de 2003 : la configuration discursive et l’interaction affective. Bien que traitant de la seconde, je me suis alors surtout concentré sur la première, en partant sur les bases d’une « poétique de la lecture »23 et en ouvrant les voies d’une « lyricologie » (souvent éparse ou implicite dans la critique24). Il manquait en effet une synthèse critique qui rassemble de manière cohérente des travaux centrés sur l’énonciation, le système métaphorique, le rythme, les dimensions sémantiques. C’est pourquoi le souci de mieux spécifier les éléments permettant la configuration lyrique m’a conduit à répertorier les stratégies propices à cette discursivité dans les différents plans du discours, le tout se rassemblant en une « forme affective générale ». Cette poétique de la lecture lyrique s’est concentrée sur la « compréhension », en annonçant plus qu’en analysant les principes tensifs de la « progression »25. La notion de « pacte », engageant des « mandats » implicites, des « complexités variables », accompagnant des « effets globaux », des « styles de lecture » différents, avait pour objectif d’instaurer une configuration discursive dépendante non seulement du lecteur, mais des lecteurs, avec des modes de lecture tout à fait différents. Les apports de la sémiotique tensive des passions26 m’incitent aujourd’hui à poursuivre le travail en explorant les interactions, notamment sur les questions de la progression et de l’empathie.
À partir de nos observations, nous avons distingué trois pactes discursifs principaux en poésie, et plus largement dans le domaine littéraire, qui se situent au même niveau d’interrogation générique, celui d’une structuration fonctionnelle discursive : le récit, le lyrique, le critique27. Cela n’entretient guère de rapports évidemment avec la triade romantique, lyrique-épique-dramatique, ni avec des essences anhistoriques28.
Les trois pactes discursifs principaux
Structurations fonctionnelles discursives |
Pacte fabulant
Le récit |
Pacte lyrique |
Pacte critique |
Définitions :
logique compositionnelle et logique de l’expérience |
mise en intrigue de l’agir |
mise en forme affective du pâtir |
mise en critique des valeurs |
Visée intentionnelle |
parcourir une histoire |
sentir et ressentir la vie affective |
évaluer des catégories (normes, valeurs, notions) |
Nous avons pu montrer que ces trois structurations discursives en poésie ne fonctionnent pas dans un système d’oppositions, mais de manière complémentaire. De nombreux textes sont composés de séquences hétérogènes, et il est rare de trouver une unique structuration. Ainsi, par exemple, les fables sont souvent un entrelacs du pacte fabulant et du pacte critique. De la même manière, certains « arts poétiques » mêlent structurations lyrique et critique, comme chez Paul Verlaine ou Francis Ponge. L’hétérogénéité se résout généralement par des dominantes attribuées à la trame d’un texte, en rassemblant des séquences différentes. Ces dominantes, bien qu’en partie décelables dans la structuration des textes, peuvent être modifiées d’un lecteur à l’autre, d’une lecture à l’autre, comme dans le cas d’Une Saison en enfer, un texte particulièrement difficile à déterminer dans sa structuration discursive. En outre, si quelqu’un lit un poème lyrique en cherchant à parcourir une histoire ou à évaluer des normes, ce qui est tout à fait possible, il pourra, s’il insiste, progresser et configurer le texte, mais cela le conduira à une certaine insatisfaction, voire à un jugement esthétique négatif. C’est pourquoi il nous a paru important d’évoquer un « pacte discursif implicite » avec une dimension contractuelle et non seulement une structuration discursive dans le texte, car chaque lecteur peut modifier certains mandats du texte et lire autrement qu’en conformité à l’idéal du théoricien littéraire.
Cette théorie des pactes discursifs en littérature pourrait laisser supposer, malgré l’hétérogénéité, les dominantes et les interactions reconnues, que l’agir et le pâtir, le lyrique et le récit sont en opposition. Est-ce à dire que nous ne trouvons pas d’agir dans le pâtir ou d’émotions dans l’agir ? Ce serait absurde. Le poème de Michaux montre bien les ambivalences : « Je vous construirai », « [je] te gave », « je vais t’écarteler » relèvent de l’action. De nombreux travaux sur le récit ont en outre montré l’importance des émotions pour les personnages29 ou pour la progression narrative30. Par ailleurs, les recherches en philosophie ou en psychologie cognitives tendent à montrer la compénétration de l’action, des émotions et de la cognition31. Ce qui importe pour un critique littéraire, à nos yeux, n’est donc pas de trouver des émotions dans l’agir ou des actions dans le pâtir, car cela est une évidence, mais bien de voir comment certains « scripts », certains « plans », se regroupent dans des configurations plus larges avec des logiques différentes selon les pactes discursifs. Ainsi, les actions dans le poème de Michaux sont saisies dans une configuration lyrique non comme des actions visant un but réalisable (bâtir effectivement une ville, un édifice) mais comme des éléments d’un ensemble figurant la colère. L’action n’est plus dans le registre de la dénotation, mais elle entre dans un ensemble affectif construit sur des références métaphoriques. En somme, l’action perd sa valeur dans l’agir pour fonctionner figurativement dans le pâtir. Observer les configurations d’une logique de l’expérience plutôt que ponctuellement les états, les émotions, les actions ou les pensées, permet de traiter d’une logique de l’agir ou d’une logique du pâtir véritablement en lien avec les structurations discursives, car il serait vain de séparer intrigue et agir, métaphorisation et pâtir.
Prenons un cas simple : un homme marche en parlant au téléphone ; il traverse une route ; une voiture risque de l’écraser ; il a un choc dû à la peur. Développons cette situation et son déroulement selon les trois structurations discursives dans des textes simples élaborés pour l’occasion :
1. Dominante narrative
Je marchais sur le trottoir, en téléphonant à un ami, à qui je racontais une excellente nouvelle. J’avais tort de faire deux choses en même temps. Je commençais à traverser la route. Subitement, j’ai entendu un klaxon et une voiture qui freinait brusquement. Heureusement, j’ai fait un bond en arrière, sinon je crois que je serais mort. J’ai vraiment eu peur. Je tremblais de partout. Je ne savais plus que faire.
2. Dominante critique
Avant de traverser distraitement la route, j’aurais dû arrêter ma conversation au téléphone avec un ami et regarder la route. Ce simple geste m’aurait évité d’être surpris et de ressentir une immense frayeur, car j’ai manqué de peu de me faire percuter. Cette erreur aurait pu me coûter cher, la vie. Soyons prudents !
3. Dominante lyrique
Homme distrait, tu avances confiant dans le monde et tu ne crains pas l’obstacle. Mais, cette route à franchir, c’est le réel qui t’arrache à la rêverie : klaxon, crissement, silence. Ce froid partout. Comme tu trembles ! Et cette pâleur sur tes traits. Est-ce encore toi ? Vivant, et déjà semblable aux morts.
Ces textes brefs permettent de saisir les différences en empêchant des scissions trop radicales du point de vue de l’expérience. Nous reconnaissons bien dans le premier texte la structuration du récit. Une histoire est racontée, avec des actions certes (marcher, téléphoner, traverser), mais nous trouvons aussi des émotions (surprise, peur), des évaluations (« j’avais tort »), qui ne perturbent guère la configuration narrative générale. L’intrigue semble présente, et il est possible de résumer l’ensemble de la manière suivante : « Il allait traverser une route, il a évité de peu l’accident, et il a eu une peur profonde, car il a failli mourir ». Le résumé, en tant que « re-raconter »32, montre un enchaînement sous le filtre de l’agir qui inclut les différentes situations, sensations ou pensées. La même situation dans le deuxième texte convoque d’autres logiques. L’argumentation, dans un enchaînement de causes et d’effets, prend le pas sur le récit. Des séries d’évaluations sont posées (« j’aurais dû », « j’aurais évité », « erreur ») sans pour autant supprimer les actions (traverser, arrêter, regarder) ni l’émotion (« une immense frayeur »). Une synthèse des propositions conduirait par exemple à une morale de ce type : « Il faut prendre garde en traversant la route ; la vie est fragile ». Le filtre des valeurs est ici activé, et il englobe les états ou les actions. Dans le troisième texte, la situation est cette fois placée dans une structuration lyrique. L’ensemble paraît marquer par les dimensions affectives (« euphorique », « confiant », « froid », « tremble », « pâleur »), mais sans occulter les actions (« avances », « arrache ») ni les assertions (« c’est le réel qui t’arrache à la rêverie »). Toutefois, la configuration de ces propositions peut mener au topique suivant : « Précarité de l’homme dans le réel, entre confiance et peur ». Le texte prend alors une référentialité métaphorique entre l’événement et la condition de l’homme dans le monde. Le filtre affectif rassemble dans une cohérence nouvelle les actions et les valeurs.
C’est pourquoi je m’accorde à Bertrand Gervais pour dire : « lire un récit, selon notre hypothèse, c’est comprendre minimalement les actions qui y sont représentées »33. Qui ne comprend pas une séquence sous la logique de l’agir, pour tirer des « plans-actes » à partir de « scripts », ne peut participer à un récit. Il ne suffit pas de comprendre les actions en tant que telles mais de les saisir dans une « logique de l’agir » (qui regroupe certes les actions, mais aussi les états, les sensations, les émotions et les pensées) pour suivre un récit. Cette logique de l’agir, qui sert de filtre à l’expérience, ne peut déterminer à elle seule un récit. Il est nécessaire d’y ajouter une dimension compositionnelle majeure, celle de l’intrigue. Sinon, comme l’a montré Françoise Revaz34, des recettes de cuisine suffiraient à créer un récit, puisque elles aussi sont dominées par des actions. Mais là encore, le récit exige davantage qu’une seule « mise en intrigue de l’agir » : il faut une visée intentionnelle minimalement concordante (entre les visées du texte et les lecteurs qui s’investissent35) qui permet la progression et la compréhension. Dans le cas du récit, il s’agit de « parcourir une histoire » en activant ce qui est du ressort d’une tension narrative et de ses modalités (curiosité, surprise)36. Sans elle, la définition du récit n’est qu’une définition narratologique (formelle et thématique), jamais saisie dans un processus pragmatique d’investissement interactif. Or, nous retrouvons les mêmes principes pour le lyrique : les références au pâtir fonctionnent comme des filtres dans une « logique du pâtir », qui regroupe les états, les actions, les pensées. Quelques émotions ne suffisent évidemment pas à construire une « logique du pâtir ». En outre, le lyrique ne se fonde pas uniquement sur une logique thématique liée à un filtre de l’expérience, le pâtir, mais aussi sur une logique compositionnelle, la « forme affective » (qui provoque un « effet d’incarnation textuelle » ou une « pathématique », avec des incidences sur les formations sensibles, subjectives et référentielles du discours37). Le tout est rassemblé, d’un point de vue pragmatique par une intentionnalité (« sentir et ressentir la vie affective »). Ces trois aspects d’un pacte discursif, généralement implicites, fonctionnent simultanément dans les principales structurations fonctionnelles discursives en littérature.
Dans les différents textes sur l’homme qui allait traverser la route, il est marquant de voir, malgré les différences de structurations discursives, que tous possèdent une situation initiale (l’homme qui marche distraitement), un événement (il traverse une route et risque sa vie), une situation finale (l’homme est sauf, mais il a eu un choc). La même progression, plus ou moins explicite, se manifeste, et cela rend ambiguë une définition du récit qui porterait uniquement sur la transformation d’un tn à un tn+1 38. Tout comme il est problématique de penser que le récit découle de l’agir, il est gênant de croire que l’intrigue réduite à une progression suffit à le spécifier. C’est bien ce que nous voulons montrer avec la notion d’ « épisode émotionnel » et de « processus affectif » dans les textes lyriques.
L’« épisode émotionnel » et la progression affective
Afin de saisir au mieux les enjeux de la structuration discursive lyrique, il est nécessaire de véritablement établir une étude approfondie du pâtir en tant que « préfiguration ». Dans Temps et récit, Paul Ricœur écrivait « qu’il n’est pas d’analyse structurale du récit qui n’emprunte à une phénoménologie implicite ou explicite du “faire” »39. S’il est certain que la logique de l’agir (plus que celle du « faire ») participe à une étude du récit, les définitions de ce type d’expériences peuvent s’ouvrir à d’autres perspectives que celles de la phénoménologie. Je pense notamment dans le domaine des émotions aux recherches importantes en psychologie cognitive et à leur impact en sémiotique des passions40. Ainsi, les travaux sur les structurations discursives en littérature ne peuvent se détourner des descriptions philosophiques ou psychologiques de l’expérience, pour élaborer au mieux les « préfigurations ». Ce travail au long cours que nous menons avec le lyrique et la vie affective peut par exemple servir à voir comment des travaux en sciences humaines permettent de comprendre les liens entre progression et pâtir, en deçà d’une reconstruction narrative de l’expérience. De tels travaux autorisent à penser, contrairement à un certain sens commun, que l’affectif n’est pas seulement une émergence instantanée, surgissant avec une émotion fulgurante, mais que certaines dimensions affectives engagent la continuité, la durée, des transformations dans le temps.
Pour caractériser au mieux la logique du pâtir du point de vue paradigmatique, il convient tout d’abord de distinguer dans la vie affective ce qui est du ressort des « humeurs », des « émotions », des « sensations » ou des « sentiments ». Trop souvent, la vie affective dans le lyrique est réduite à un seul aspect : par exemple, les « Stimmungen » (qui correspondent aux « humeurs ») chez Emil Staiger41 ou les « sentiments » dans une certaine tradition post-romantique. Si mon approche tendait en 2003 à un élargissement phénoménologique de la vie affective par une alliance des « affections » (sensations), des « tonalités affectives » (humeurs) et de l’ « affectivité » (ressaisie affective de soi), il me paraît important aujourd’hui d’y ajouter une compréhension des « émotions ». Dans le cadre de la présente étude, les dimensions de persistance, de transformation et de progression de la vie affective me paraissent cruciales pour saisir les possibilités compositionnelles syntagmatiques du lyrique et non seulement ses composantes paradigmatiques. Je ne reviens pas trop longuement sur la définition des « humeurs ». Nous pouvons les définir simplement42 comme des états affectifs qui s’étendent de quelques minutes à plusieurs jours43, sans facteurs déclenchants ou d’extinction précis, sans intentionnalité. Se déployant dans les dimensions pré-réflexives de l’existence, leur manifestation diffuse (« atmosphérique »), parfois latente, les place dans une continuité de situation dans le rapport au monde. J’ai distingué déjà quatre humeurs fondamentales dans mes précédents travaux : les humeurs à valence négative (angoisse, mélancolie) et à valence positive (euphorie, sérénité)44. Ces humeurs engagent des rythmes, des rapports au temps, à l’espace et une affectivité caractéristiques, qui se retrouvent dans les stratégies textuelles lyriques (par les phénomènes d’incarnation textuelle)45. Il est marquant qu’une humeur développe une durée temporelle importante et qu’elle puisse se combiner avec d’autres humeurs, voire conduire à des transformations momentanées pour retrouver ou non l’état initial. Par exemple, une humeur mélancolique peut se composer de phases angoissées ou sereines pour revenir finalement à une persistance mélancolique46. C’est pourquoi les seules humeurs permettent déjà de comprendre des passages lyriques possibles d’un tn à un tn+1 avec des transformations sans que la structuration narrative soit activée pour autant. Les humeurs ne sont cependant pas les seules expériences affectives concernées, car il est possible de penser de véritables « épisodes émotionnels ».
Les émotions, comme la joie, la peur, la tristesse, la colère47, ont été largement distinguées des humeurs par leur brièveté, l’intensité de leurs apparitions, la possibilité de déceler des facteurs déclenchants et des actions qui leur sont associées. Aussi, les apports des psychologues cognitifs à partir des années quatre-vingt a consisté à comprendre les émotions dans des approches fonctionnelles et non plus dysfonctionnelles (comme cela était souvent le cas en philosophie). Cette perspective a permis de montrer, comme chez Scherer ou Frijda, combien les émotions étaient en corrélation avec des intentionnalités, des tendances à l’action et des évaluations48. Il est communément admis aujourd’hui que les émotions engagent des traits comportementaux-expressifs, physiologiques, cognitivo-expérientiels et sociaux-interactifs (Luminet, 2007). Ainsi, l’apparition d’une émotion implique le passage d’un état initial à un état final, avec une transformation. La notion d’ « homéostasie » (Cannon, 1929) a longuement servi et sert encore de modèle : les émotions visent un retour à l’équilibre psycho-physiologique habituel. Toutefois, cette approche s’est enrichie, dans des démarches « cognitivo-sociales » comme celle de Bernard Rimé, d’une plus grande complexité : « l’état émotionnel est la rupture de continuité dans l’interaction individu-milieu »49. Des variations du milieu (événements, situations, objets) et de l’individu (désirs, besoins selon des motivations biologiques, sociales, cognitives ou de sécurité50) sont à la source d’une palette d’émotions. Cette rupture de continuité montre déjà un processus lié à l’émergence d’une émotion : équilibre initial, rupture d’équilibre, émotion, regain d’équilibre. Mais, ce qui pour notre réflexion se révèle décisif tient en ce que la dimension fulgurante et brève de l’émotion (définie bio-physiologiquement par le « stimulus – réponse », p.e. chez Ekman, 1984) est remise en question par des approches en interaction. Nico H. Frijda et collaborateurs (1991) ont mis en valeur la notion psychologique d’ « épisode émotionnel », qui est notamment reprise dans les théories du « partage social des émotions » (Rimé) ou des approches componentielles de l’évaluation (Scherer).
Qu’est-ce qu’un « épisode émotionnel » ? De nombreuses formes émotionnelles ne se fondent pas sur un pic fulgurant, mais sur un processus de résolution qui engage une durée et une « transaction ». L’épisode émotionnel tire son unité d’une référence à un événement particulier (accident, résultats d’examen…) ; il peut s’étendre sur plusieurs heures généralement, sur plusieurs jours parfois, sans se confondre avec une humeur cependant. Il débute avec la réaction émotionnelle au changement de situation et s’achève avec la résolution ou l’abandon de la transaction (Frijda, 1991 ; Rimé, 2005). Durant l’épisode émotionnel, le sujet tente de gérer l’événement, qui provoque un cycle problématique source d’un défi continuel (Scherer, 2004 ; Rimé, 2005). L’unité de l’épisode émotionnel tient à l’investissement affectif de l’individu par rapport à un même thème lié à l’événement. Toutefois, cette unité n’empêche guère les transformations, et il apparaît même que l’épisode émotionnel offre des phases successives : montée, apogée, plateau, déclin (Frijda, 1991 ; Rimé, 2005). Nous sommes ici dans un rapport d’unité de sens qui engage une unité temporelle faite de variations et de progression vers un nouvel équilibre. Ainsi, nous parvenons à une construction de l’épisode émotionnel avec plusieurs phases identifiables :
Les phases successives de l’ « épisode émotionnel »
d’après Rimé, 2005
1. Équilibre initial
2. Rupture de l’équilibre
3. Épisode émotionnel
montée
apogée
plateau
déclin
4. Résolution ou abandon de la transaction
5. Équilibre final
La notion d’ « épisode émotionnel » a montré ses dimensions opératoires dans des travaux sur le partage social des émotions. En effet, en dépassant le seul aspect bio-physiologique pour traiter des implications psycho-sociales, Bernard Rimé et ses collaborateurs ont souligné combien une émotion forte s’épuisait rarement dans l’instant de sa première apparition, mais engageait une durée de résolution51. Cela rejoint des développements en sémiotique qui ont mis en évidence des constructions syntagmatiques des émotions52. Or, ce qui est valable pour un « épisode émotionnel » l’est encore plus pour un processus psychique comme celui qui suit la mort d’un être cher ou une rupture amoureuse. La perte de l’être aimé dans le deuil provoque par exemple des enchaînements d’étapes, qui sont parfois des épisodes émotionnels typiques, descriptibles, comme la colère, la tristesse, qui conduisent à la transaction de « l’acceptation ». Dans sa théorie psychanalytique de la séparation, Donald H. Winnicott évoquait, à la suite de Mélanie Klein, trois phases dans la refondation de soi : agressivité, culpabilité, réparation53. Or, ce qui est valable pour un choc affectif négatif important peut l’être pour des émotions à valence positive : l’émerveillement par le voyage, par exemple. Des œuvres placées sous le signe d’expériences communes, d’avance codifiées par des préfigurations, vont engager ainsi des progressions affectives identifiables.
Tout « épisode émotionnel » est-il lyrique ? La réponse est négative, car l’épisode émotionnel relève du champ de l’expérience qui peut être traité dans les différentes structurations discursives, mais sa mise en forme affective (lyrique) ne sera évidemment pas semblable à une mise en intrigue (narrative). Alors que dans le récit, l’épisode émotionnel est pris dans une intrigue et sera configuré selon les composantes de l’agir, dans le lyrique ce seront les effets d’incarnation textuelle, les références métaphoriques et la logique du pâtir qui prédomineront. Illustrons tout d’abord ces principes par rapport à une expérience émotionnelle simple. Dans Adolphe, le personnage principal reçoit un refus de la femme convoitée : « Cette réponse me bouleversa. Mon imagination, s’irritant de l’obstacle, s’empara de toute mon existence. L’amour, qu’une heure auparavant je m’applaudissais de feindre, je crus tout à coup l’éprouver avec fureur. Je courus chez Ellénore ; on me dit qu’elle était sortie. Je lui écrivis ; je la suppliais de m’accorder une dernière entrevue ; je lui peignis en termes déchirants mon désespoir, les projets funestes que m’inspirait sa cruelle détermination. Pendant une grande partie du jour, j’attendis vainement une réponse. »54 Le « bouleversement » de cet épisode engage la « fureur » et le désespoir, mais le traitement des émotions ne cesse d’être englobé dans une logique de l’agir. Tel n’est pas le cas d’un sonnet de Louise Labé où l’amour est source d’alternances émotionnelles et sensibles aiguës :
Je vis, je meurs : je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m’est et trop molle et trop dure ;
J’ai grands ennuis entremêlés de joie
Tout à coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis quand je crois ma joie être certaine
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.55
Loin d’être prise dans une structuration narrative, l’intégralité du poème nous donne à ressentir lyriquement le passage fulgurant d’un état à l’autre (heur/malheur, molle/dure), de la joie à la tristesse avec une inconstance liée à la vie amoureuse. Ce sonnet s’inscrit dans un ensemble de poèmes consacrés aux tourments et aux aspirations de l’amour. Il n’est toutefois pas en tant que tel un développement en forme d’« épisode émotionnel », mais il montre la construction lyrique d’une expérience affective par rapport à sa configuration narrative dans Adolphe. La notion d’« épisode émotionnel » renverrait davantage par exemple aux poèmes d’« À la Santé » de Guillaume Apollinaire56, car cette notion convient généralement mieux pour expliquer une progression dans un ensemble (série de poèmes, section, partie, recueil) plutôt que dans un seul poème. Les six textes d’« À la santé » d’Apollinaire ne forment pas un récit, et pourtant ils évoquent lyriquement le pâtir changeant du prisonnier dans une « circonstance » autobiographique. La section marque une progression de la claustration et de la solitude : « Avant d’entrer dans ma cellule » ; « Le Lazare entrant dans sa tombe » ; « Et ce désespoir qui la gagne » ; « Et prisonnier sans horizon / […] Le jour s’en va ». Il y a un état initial explicite (l’entrée en prison) et implicite (la fin de la liberté), une transformation émotionnelle liée à un épisode douloureux et un état final avec une transaction non conclusive (le désespoir). Ainsi, la lecture de ces textes peut-elle s’inscrire dans le développement d’un « épisode émotionnel » :
La structuration de l’épisode émotionnel
dans « À la Santé » d’Apollinaire
Rupture d’équilibre |
Montée |
Apogée |
Plateau/Déclin |
Résolution
(ici abandon de la tractation) |
Poème I
« Le Lazare entrant dans la tombe » |
Poème II
« Non je ne me sens plus là / Moi-même »
Poème III
« Dans une fosse comme un ours / Chaque matin je me promène » |
Poème IV
« Prends en pitié surtout ma débile raison / Et ce désespoir qui la gagne » |
Poème V
« Que lentement passent les heures / Comme passe un enterrement » |
Poème VI
« Le jour s’en va voici que brûle / Une lampe dans la prison / Nous sommes seuls dans ma cellule / Belle clarté Chère raison » |
Il est ainsi utile de réserver la notion d’ « épisode émotionnel » à de telles constructions, et de les différencier des évocations lyriques d’ « états affectifs » comme dans le poème de Louise Labé.
L’ « épisode émotionnel » n’est pas propre à la discursivité lyrique, comme l’action n’est pas réservée au seul récit. Pourtant, cette notion d’ « épisode émotionnel » nous permet de dépasser une confusion en critique littéraire et une vision trop répandue des émotions. En effet, les progressions (état initial – transformation – état final) et les saisies d’une unité de transformation par les phases de montée, de plateau et de déclin ne semblent pas réservées aux uniques structurations narratives, mais elles se retrouvent dans des synthèses passives de l’expérience. En outre, des constructions en progression se retrouvent dans les logiques compositionnelles du pacte critique, comme dans l’argumentation (introduction, thèse, antithèse, synthèse, conclusion) ou dans la disposition en rhétorique (exorde, narration, confirmation, réfutation, péroraison). Cela montre bien que la progression ne révèle pas la seule tension des configurations narratives. Nous trouvons dans l’argumentation, comme dans le lyrique, la possibilité d’un état initial qui va vers une évaluation finale (la décision, le jugement) après transformation par un épisode délibératif. Mais qu’en est-il de la progression dans la structuration lyrique ?
L’évocation lyrique du deuil et le cycle des saisons
La question d’une progression dans un poème ou un recueil est un problème récurrent qui apparaît fréquemment lors des discussions de colloque. Toute progression, même affective, n’est-elle pas du ressort du récit ? La composition d’un recueil poétique n’engage-t-elle pas parfois des formes latentes d’intrigue ?
Pour répondre à ces questions, partons d’un exemple simple : le deuil comme processus affectif après la mort d’un être cher, qui accroît la structure épisodique que nous trouvions dans la catégorie d’ « épisode émotionnel ». Est-ce forcément narratif de perdre quelqu’un, d’être stupéfait, de nier les faits, de vivre de la colère, de la tristesse pour parvenir à une sérénité après un long travail sur soi ? La réponse négative va de soi ; une expérience n’est pas en tant que telle narrative ; la mémoire d’une expérience n’est pas encore son récit, car sinon le simple fait de naître, vivre et mourir serait une narration. Nous pouvons bien entendu faire l’histoire d’une vie ou d’un deuil, mais il y a dans ce passage une construction de l’expérience selon une intentionnalité et des schèmes narratifs, une « synthèse active » pour reprendre une terminologie phénoménologique. Aussi, lorsque certains recueils traitent du travail de deuil à la suite du décès de la compagne ou de l’épouse, comme chez Pierre Albert-Birot, Paul Éluard, Henri Michaux, Jacques Roubaud, Claude Esteban ou Michel Deguy57, nous n’avons pas forcément un récit. Le « Portrait des Meidosems » de Michaux58 part bien d’une ouverture du désir – « D’ailleurs, comme toutes les Meidosemmes, elle ne rêve que d’entrer au Palais de Confettis. »59 – pour aller vers une résolution – « Ce que ces Meidosems ont tant désiré, enfin ils y sont arrivés. Les voilà »60, mais il serait vain de chercher la structuration d’une intrigue dans ce texte au statut singulier. Élégie de la mort violente d’Esteban61, construit en trois parties distinctes, offre bien le passage du décès accidentel de l’épouse à un élargissement général de l’atmosphère de deuil, mais l’assemblage en progression des parties ne se fonde pas sur un récit. Nous voyons à travers ce questionnement un excès d’attribution du récit aux phénomènes de progression temporelle avec un oubli majeur, déjà souligné par Edmund Husserl : les « synthèses passives » de l’expérience, dans la mémoire et la durée, ne sont pas des « synthèses actives » comme le récit62. Avant de faire le récit d’un deuil vécu, il y a des bribes d’expériences comprises dans une durée, « de la mort de l’être aimé à ce jour », qui ne sont pas encore saisies dans une histoire de soi. C’est pourquoi les synthèses passives d’un deuil, avec des étapes qui sont autant d’ « épisodes émotionnels », peuvent ainsi parfaitement se retrouver dans des structurations lyriques ou critiques. Une succession d’événements et d’expériences, même en progression, ne bâtit pas à elle seule une intrigue.
Ce constat ne signifie pas pour autant que toute structuration lyrique engage une progression temporelle. Contrairement à une argumentation ou à une intrigue, la forme affective qui organise un poème ou recueil lyriques peut parfaitement se constituer syntagmatiquement sur une répétition ou des alternances entre progression et reprise. Ainsi, le recueil de Pierre Albert-Birot intitulé Ma Morte63garde-t-il une homogénéité d’humeurs, fondée sur une tonalité mélancolique dominante. Des épisodes divers d’indifférence aux autres, de colère traversent le recueil, mais il serait difficile de ne voir qu’un développement linéaire de la temporalité du deuil. La conclusion se fait dans une postface épistolaire, adressée fictivement à l’épouse : le tombeau de papier est bâti ; elle peut désormais reposer en paix pour l’éternité64. J’avais montré en 2003 combien la dimension affective du temps, mise en forme par un « temps de présence » fondé sur l’aspect imperfectif en français65, dominait en poésie lyrique par rapport au temps objectif et à la chronologie. Le temps senti n’est cependant pas une absence de passé ou de futur, une réduction à un pur hic et nunc sans saisie de liens entre un événement (comme le décès) et les circonstances qui l’entourent (l’effarement, les pleurs), voire le développement affectif qu’il engage (retrouver un nouvel équilibre). Seuls ceux qui scindent radicalement affectif et réflexif pourront penser que le temps senti n’est que pure instantanéité.
Un des moyens figuratifs récurrents pour marquer la durée d’un épisode émotionnel ou d’un processus affectif est celui du cycle des saisons. Ces dernières sont des motifs récurrents en poésie lyrique. Nous pouvons penser aux poésies européennes romantiques et à bon nombre de poésies du XXe siècle. Les traditions chinoises des Tang ou japonaises du haïku donnent également de nombreux exemples de l’importance des saisons pour une diffraction affective. L’intérêt des saisons dans la figuration lyrique est qu’elles engagent une durée temporelle, voire des progressions entre les poèmes. Le recueil Airs de Philippe Jaccottet66 peut nous servir d’exemple : la première partie s’intitule « Fin de l’hiver », la deuxième « Oiseaux, fleurs et fruits », la troisième « Champ d’octobre ». Ce cycle conduit à deux autres parties qui concluent cette traversée du temps : « Monde » et « Vœux ». Le recueil se construit sur une succession des saisons avec des séries de poèmes à dominante lyrique, comme les trois poèmes suivants pris dans des sections différentes :
Jeunesse, je te consume
avec ce bois qui fut vert
dans la plus claire fumée
qu’ait jamais l’air emportée
Âme qui de peu t’effraies
la terre de fin d’hiver
n’est qu’une tombe d’abeilles67
*
Fruits
Dans les chambres des vergers
ce sont des globes suspendus
que la course du temps colore
des lampes que le temps allume
et dont la lumière est parfum
On respire sous chaque branche
le fouet odorant de la hâte68
*
Arbres I
Du monde confus, opaque
des ossements et des graines
ils s’arrachent avec patience
afin d’être chaque année
plus criblés d’air69
Chaque poème provient d’une partie différente, avec des figurations affectives qui se distinguent : la fin de la jeunesse avec une mort symbolique qui conduit à un allègement ; les fruits qui livrent la plénitude et la vivacité du monde ; l’automne qui dépouille les arbres de leurs feuilles et les rend au vide. Il n’y a pas de narration entre ces trois poèmes, mais trois états décrits lyriquement qui se succèdent, qui progressent par la floraison, le mûrissement des fruits et la chute des feuilles. Le cycle des saisons est issu d’une expérience qui sert ici de métaphorisation à une recherche d’authenticité. Nous ne trouvons ni intrigue, ni logique de l’agir ni l’intentionnalité de parcourir une histoire. L’ensemble tient à une traversée du temps mise en forme lyriquement pour nous donner à sentir et à ressentir certaines expériences affectives dans un travail sur soi. En cela, la construction en progression ou en étapes d’un recueil lyrique ne signifie pas forcément la présence d’un récit, même d’un « récit latent »70.
Dans un chapitre de son essai de 198971, Michel Collot traitait d’une quête fréquemment déployée en poésie, comme « un noyau constitutif de [l’]expérience », qui articulent « trois moments » : « appel, attente, errance ». Sa perspective bâtissait une progression, même si pour ce critique, qui se fonde avant tout sur la poésie lyrique moderne, la résolution laisse une grande part d’indétermination. Or, nous trouvons dans la tradition certains recueils qui offrent des conclusions plus déterminées que la seule errance, même s’ils partent tous d’une première étape d’appel : le recueil Matière céleste de Pierre Jean Jouve débute par exemple par la célébration d’Hélène (« Ici mon amie s’est recomposée ») et s’achève par les adieux d’Orphée (« Je pars il faut mourir… Ressusciter. ») ; Les Villes tentaculaires d’Émile Verhaeren mènent de l’asservissement de la plaine par les villes aux poèmes consacrés à « la recherche » et « aux idées » (« Sur la Ville, d’où les désirs flamboient, / Règnent, sans qu’on les voie, / Mais évidentes, les idées »72). Même si je ne m’accorde pas exactement au contenu des trois moments, il y a dans la perspective de Michel Collot un fondement majeur qui est celui d’une transformation progressive par l’altération d’un sujet73. De ce point de vue, la théorie de Jean-Jacques Wunenburger sur l’ « imaginal des philosophes », mais plus largement sur les principes de l’identité dans la culture occidentale, sont marquants74. Ce philosophe prend trois figures pour caractériser la transformation d’une identité : le cercle (l’identité unitaire donnée), l’épée (qui crée le phénomène de tension, voire d’appel, par la scission et l’altération) et le miroir (l’identité retrouvée par la réflexion de l’identité et de l’altérité). Si les métaphores du « cercle », de « l’épée » et du « miroir » peuvent être délaissées, les trois moments distingués sont en revanche particulièrement intéressants. L’identité unitaire donnée comme situation initiale, l’altération comme transformation, la résolution par une identité de nouveau équilibrée. La phase de transformation crée l’appel avec des étapes diverses qui la poursuivent : l’attente et l’errance peuvent laisser le sujet, comme le suggère Michel Collot, dans une tension plus ou moins résolue ; mais il est possible également d’avoir des phases progressives de concordance dans l’épreuve avec un équilibre final.
Trouvons-nous une telle construction dans la vie affective comme préfiguration ? C’est que la notion d’ « épisode émotionnel » permet d’envisager. Nous pouvons également penser aux principes d’un vaste processus affectif comme le deuil : un lien initial, le choc lié à la perte, l’épreuve du deuil, la reconstruction d’un quotidien acceptable. La phase du choc et de l’épreuve peut contenir plusieurs épisodes émotionnels (colère, tristesse, peur, anxiété). Mais, il est possible de dépasser la seule catégorie émotionnelle pour traiter des mouvements de l’humeur (sérénité – angoisse - mélancolie – sérénité retrouvée) ou la transformation d’un tempérament par une épreuve.
Progressions syntagmatiques possibles
dans les préfigurations affectives
|
Identité donnée
t0 |
Altération
t1, t2… tn |
Identité résultante
tn+1 |
Humeur |
humeur première |
complexification - modification |
regain de la première humeur ou nouvelle humeur |
émotion
(Ici : La colère) |
confiance - attente |
frustration – mécontentement – agressivité – explosion |
résolution - équilibre |
Épisode émotionnel |
équilibre initial |
montée – apogée –
plateau - déclin |
transaction - équilibre |
Processus de deuil |
relation avec l’autre |
déni – colère – tristesse – abattement |
transaction – acceptation |
La tradition lyrique abonde d’exemples de ce type, parfois développés en progression linéaire. Or, il y a dans le « parfois » de cette dernière phrase, qui lève toute nécessité, la spécificité syntagmatique de la structuration lyrique, par laquelle nous terminons notre étude. Contrairement à l’argumentation ou la narration qui exigent un ordre attendu dans la progression, la logique de composition lyrique peut parfaitement se passer de linéarité, de chronologie, voire de toute progression. Un recueil peut être bâti sur une humeur ; il peut y avoir des changements sans causalité, des inversions temporelles (comme dans Quelque chose noir de Jacques Roubaud par rapport aux phases attendues du deuil75). En somme, des instants peuvent être évoqués sans forcément être compris dans un développement progressif, tout comme il peut y avoir aussi parfois des instants qui s’insèrent dans un épisode émotionnel ou un processus affectif plus identifiables (sans forcément respecter l’ordre chronologique). Il n’y a sur ce point aucune nécessité dans la structuration lyrique. Il est également important d’envisager l’absence de certains moments dans la composition : un appel ou un choc sans résolution ; un état initial implicite ; l’exploration d’un seul état sans mouvement. Nous pouvons ainsi poser que si les expériences émotionnelles engagent généralement une progression homéostatique (parfois sans résolution) dans l’expérience, leurs représentations lyriques peuvent parfaitement défaire un tel déroulement. Le lyrique peut engager une absence d’ordre chronologique, mais, et c’est ce que nous voulions montrer, la présence d’un ordre progressif ne signifie pas l’exclusion de cette structuration discursive au profit du récit. Cela signifie que la progression temporelle d’une expérience affective n’est pas le propre des structurations narratives ou critiques, mais qu’elle peut être évoquée dans une structuration lyrique selon une logique du pâtir.
Conclusion
Dans un premier temps, il pouvait sembler que l’étude partait à rebours de la problématique de ce dossier sur les passions en narratologie, en continuant à associer d’une certaine manière pâtir et lyrique, agir et récit. En prenant un autre corpus que celui du récit pour traiter de questions de théorie littéraire, il a pu être montré que l’association lyrique/pâtir, narratif/agir est opératoire si la logique compositionnelle, la logique de l’expérience et les intentionnalités discursives sont décrites dans les nombreuses nuances qu’elles impliquent. Dès lors, il apparaît qu’une logique du pâtir peut comprendre des actions, des valeurs, des maximes, sans que cela remette en question une configuration radicale liée à une métaphoricité affective. De la même manière, une logique de l’agir peut inclure des états passionnels, des émotions, des réflexions sans perturber l’intrigue centrée sur les actions. Nous avons pu souligner combien une logique de l’expérience singulière (agir, pâtir) et une logique compositionnelle particulière (intrigue, forme affective) étaient nécessaires pour décrire une structuration fonctionnelle discursive (récit, lyrique). Toutefois, cette dernière ne se développe que par une interaction qui engage configuration et progression selon certaines intentionnalités (parcourir une histoire, sentir et ressentir la vie affective) et certains moyens pour activer la tension (curiosité/surprise, empathie). Le corpus de poésie incite ainsi, parce qu’il se compose de structurations diverses, à penser plus globalement des pactes discursifs implicites qui règlent l’élaboration des trames et des séquences que le seul récit.
La catégorie d’ « épisode émotionnel », développée depuis une vingtaine d’années en psychologie cognitive et ayant notamment trouvé un essor particulier dans les travaux cognitivo-sociaux de Bernard Rimé, permet de dépasser une compréhension de l’émotion comme un instantané sans progression. Si les humeurs ont déjà été décrites comme des dispositions pouvant durer plusieurs jours et engager des transformations d’états, il n’est guère possible de les comprendre avec un début, un milieu et une fin, dans la mesure où une certaine indétermination les caractérise. D’autres éléments comme les « sentiments », les « passions » (au sens de « la passion du jeu »76) s’inscrivent également dans des durées importantes. La catégorie d’ « épisode émotionnel », tout comme celle de « processus affectif » (du deuil), permet de sortir de la référence à une émotion brève avec un pic, en impliquant la durée (de plusieurs heures à quelques jours), l’unité thématique et la transaction.
Cela permet d’accroître la palette de préfigurations du pâtir, en instaurant de véritables « épisodes ». Car l’évocation du pâtir n’est pas cantonnée aux seuls instants délimités du mouvement émotionnel comme une « sortie hors de soi »77 ou aux durées indéterminées des humeurs, elle peut parfaitement développer des « épisodes », des « processus » avec une unité qui possède un début, un milieu (montée, apogée, plateau, déclin) et une fin. La proposition « hier c’était le printemps, aujourd’hui c’est l’été » ne suffit pas à produire un récit, même s’il y a un état initial (le 20 juin), une transformation (la nuit) et un état final (le 21 juin). Cette proposition peut servir à structurer une narration, mais elle n’engage pas une telle dimension encore. Éprouver un épisode colérique de plusieurs jours n’est pas en faire sa narration, tout comme vivre un deuil ne peut être confondu avec l’histoire d’un deuil. La structuration lyrique peut, comme nous l’avions déjà précisé, donner une composition affective à tout événement (guerre, combat) mais en maintenant le filtre du pâtir78. Aussi un événement, comme un épisode émotionnel ou un processus affectif , peut-il être traité avec les diverses structurations discursives en transformant a priori radicalement l’interaction du lecteur, malgré une référence identique. C’est pourquoi il est problématique d’exclure toute progression temporelle de la logique compositionnelle lyrique. Engager uniquement les principes du récit pour désigner ce qui est de l’ordre d’un « épisode » ou d’un « processus » risque finalement de relever d’un « narrativisme »79, appliqué non seulement à l’existence elle-même mais réduisant aussi la potentialité des autres formes de discursivité en littérature. Ainsi, il nous paraît essentiel de favoriser un travail minutieux sur la structuration lyrique et le pâtir, afin d’apporter des éléments nouveaux à la théorie littéraire et d’estimer au mieux ce qui est du ressort ou non des seules perspectives narratologiques.
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NOTES
1 Il serait illusoire de croire qu’il y a en psychologie cognitive concordance exacte des définitions des émotions. Il suffit pour s’en convaincre de prendre les approches de : R. de Sousa, N. H. Frijda, P. Ekman, B. Rimé, K. R. Scherer, A. Damasio.
2 Lors de mes premiers travaux, j’étais avant tout parti d’une approche phénoménologique de la vie affective. Bien que de nombreux points soient particulièrement applicables et opératoires dans le domaine lyrique, notamment les dimensions anthropologiques de la Befindlichkeit (la « disposition »), les Stimmungen (les « tonalités affectives », qui correspondent aux « humeurs » ou « moods » psychologiques) ou encore certaines descriptions de l’élaboration de la spatialité ou de la temporalité affectives , il me paraît important pour la théorie des émotions en littérature de tenir compte des recherches en psychologie cognitive et en neurosciences. Si, dans leurs présupposés, ces approches semblent peu conciliables (bien que dans le volume récent Naturaliser la phénoménologie, les recherches de Jean Petitot ou Francisco Varela tendent à montrer des résultats probants dans de nombreux rapprochements [voir aussi la mise au point critique dans ROY J.-M., 2004]), la nécessité de travailler de manière complémentaire avec ces disciplines peut se révéler précieuse dans le domaine de l’affectif, car plusieurs résultats ont tendance à s’affiner mutuellement. Ainsi, si les humeurs ont été particulièrement explorées par la phénoménologie, les dimensions émotionnelles ont été au centre des recherches cognitives. Face à cet état de faits dans les sciences humaines travaillant sur la vie affective, seuls les tenants d’une radicalité phénoménologique ou cognitive, fonctionnant par opposition, verront dans mes synthèses une absence de parti pris gênante, mais je tiens à souligner qu’il ne s’est jamais agi pour moi de devenir « phénoménologue de la littérature » ou un « cognitiviste de l’esthétique », mais de toujours maintenir les prérogatives de la théorie et de la critique littéraires. Cela signifie que les théories phénoménologiques ou cognitives me sont avant tout utiles pour définir au mieux les références à l’expérience dans les préfigurations (pâtir, agir) dans une perspective avant tout esthétique.
3 Je mène actuellement des recherches sur ce point. Deux articles donnent une première approche de cette question : (2007) « Éthique de la dilecture : empathie et communauté [chez Guy Goffette] », Littératures, n° 57, et surtout « Le chant comme imaginaire de la lecture empathique », dans A. Rodriguez & A. Wyss (à paraître en 2009), Le Chant et l’écrit lyrique, Bern / New York : Peter Lang.
4 Il existe bien évidemment des structurations lyriques dans d’autres genres littéraires, comme dans le théâtre de Maurice Maerterlinck, Paul Claudel ou Antonin Artaud.
5 Je renvoie au volume collectif d’introduction à l’histoire de la poésie française : JARRETY M. (1997).
6 Au XIXe siècle, les exclusions en poésie sont en revanche particulièrement fortes dans les théories esthétiques d’auteurs : cf. COMBE D. (1989).
7 De la même manière que pour la « poésie », les notions du « lyrique » et du « récit » se modifient historiquement dans les théories esthétiques : le mot « lyrique » n’a pas le même sens pour Ponge, Goethe ou Ronsard. Cela n’empêche guère de trouver des structurations discursives transhistoriques et transgénériques, comme le récit, rattachées de manière opératoire à ces termes à partir de notre situation, qui sont moins sujettes que les genres littéraires aux variations, sans forcément entrer dans une universalisation anhistorique. Sur les transformations de la notion de « lyrique », voir l’excellent ouvrage de GUERRERO G. (2000). Claude Calame a particulièrement insisté pour que la « poésie mélique » grecque soit différenciée de la « poésie lyrique », qu’il comprend à partir de sa définition romantique de « lyrisme » (voir CALAME Claude (1998), « La poésie lyrique grecque, un genre inexistant ? », Littérature, n° 111, p. 87-110 ; CALAME Claude (2007), « Identifications génériques entre marques discursives et pratiques énonciatives : pragmatique des genres “lyriques” », La Licorne, « Le Savoir des genres », études réunies et présentées par R. Baroni et M. Macé, n° 79, p. 35-55). S’il est nécessaire de bien distinguer « mélique » et « lyrisme », il nous paraît utile de maintenir la catégorie de « lyrique » en parallèle à celle de « mélique », car elles impliquent des pragmatiques et des modes de lecture différents. L’approche de « comparaison différentielle historique » de Claude Calame est particulièrement pertinente pour mener une lecture critique selon « l’intelligence complexe de la manifestation culturelle » et non « le plaisir du texte » (CALAME, 2007). Mais ce que la redéfinition opératoire du lyrique en tant que structuration fonctionnelle discursive permet est la possibilité d’une reconnaissance empathique valable avec des corpus éloignés et un autre mode de lecture que celui du seul lecteur érudit (sur ce point, voir les nuances sur le récit de GERVAIS B., 1992b). C’est bien à la possibilité d’articuler les deux points de vue que parvient une philosophe de l’antiquité : KLIMIS S., « Le lyrique dans la tragédie grecque : chants d’une pensée aporétique », dans A. Rodriguez & A. Wyss (à paraître), Le Chant et l’écrit lyrique, Bern / New York : Peter Lang.
8 PERROS G. (1967), Une Vie ordinaire, Paris, Gallimard (Poésie), 1988, p. 139-140.
9 Ce sous-titre, bien que proche de celui que Raymond Queneau a donné à Chêne et chien, « Roman en vers », engage davantage une perturbation générique. Cela montre bien les attentes implicites dominantes du lyrique dans la poésie du XXe siècle.
10 Le terme « récit » convoque de nombreuses définitions en théorie littéraire. Il peut être un simple genre littéraire différencié du roman (comme c’est le cas chez de nombreux éditeurs : p.e. les derniers ouvrages de Jean Hatzfeld parus au Seuil se distinguent par ce sous-titre générique, « roman » pour Ligne de flottaison / « récit » pour La Stratégie des antilopes). Il peut également renvoyer à une séquence narrative en tant que « type » (ADAM J.-M., 1997). Il peut en outre être saisi comme une structuration fonctionnelle discursive (SCHAEFFER J.-M., 1989). Nous nous référons à cette dernière catégorie pour la présente étude. Dans RODRIGUEZ 2003, nous avons préféré traiter du « pacte fabulant » plutôt que du « récit » afin d’éviter les confusions.
11 Voir RICOEUR P. (1983), p. 66-104.
12 MICHAUX H. (1935), La Nuit remue, dans Œuvres complètes I, Paris : Gallimard, 1999, p. 457-458.
13 Le monde de la chanson offre de nombreuses composantes lyriques (p.e. « Ne me quitte pas » de Jacques Brel), mais il existe également en chanson des trames narratives (p.e. « Au suivant » du même interprète) ou des trames critiques (p.e. « Hexagone » de Renaud). Dans le cinéma, nous trouvons de nombreuses séquences lyriques : dans « In the Mood for love » de Wong Kar-Wai par exemple. En outre, il est commun d’avoir des structurations lyriques dans certaines pratiques liturgiques : les psaumes, les prières.
14 SCHAEFFER J.-M., 2005.
15 Je renvoie notamment aux recherches doctorales de DUPART D., 2007a et 2007b.
16 Cela apparaît dans une acception de la définition du Littré. Je renvoie aux travaux de MAULPOIX J.-M., 2000 et de JACKSON J. E., 1998.
17 Le substantif masculin était utilisé avant l’apparition du terme « lyrisme » au XIXe siècle. Ce dernier l’a supplanté avec les confusions qu’il a pu engager entre un êthos et une structuration discursive. Voir RODRIGUEZ 2006, p. 9-24.
18 La « narratologie formelle » désigne les approches plus discursives comme celle de Genette, alors que la « narratologie thématique » renvoie davantage à la logique de l’action comme chez Brémond ou Greimas. Nous reprenons les qualifications employées par BARONI R. (2005).
19 Selon la formule de RICOEUR P. (1983), qui redéfinit les liens de représentation de la « mimésis praxeos » face au « muthos ».
20 Il est important de rappeler la catégorie de « mise en forme » dans la « mise en intrigue ». Cf. REVAZ F. (1997).
21 Dans RODRIGUEZ A. (2003), nous utilisons également la formule plus technique de « pathématique », ancienne et renvoyant bien à une idée de connaissance par l’épreuve. Cette notion a déjà été utilisée en poésie dans un sens en partie différent : COHEN J. (1966), Structure du langage poétique, Paris : Flammarion. 1993.
22 Qu’entendre par « intentionnalité » en littérature ? Je renvoie principalement aux développements marquants de Roman Ingarden, qui impliquent des « lieux d’indétermination » propices à l’interaction, repris ensuite pour « l’acte de lecture » par Wolfgang Iser (1976). Sur les liens entre l’intentionnalité chez Ingarden et les théories actuelles de philosophie cognitive, un colloque récent organisé à Paris en 2008 par Jean-Marie Schaeffer et Christophe Potocki, Roman Ingarden : ontologie, esthétique, fiction, a montré de nombreuses pistes fructueuses. Chez Schaeffer, voir plus particulièrement sur cette question de l’intentionnalité le volume Adieu à l’esthétique (2000).
23 L’expression est de Bertrand Gervais qui critique et complète une telle approche par les principes de la progression : voir GERVAIS B., 1992b.
24 Le terme pourrait effrayer ceux qui pensent que seule une narratologie est digne de la poétique et que les principes d’une telle méthode conviennent mal aux textes lyriques. C’est pourquoi, loin d’être une nostalgie du structuralisme, l’emploi de cette notion engage une grande prudence pour montrer que si structuration contractuelle implicite il y a, celle-ci n’est pas anhistorique, mais sujette aux actualisations diverses selon certains enjeux historiques et pragmatiques.
25 Je reprends la terminologie de GERVAIS B., 1990, 1992 b.
26 Je pense principalement aux travaux de Jacques Fontanille : GREIMAS A.J. & FONTANILLE J., 1991 ; FONTANILLE J. & ZILBERGERG C., 1998 ; FONTANILLE J., 2004.
27 Je ne reviens pas dans cette étude sur les structurations critiques de la poésie, observables à travers la poésie scientifique, les poèmes parodiques ou encore les arts poétiques.
28 Je me permets de renvoyer aux développements historiques qui précèdent la notion de « pacte lyrique » dans RODRIGUEZ 2003.
29 JOUVE V. (1992), L’Effet-personnage dans le roman, Paris, PUF. HAMON P. (1984), Texte et idéologie : valeurs, hierarchie et évaluations dans l'œuvre littéraire, Paris : PUF.
30 Je me réfère principalement à BARONI R. (2007).
31 Je renvoie par exemple aux travaux de DAMASIO A., FRIJDA N. H., PACHERIE E., SCHERER K.
32 Comme l’a montré RICOEUR P. (1983), le « re-raconter » est un moyen majeur pour saisir l’impact de la configuration chez le lecteur. Voir aussi KINTSCH W. T. (1975).
35 Cela explique le mandat ou le contrat engagés par l’idée d’un « pacte discursif implicite ». L’intentionnalité implique des formes contractuelles, comme a pu le montrer Élisabeth Pacherie. Une « dynamique des intentions » permet ainsi de comprendre les dimensions motivationnelles de « déclenchement » et de « soutien » jusqu’à l’achèvement, mais aussi des formes de « guidage » et de « contrôle » de la progression accomplie, voire de « correction » des déviations. Voir PACHERIE E. (2003).
36 Je me réfère à la théorie de BARONI R. (2007).
37 Je développe ces questions dans RODRIGUEZ A. (2003), p. 137-257.
38 C’est par exemple ce qu’a pu montrer Jean-Michel Adam dans ses analyses du récit : voir notamment ADAM J.-M. (1997).
39 RICŒUR P. (1983), p. 111.
40 GREIMAS A. J., & FONTANILLE J. (1991). Protée (1993), « Sémiotique de l’affect », n° 21.
FONTANILLE J. & ZILBERBERG C. (1998). RALLO E., FONTANILLE J., LOMBARDO P. (2005).
42 Pour cela, nous partons des études de FRIJDA N. H. (1991), WATSOND. (1985, 2000), RIMÉ B. (2005), LUMINET O. (2007).
43 Il convient cependant de la différencier du « trouble affectif » ou des pathologies comme la dépression, les phases mélancoliques dans les troubles bipolaires.
44 L’humeur angoissée n’est pas à confondre avec l’anxiété ou avec une crise de panique.
45 Les valences positives et négatives ont été particulièrement mises en évidence par WATSON D. & TELLEGEN A. (1985).
46 Dans « Spleen » (« Quand le ciel bas et lourd… ») de Baudelaire, le poème débute par une humeur mélancolique et s’achève par une allégorie de l’angoisse dans la dernière strophe. Nous avons consacré des analyses plus détaillées à la question de l’angoisse chez Max Jacob ou de la mélancolie chez Jean-Georges Lossier. Nous ne revenons donc pas sur ce point ici.
47 Je reprends la liste des émotions dans SCHERER K. R. (1986). Bien évidemment, il est possible d’ajouter des émotions supplémentaires, dans les « émotions de base » et dans les « émotions complexes », mais je préfère maintenir ces quatre émotions qui créent généralement un consensus.
48 Je renvoie principalement aux travaux de FRIJDA N. H., 1986, 1991, 1994 et SCHERER K. R., 1984, 2000, 2004.
49 RIMÉ B. (2005), p. 57.
52 Je renvoie aux articles d’une grande acuité de FONTANILLE Jacques : « Colère », dans RALLO DICHTE E., FONTANILLE J., LOMBARDO P. (2005), p. 61-79 ; « Peur, crainte, terreur, etc. », dans ibidem, p. 215-239. Dans le premier article, Fontanille montre par exemple le développement syntagmatique : confiance – attente – frustration – mécontentement – agressivité – explosion.
53 WINNICOTT D. W. (2004), Agressivité, culpabilité, réparation, Paris : Payot, 2004. KLEIN M. (1934), Deuil et dépression, Paris : Payot, 2004.
54 CONSTANT B. (1816), Adolphe, Paris : Flammarion (GF), 1989, p. 65-66.
55 Dans le cadre de cette argumentation de théorie littéraire, je prends l’orthographe modernisée de la collection « Poésie » chez Gallimard. LABÉ L. (1555), Œuvres poétiques, Paris : Gallimard, 1992, p.116.
56 APOLLINAIRE Guillaume (1913), Alcools, dans Œuvres complètes, Paris : Gallimard, 1965 , p. 140-145.
57 Nous avons commencé un travail sur ce corpus consacré au deuil de l’épouse depuis 2006. Voir RODRIGUEZ A. (à paraître), « Le deuil conjugal et les tensions de l’évocation : Pierre Albert-Birot, Henri Michaux », Claude Millet (dir.), Les Circonstances lyriques, Paris : L’Harmattan.
58 « Portrait des Meidosems » est le premier texte officiellement publié avec « Nous deux encore » plus confidentiel. Voir sur cette question les notes de Raymond Bellour dans MICHAUX H. (2001), Œuvres complètes, t. II, Paris : Gallimard.
59 MICHAUX H. (2001), p. 201.
61 ESTEBAN C. (1989), Élégie de la mort violente, Paris : Flammarion.
62 Voir : HUSSERL E. (1998), De la synthèse passive, Grenoble : Jérôme Millon ; HUSSERL E. (2004), De la synthèse active, Grenoble : Jérôme Millon.
63 ALBERT-BIROT P. (1931), Ma Morte, dans Poèmes à l’autre moi, Paris : Gallimard (Poésie), 2004.
65 Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de verbes avec un aspect perfectif, mais ils sont rapportés à l’imperfectif, comme dans le premier poème de Philippe Jaccottet cité plus bas.
66 JACCOTTET P., Poésie 1946-1967, Paris, Gallimard (Poésie), 1991.
67 JACCOTTET P., op. cit., p. 101. Voir note 64.
70 Pour traiter de la « composition » de certains recueils, Christian Doumet propose les catégories de « récit latent » ou de « récitatif ». Il les définit de la manière suivante. « Ainsi, la notion de composition nous renvoie, du côté de la lecture comme du côté de l’écriture, à l’expérience d’une forme latente, reconnaissable (mais non nécessairement) par le lecteur, reconnue (mais pas toujours) par le poète lui-même, comme le récit intérieur du livre de poèmes, ce qu’on aimerait appeler, en empruntant le mot au titre d’un recueil de Jacques Réda, son récitatif. » (p. 91) « Le récitatif, c’est ce récit particulier qui montre l’événement en train de se dire, qui désigne en lui l’acte même de la narration : le récit du récit, en somme – conformément d’ailleurs à l’un des sens du fréquentatif. » (p. 93). Voir DOUMET C. (2004), p. 87-95.
71 COLLOT M. (1989), « L’expérience poétique », La Poésie moderne et la structure d’horizon, Paris, PUF (Ecriture), p. 155-169.
72 VERHAEREN E. (1895), Les Villes tentaculaires, Paris, Gallimard (Poésie), 1995, p. 155.
73 Voir COLLOT M. (1989), p. 155.
74 WUNENBURGER J.-J. (1998), « L’imaginal philosophique : du cercle, de l’épée et du miroir », dans B. Curatolo et J. Poirier (éd.), L’imaginaire des philosophes, Paris : L’Harmattan.
75 ROUBAUD J. (1986), Quelque chose noir, Paris : Gallimard (Poésie).
76 Voir sur cette question : LOMBARDO P. (2005), « La passion du jeu » dans RALLO DICHTE E., FONTANILLE J., LOMBARDO P. (2005).
77 Il s’agit du sens étymologique des « é-motions » : voir par exemple COLLOT M. (1997).
78 RODRIGUEZ A. (2003), p. 96-99, p. 116-118.
79 La critique de STRAWSON G. (2004) montre avec force les excès liés à un « narrativisme » constitutif de l’identité.
Article publié le 25/03/2009
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Docteur de l’université Paris 3 Sorbonne nouvelle, Antonio Rodriguez est enseignant-chercheur en littérature française à l’université de Lausanne. Auteur de nombreuses études et directeur de plusieurs ouvrages collectifs sur la poésie moderne, il a développé une théorie originale de la discursivité lyrique en tenant compte de l’interaction des lecteurs jusqu’ici négligée dans ce domaine.
Dans la présente étude, inédite, Antonio Rodriguez commence par situer les principaux enjeux de son approche par rapport aux principes narratologiques ainsi qu’aux recherches philosophiques et psychologiques sur l’agir et le pâtir. Cela lui permet de spécifier pourquoi « le lyrique » (distinct pour lui du « lyrisme » en tant qu’êthos) fonctionne comme une structuration discursive bâtie sur une « mise en forme affective du pâtir » qui n’exclut ni les actions, ni les valeurs. C’est ainsi qu’il montre notamment comment certaines actions perdent leur dénotation dans les poèmes lyriques pour être saisies dans des ensembles figuraux et affectifs. Loin de reprendre les traditionnelles oppositions narratif/lyrique, pâtir/agir, Antonio Rodriguez cherche à spécifier les liens subtils entre des logiques compositionnelles (récit, lyrique, critique) et certaines logiques de l’expérience (agir, pâtir, évaluer) à partir d’une pragmatique de l’interaction. Après cette mise au point, l’étude se concentre sur la notion d’ « épisode émotionnel », développée depuis quelques décennies en psychologie cognitive, notamment par Nico H. Frijda et Bernard Rimé, et elle montre son intérêt en littérature pour caractériser certaines constructions syntagmatiques des émotions dans les textes lyriques. Un élargissement sur le « processus du deuil » vient compléter la catégorie d’ « épisode émotionnel ». Cet article souligne ainsi combien le pâtir est lui-même soumis à des transformations que les textes lyriques mettent parfois en forme sans passer pour autant par la narration. La discursivité lyrique peut dès lors se construire avec un état initial, une transformation et un état final sans aussitôt engager une hétérogénéité avec le récit. Cela permet de décrire l’architecture de certains recueils ou ensembles de poèmes sans activer un « narrativisme » dès qu’une progression (affective) est observée.
Références
2009 (sous presse) – RODRIGUEZ A., WYSS A. (éd.), Le Chant et l’écrit lyrique : les imaginaires, les performances, Bern/New York, Peter Lang (Littératures de langue française).
2008 – RODRIGUEZ A. (éd.) Poésie contemporaine et tensions de l’identification : de 1985 à nos jours, Lausanne : Archipel (Les Essais).
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2006 – RODRIGUEZ A., Modernité et paradoxe lyrique : Max Jacob, Francis Ponge, Paris, Jean-Michel Place (Surfaces).
2005 – COLLOT M., RODRIGUEZ A. (éd.), Paysage et poésies francophones, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle.
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